Cet été, je vous laisse entre les mains de huit autrices formidables à qui j’ai demandé de réfléchir à la question de l’amour dans une société féministe. Rebecca La joie est une lame, par Adélaïde BonAdélaïde Bon est autrice, lectrice à voix haute et militante féministe. Son premier livre, La petite fille sur la banquise, récit des conséquences du viol subi quand elle était enfant, a été publié chez Grasset en mars 2018, puis au Livre de Poche, dont il a reçu le Prix des Lecteurs. Il a été traduit en sept langues et est utilisé quotidiennement par des professionnel·le·s de santé pour accompagner Quentin, Je te quitte. Ma joie est une lame qui m’écarte de toi. Je m’étais désertée et toutes ces années, je ne me sentais vivante qu’à travers toi, toi que j’aimais plus que tout, plus que moi. Je me regardais au travers de tes yeux, je me caressais par le truchement de tes mains, tu me donnais un contour, une existence, un foyer. J’avais tant à cœur que tu sois heureux, Quentin, je me tenais à tes côtés, le regard tourné vers toi, aux aguets de tes désirs, aux devants de tes besoins. J’aimais ça, être à toi. Mais est-ce que je t’aimais, toi ? Et toi Quentin, est-ce que tu m’aimes ? Celle que tu aimes, ce n’est pas moi. C’est l’idole drapée qui orne les bâtiments publics, c’est ma présence constante et rassurante, ma prévenance et ma sollicitude, c’est le spectacle de mon corps, l’ivresse de me posséder, c’est mon sexe à disposition. Ce que tu aimes en moi, c’est le miroir, le beau miroir que je te tends. Nous nous parlions peu, Quentin. Tu ne te confiais pas. Pas à moi, en tout cas. Je m’arrangeais de tes silences, j’excusais tes absences. Tu étais gentil, tu étais drôle, je me pensais chanceuse. Tu trouvais mes amies hystériques et si je sortais sans toi, tu avais le cafard. Mes amies, j’ai eu moins envie de les voir. Tu me disais souvent que je prenais trop de place. Je me suis retenue. Peu à peu, je me suis tue. Depuis l’élection, avec mes sœurs, je vis une joie aussi indocile qu’insoupçonnée qui m’électrise. Toi, tu portes cet air affairé qui t’arranges quand tu ne veux pas m’entendre. Ou bien tu dis qu’on ne me reconnait plus. Mais as-tu jamais cherché à me connaître ? Auprès de toi, je serre les lèvres, tu es si sérieux, ma joie m’apparaît odieuse, indécente. Je ne supporte plus de renoncer à ma joie, Quentin. Je ne sais plus comment t’aimer. Laetitia Il est très tard, il dort. Je lui donnerai la lettre demain. Aimer, je ne sais pas au juste ce que cela signifie. Tant de violées, tant de mortes dissimulées sous les je t’aime. Je lis leurs prénoms depuis trop longtemps sur les murs de ma ville pour ne pas les trouver obscènes, ces mots, je t’aime. Je t’haine. Je m’aime moi-même encore si peu, si mal. Ce soir, je suis allée chez Juliette et Lauriane, et dans l’ascenseur couvert de miroirs, mille fois reflétée, j’ai senti me peser au cœur ce vieux dégoût de moi que je ne parvenais à oublier que dans ses bras. Sur le palier, j’ai entendu rire les filles, et l’étreinte a lâché. Toute la gang était là. Noues avions tant à noues dire. Le nouveau code pénal, révélé hier par la Gardienne des Sceaux, les époustouflants articles 222 à 228 réprimant les infractions liées à l’exercice de la domination masculine, l’imprescribilité des crimes sexuels et l’annonce du triplement des cours d’assises assorti du budget ad hoc, Loren était en larmes, elle répétait sans arrêt, c’est pour de vrai, les filles, ça noues arrive pour de vrai. Les mots tremblent au bout de mes doigts, je les inscris presque à contre cœur, ils ne me suffisent pas. Il me manque des mots. Je suis analphabète de ce qui noues arrive. Marie noues a montré son nouveau portfolio, son travail d’architecte est une splendeur. Elle s’est saisie de son talent comme une feuille s’abandonne enfin au vent. Lucie noues a raconté les pressions masculinistes qui s’exercent à l’international comme à l’intérieur sur le nouveau gouvernement, et ce collectif de journalistes qu’elles ont monté pour les documenter. Claire noues a lu ce texte inouï d’une jeune autrice, Judith Shakespeare, et en Samira une digue s’est brusquement rompue et noues avons fait corps avec elle, noues avons enchevêtré nos peaux à ses larmes, puis Lauriane s’est mise au piano et serrées les unes aux autres, noues avons chanté l’Hymne des Femmes, les voix éraillées d’abord mais au troisième couplet déjà noues étions debout, le poing levé, le regard fier. Je suis rentrée seule, à pied. Je me sentais immense. Aimante. Aimée. J’ai marché presque une heure sous les lampadaires blancs, je suis passée par les rues Maryse Condé et Muriel Salmona, par la place Olympe de Gouge, devant le grand jardin partagé qui a remplacé le stade, devant la maison des femmes de notre quartier et le monument aux mortes, mais je ne suis pas parvenue à relâcher ma vigilance. Mon corps sait que la nuit n’est pas encore à noues, qu’il est trop tôt pour baisser la garde. Et je suis si reconnaissante de cette sagesse en moi qui est celle de nos mères, de nos grands-mères et des femmes avant elles, mes sœurs. J’ai tant à apprendre de noues. Tant à aimer. Note de l’autrice : Ce texte doit tout à un livre qui m’a bouleversée et a radicalement transformé ma manière de comprendre les relations femmes/hommes, en les analysant sous le prisme du syndrome de Stockholm sociétal, Loving to Survive: Sexual Terror, Men’s Violence, and Women’s Lives, écrit par Dee L. R. Graham avec Edna I. Rawlings et Roberta K. Rigsby. Vous en trouverez ici des extraits traduits par Claire Fougerol. Je remercie de tout mon cœur Lucie Nourse et Claire Fougerol de m’avoir tant éclairée lors de la rédaction de ce texte, qu’elles ont bien voulu relire. Merci Lucie d’avoir déposé ce livre sur mon chemin, merci à l’artiste et autrice féministe Typhaine D d’avoir génialement créé La Féminine Universelle à laquelle j’emprunte ici cette {noues}, merci à La Gang comme à mes sœurs de banquise et d’ailleurs pour les joies, les feux, les larmes, les étreintes et les poings Pour retrouver les newsletters des semaines précédentes, rendez-vous sur la page « Summer Glo » du site des Glorieuses : Mercredi 19 août : Nos amours, comme des Pokémon, par Victoire Tuaillon Mercredi 12 août : Amour féministe, par Lindsey Tramuta (disponible en anglais également) Mercredi 5 août : « L’emprise », par Nesrine Slaoui Mercredi 29 juillet : « L’amour, état de puissance », par Mai Hua Mercredi 22 juillet : « Je ne serai pas une femme dévouée», par Naya Ali (Mauvaise Fille) – un paragraphe s’y était ajouté par erreur, la version corrigée est en ligne Mercredi 15 juillet : « L’intimité entre un homme et une femme sera possible seulement lorsque le patriarcat sera renversé », entretien de Deborah Feldman mené par Rebecca Amsellem (disponible en anglais également) Mercredi 8 juillet : « L’amour est un acte perpétuel » par Leni Zumas (disponible en anglais également) ![]() RDV LE CLUB // Jeudi 27 août 2020 de 19h à 20h30 Le Club sera l’occasion d’un temps d’échange – en ligne – entre plusieurs des autrices de l’édition d’été et Rebecca Amsellem, fondatrice des Glorieuses, autour du thème « L’Amour dans l’utopie féministe ». Inscriptions ici : Le Club des Glorieuses UN MESSAGE DE NOTRE PARTENAIRE BUMBLE App de dating et féminisme : ces deux univers n’ont pas toujours été compatibles. Et puis, Bumble est née. Bumble, c’est une application de rencontres créée par une femme qui souhaite renverser les codes de séduction sexistes et dépassés, et injecter un maximum de valeurs dans les rencontres en ligne. D’abord en imposant une charte qui prône égalité, bienveillance, ouverture et respect, et crée Enfin en s’engageant concrètement contre le sexisme, le racisme, l’homophobie, la transphobie, la grossophobie et toutes les discriminations. Ça change des autres apps ? Tant mieux, c’est l’idée. Bienvenue sur Bumble ! |
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