Par Léa Frédeval, réalisatrice Lorsque Les Glorieuses me propose d’écrire une newsletter pour Summer Glow, je n’hésite pas. C’est donc entre deux interviews pour la promotion de mon film (ndlr Les Affamés ; 2018), que je leur réponds d’un « OUI » franc. Je lis et relis leur requête pour l’écriture de cet édito. Deux mots se détachent alors : drôle et féministe. C’est surement la première fois que je vois ces deux termes l’un à coté de l’autre. Non pas qu’ils soient incompatibles, loin de moi cette idée, mais je prends conscience qu’à travers les expériences de ma jeune vie – entre les agressions physiques, verbales, injonctions faites à mon genre et autres combats éreintants pour les droits des femmes – et bien je me suis rarement fendue la poire. Si le féminisme était drôle à vivre, je passerais mon temps à me bidonner. Alors je creuse dans mes souvenirs, je vais même déterrer ceux que j’ai volontairement cherché à oublier. Très vite je me dis que je pourrais écrire sur le jour où un jeune homme m’expliquait qu’il ne pouvait pas fermer ses jambes de rugbyman sur le canapé où nous étions assis·e·s parce que ses « couilles sont trop grosses » et que s’il les ferme, ça lui fait « mal ». Définitivement mon #1 dans le classement du manspreading. J’aurais pu vous raconter comment, sur la préparation de mon tournage , beaucoup ont cru que j’étais la secrétaire (jeune + femme = impossible d’être la cheffe d’une équipe de quinquas masculins). J’aurais pu aussi relater comment à 7H20 un matin, j’ai été réveillé par les cris de ma voisine poussée au dessus du balcon par son conjoint. Ou bien la fois où j’ai frappé ce mec dans le métro parce qu’il maintenait une femme par les poignets en l’insultant de tous les noms. Il finira par un délicat « je vais laver la chatte à l’acide ». Je vous en passe des vertes et des pas mûres…Et enfin je mets la main sur ce qui pourrait être nommée « anecdote ». À la fois réelle, féministe et drôle …avec un peu de recul. L’été dernier, et ce pour la première fois, j’ai les moyens de m’acheter un iPhone neuf. Je suis refaite. Chez l’opérateur, je suis prise en charge par Julien, un mec plutôt sur de lui, mais qui, ma foi, a l’air fort sympathique. Il me promet le meilleur deal de l’année. J’écoute, à l’affut de la moindre réduction. Très vite, il me parle du « feu dans mes yeux », de mon « charme envoûtant » et combien j’ai l’air « cool et fraîche » – on est présentement sur une base de Mister Freeze. Ce que je tiens à rappeler, c’est qu’à ce moment là, je suis en plein tournage du film, je suis donc plus proche d’un magnum en plein soleil que d’un esquimau bien goalé. Plus sa technique de séduction se met en place, plus les promotions s’amoncellent, plus le prix du téléphone baisse. Et clairement, je n’ai pas la force de me battre ce jour-là. Je veux juste mon téléphone, le moins cher possible. Il n’est pas agressif, il n’est pas si lourd, on arrive même à parler de son métier, du mien et de notre génération. Je passe un moment étrange mais je ne me sens pas attaquée. Juste titillée plus ou moins élégamment. Au moment de la signature du fameux deal, le mien, j’ai un coup de chaud. Entre les 30 degrés dehors et l’achat d’un téléphone à un quart de Smic, je dois enlever ma veste. En dessous, un de mes t-shirt fétiche sur lequel est inscrit : THE FUTURE IS FEMALE. Et là, Julien vire cramoisi. Il se met à balbutier et se confond en excuses : « Oh mais pardon, il fallait me le dire… oh excusez-moi mademoiselle, je pensais que… mais j’ai des copines à vous présenter si vous voulez….! ». Ah donc.. si je ne réponds pas favorablement à sa drague en carton et que je porte un t-shirt féministe, c’est que forcement je suis lesbienne! Si je ne succombe à ses requêtes si subtiles c’est juste parce que ma sexualité m’en empêche! Ce n’est pas de sa faute ! Jamais il ne s’est demandé, avant de s’emballer, que peut être je n’étais tout simplement pas intéressée par ses avances et que mon genre n’a rien à voir Pour une fois, se dessaper a fait fuir le relou. Si j’avais su… Pour les Glorieuses, je voulais parler de tout cela. Non, ce n’est pas drôle de défendre son genre au quotidien. Non, ce n’est pas drôle d’en avoir conscience dans absolument tout ce que l’on fait. Heureusement, maintenant on peut en parler. On doit en parler. Pour nous mêmes et pour les autres. Décortiquer le mansplaining, rappeler qu’en France aussi le sexisme frappe l’industrie du cinéma comme dans toutes les strates où le pouvoir existe, qu’il faut s’élever contre les violences faites aux femmes, qu’elles se produisent dans nos écrans ou sur son propre palier, qu’il ne faut pas laisser tomber la lutte contre agressions sexuelles ici et ailleurs, du harcèlement permanent bien qu’insidieux parfois, qu’il faut se soutenir les unes les autres et ne plus se juger entre femmes. Que c’est aussi à nous de s’interroger sur les masculinités, sur les injonctions faites aux hommes et sur le fait que notre Tout cela doit être dit, raconter, défendu, encore et encore. Il faut écrire et transmettre encore et toujours. Que ce soit drôle ou pas. C’est à nous de ne rien lâcher. Je crois que nous sommes là pour ça, comme une mission de vie. Et étrangement, j’en suis fière. LÉA FRÉDEVALLéa Frédeval est une jeune auteure de 27 ans. Après deux publications aux Editions Bayard, elle écrit et réalise son premier court-métrage : La Répétition. Elle collabore avec plusieurs revues et travaille à la rédaction de son blog qu’elle tient depuis plusieurs années. En 2018, Léa Frédeval adapte son premier livre au cinéma « Les Affamés : Chroniques d’une jeunesse qui ne lâche rien ». |
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