Bienvenue dans le troisième épisode de la saison 2 de la newsletter économique des Glorieuses. Chaque mois, nous vous parlons économie, genre et race avec une perspective internationale, et avec l’appui de chercheuses. Le mois dernier, à l’occasion de la mobilisation du 21 novembre nous avons analysé le lien entre violences conjugales et l’autonomie économique des femmes. Ce mois-ci, l’actualité est tout autre. Entre le Black Friday, la réouverture des commerces, et Noël, il semblerait que décembre 2020 soit plus que jamais le mois de la consommation. Dans l’espoir de donner une touche « féministe » à vos achats, nous avons choisi de vous parler de la « Taxe rose ». Bonne lecture, Read english version, Economics, here. Translation by Stephanie Williamson. 27 décembre 2020 – temps de lecture : 8 minutes Petit, mignon et rose Les deux pulls sont en apparence identiques : taille M, verts, ornés de sapins, de bonhommes de neige et de flocons rouges et blancs. Des pulls de Noël on ne peut plus classiques. Mais, en examinant les étiquettes de plus près, l’association « Pépite sexiste », qui cherche à sensibiliser les consommateur-rices au sexisme véhiculé par le marketing, s’est aperçue d’une différence contrariante : alors que la version « pour femmes » coûte 14,99 euros, la version « pour hommes » se vend, elle, à 9,99 euros. Suite à ce signalement sur Facebook par l’association, le groupe s’excuse, « c’était effectivement une erreur. Cela sera corrigé demain », répond-t-il. Le lendemain, les prix ont effectivement été ajustés. Cette « erreur » est si commune qu’on lui a donné un nom : la Taxe Rose. Elle désigne la différence de prix entre les produits « pour hommes » et ceux « pour femmes ». Bien que dénoncée depuis de nombreuses La taxe rose existe toujours La taxe rose avait déjà fait parler d’elle en 2014, lorsque le collectif Georgette Sand avait publié sur son compte Tumblr des photos pour exposer cette injustice. Ainsi, on pouvait découvrir que la version rose d’un rasoir était plus chère que la bleue, ou encore qu’un paquet de trois pots de colle Uhu dans sa version « princesse » coûtait 1 euro 75 centimes de plus que celle sur laquelle figure des super héros Marvel, ou encore qu’un appareil photo dans sa version pour petite fille pouvait coûter 7 euros de plus que pour petits garçons. Une pétition recueillant plus de 48 000 signatures avait alors attiré l’attention des médias. « Nous avions fait la une du Parisien » rappelle Fayrouz Lamotte, membre du collectif Georgette Sand, «Nous avions même eu des répercussions internationales. Il y avait eu une mobilisation contre la Taxe Rose en Argentine ». Néanmoins, l’affaire a rapidement été classée. Suite à cette polémique, le gouvernement avait commandé une enquête sur trois types de produits – rasoirs, déodorants et crèmes hydratantes – ainsi que sur trois types de services – déménagement, dépannage automobile et serrurerie. Ses résultats laissent le « Ça a été une grande désillusion » explique Fayrouz Lamotte, qui regrette que l’étude ait été menée sur aussi peu de produits et services. « Ni coiffeurs ni pressings n’apparaissent dans ces études alors qu’il s’agit des services où la taxe rose est la plus importante », déplore-t-elle. D’autant plus que les femmes sont doublement victimes de cette injustice. En effet, « faire face à ces surcoûts est plus lourd pour les femmes, qui sont payées en moyenne 27% de moins que les hommes », rappelle Fayrouz Lamotte. Bercy aurait-il tiré des conclusions trop hâtives ? C’est ce que portent à croire les résultats d’une seconde étude – plus exhaustive – réalisée par l’Etat de New York en 2015 à partir de la comparaison de plus de 800 produits vendus par 90 marques différentes. Celle-ci arrive à la conclusion qu’en moyenne, les femmes paient 7% de plus que les hommes pour les mêmes produits. Un déni du problème C’est cette absence de mesures au lendemain de la polémique qui a poussé Alara Efsun Yazıcıoğlu, chercheuse spécialisée en droit fiscal, à écrire un ouvrage sur le phénomène, The Pink Tax and the Law (2018). « Je voulais proposer une analyse plus profonde de la taxe rose et apporter des vraies solutions », explique-t-elle. « Il existe un déni de la taxe rose comme un problème parce qu’on la traite comme un phénomène purement économique », constate-t-elle. « On pense que le Résultat : les femmes sont passées de victimes à coupables de cette injustice. En effet, quand je cherche « taxe rose » sur internet, je tombe sur une série d’articles qui oscillent entre négation de son existence, ou recommandent de choisir les produits « pour hommes ». Pour Alara Efsun Yazıcıoğlu, la légèreté de cette réponse révèle « l’ancrage du sexisme dans notre société ». Car, selon son analyse, « Les racines du problème sont avant tout sociologiques ». Elle explique que la taxe rose trouve son origine dans une pratique commerciale née dans les années 1990 aux Etat-Unis qui vise spécifiquement à créer des produits différenciés pour « hommes » et pour « femmes » : le marketing genré. Une de ses stratégies les plus courantes pour rendre les produits attractifs pour les femmes est celle « Pink it and Shrink it ». Autrement dit, tout produit petit et rose serait irrésistible aux yeux des femmes… même s’il est plus cher. Un exemple ? En 2018, la directrice générale du groupe PepsiCo avait annoncé son souhait de créer des chips Doritos « pour femmes ». On se demande ce que cela peut signifier. Eh bien ! Ce sont des chips « moins odorantes et moins bruyantes », qui peuvent être mangées « discrètement ». Des chips qui seraient contenues dans un paquet “plus petit”, qui pourraient se « glisser dans un sac à main ». Bienheureusement, la polémique que cette annonce a provoquée sur les réseaux sociaux nous a épargné leur commercialisation. « Cette pratique renforce la croyance que les femmes sont irrationnelles, émotives dépensières », regrette Alara Efsun Yazıcıoğlu. A ses yeux, l’inaction contre la taxe rose revient à « naturaliser ce préjugé » . L’histoire du bleu et du rose L’émergence du rose et du bleu en comme « couleur genrées » trouve ses origines dans l’industrie “du bébé” au XIXème siècle. Dans les années 1890, le rose et le bleu étaient des couleurs non sexistes, utilisées de manière interchangeable dans les articles pour bébés. On préférait même le bleu au rose pour les filles, car c’était considéré comme une couleur plus délicate. Rapidement, les magasins de vêtement pour bébés ont choisi Un succès ! À la fin du XIXe siècle, plus personne ne questionnait que « le rose était pour les filles et le bleu pour les garçons », au point de penser qu’il s’agit de préférence innées. Source : Alara Efsun Yazıcıoğlu ,The Pink Tax and the Law, Routledge,2018
66% des Français.e.s pensent que les Françaises font plus de shopping En France, selon une étude réalisée par Cofidis et le CSA en 2017, 66% des français.e.s pensent que les françaises font plus de shopping. Evidemment, ceci est complètement faux : la même étude prouve que les femmes ne dépensent pas plus que la moyenne pour les vêtements, chaussures et cosmétiques…. Pour réfuter ce stéréotype sur les femmes, Alara Efsun Yazıcıoğlu rappelle dans son ouvrage une étude psychologique sur la « volonté », « le Test du Marshmallow », conduite dans des écoles durant les années 1970 par l’université de Stanford. Celle-ci consistait à donner un marshmallow à un enfant, en lui disant que s’il résistait pendant un certain temps à le manger, il en obtiendrait un autre en guise de récompense. Devinez quoi ? Face à la tentation de la consommation, les petites filles se sont révélées plus patientes … Face à la prévalence de ces stéréotypes de genre, de nombreux « Watchdogs » féministes, comme « Pépite sexiste », ont vu le jour sur les réseaux sociaux à travers le monde dans le but de dénoncer le sexisme assumé du marketing genré. Certaines marques commencent à en prendre conscience. En effet, des entreprises comme Mattel ou encore Bic s’orientent doucement vers une nouvelle tendance : celle du marketing non genré, visant explicitement à créer des produits « unisexe ». Dans l’industrie du jouet, des campagnes comme « No Gender December » en Australie, « Let Toys Be Toys » au Royaume-Uni, ou encore l’appel contre « Un père Noël sexiste » par le collectif Georgette Sand en 2019, ont aussi permis de faire bouger les lignes. Par exemple, en France, une de la Charte pour une représentation mixte des jouets a été signée par 14 des principaux acteurs de la filière du jouet le 24 septembre 2019 dernier. Charte pour une représentation mixte des jouets Le 24 septembre 2019, 14 des principaux acteurs de la filière du jouet – fabricants, entreprises de marketing, distributeurs – ont signé une charte pour une représentation mixte des jouets prévoyant 34 engagements volontaires de la part des acteurs de l’industrie. Du côté de la conception, les fabricants de jouets s’engagent à promouvoir des jouets neutres ou mixtes. En somme, de ne pas proposer des déguisements d’infirmière aux petites filles, et des jeux de technologie aux petits garçons. Il est aussi demandé de favoriser les jeux qui recherchent le développement intellectuel des enfants, comme les jeux scientifiques ou les jeux éducatifs. Ces jouets pourront bénéficier d’ un label « Sciences, En ce qui concerne la publicité, les entreprises de marketing s’engagent à cesser de faire des catégorisations jouets filles/garçons. Enfin, lors de la mise en vente, les magasins sont invités à supprimer les rayons bleus et roses. Ils s’engagent à les réorganiser sous d’autres critères, comme par exemple, l’âge ou la fonction du jouet. Les vendeurs et vendeuses seront aussi sensibilisés aux stéréotypes de genre par les associations.
Interdire la taxe rose ? Si ces initiatives constituent un progrès, Alara Efsun Yazıcıoğlu estime cependant qu’elles ne suffisent pas pour résoudre le problème. « Une grande partie de la taxe rose reste « cachée » rappelle-t-elle. Le consommateur n’a en effet parfois pas conscience qu’elle existe, « N’importe quelle différence minimale dans le produit peut servir de prétexte à justifier une différence de prix ». C’est également ce qu’observe l’étude réalisée par l’Etat de New York. Elle constate que, trop souvent, « les femmes paient une prime pour des ingrédients « spéciaux », qui représentent généralement moins de Face à cela, Alara Efsun Yazıcıoğlu, ne perçoit qu’une seule « vraie »solution pour éradiquer la taxe rose : « l’intervention du gouvernement ». Pour la chercheuse, « Un moyen efficace d’abolir la taxe rose serait de promulguer des lois et/ou des règlements interdisant la différenciation des prix en fonction du sexe ». D’autant plus que, selon elle, « au niveau du droit on dispose des outils pour intervenir ». En effet, dans son ouvrage elle défend que « Puisque les femmes sont expressément visées par cette pratique en raison de leur sexe, la taxe rose peut être considérée comme une discrimination fondée sur le sexe… Ce qui va à C’est donc avec beaucoup de satisfaction qu’Alara Efsun Yazıcıoğlu a accueilli l’initiative de l’État de New York, qui a décidé, le 1er octobre dernier, d’interdire aux entreprises de facturer une taxe rose pour leurs produits ou services. Désormais, les entreprises qui enfreindraient la loi pourraient se voir infliger une amende et être tenues de dédommager les consommateurs. Et si on intégrait ceci dans nos résolutions 2021 ? L’exemple de l’Etat de New York Le 1er octobre 2020, l’État de New York a interdit la taxe rose. La nouvelle loi interdit aux vendeurs au détail, aux fournisseurs, aux fabricants, et aux distributeurs, de facturer un prix différent pour deux biens ou services « substantiellement similaires » sur la base du sexe des consommateur-ices. Ces biens « substantiellement similaires » sont définis comme deux produits qui présentent peu de différences dans les matériaux utilisés pour leur fabrication, leur but d’utilisation, conception, fonctionnalités, ainsi que leur La nouvelle loi donne aussi le droit aux consommateurs de demander aux entreprises la liste de leurs tarifs ainsi que leurs justifications. Si une différence de prix non justifiée est identifiée, plusieurs sanctions sont possible :
#IMPACT Nous vous en parlions par bribes depuis quelques semaines, c’est officiel, Les Glorieuses lance en janvier sa newsletter IMPACT. Cette nouvelle newsletter bilingue parlera des politiques publiques et privées ayant un impact sur la vie des femmes, avec un angle international. C’est gratuit. Abonnez-vous ici :
Garanti sans taxe rose Les Box de Noël des Glorieuses ont été victimes de leur succès et ne sont plus disponibles (merci à tou·te·s !). Restent disponibles des pochettes et des mugs. De quoi commencer la journée parfaitement hydraté·e. Passez commande ici : UN MESSAGE DE NOTRE PARTENAIRE Depuis plus de 100 ans, L’Oréal est dédié aux métiers de la beauté. Avec un portefeuille international de 36 marques, le groupe a réalisé un chiffre d’affaires de 29,9 milliards d’euros en 2019 et compte 88 000 collaborateurs dans le monde. L’Oréal est de longue date un leader de l’égalité professionnelle. En 2019, les femmes représentaient 70 % de l’effectif total, 53 % des membres du conseil En 2019, L’Oréal était classé dans le “TOP 5 mondial” d’Equileap, première base de données à établir un classement de 3 500 entreprises cotées. Le groupe figure parmi les entreprises du Bloomberg Gender-Equality Index 2020, indice qui valorise les entreprises très engagées en faveur de l’égalité professionnelle. |
Inscrivez-vous à la newsletter gratuite #Economie pour accéder au reste de la page
(Si vous êtes déjà inscrit·e, entrez simplement le mail avec lequel vous recevez la newsletter pour faire apparaître la page)
Nous nous engageons à ne jamais vendre vos données.