« J’ai décidé très tôt d’être une héroïne. L’important était que ce fût difficile, grand, excitant ! »
Niki de Saint Phalle
« Tout sauf la médiocrité ! Tout sauf la modestie ! »
L’idée de départ était pourtant simple. Quitter les États-Unis où elle s’était réfugiée avec sa famille, se rendre à Londres, retrouver le général de Gaulle et lui proposer de tuer un max de nazis. Pourquoi Simone Weil se retrouve-t-elle alors en 1943 dans une petite chambre d’hôtel de Londres à devoir penser les fondements d’un système politique français d’après-guerre ? « Mais elle est complètement folle », aurait répondu de Gaulle. Pas parce que c’était une femme, mais plutôt parce qu’elle ne voyait pas à plus de trois centimètres sans ses lunettes. Peut-être aussi parce que l’idée était de monter une unité d’infirmières de première ligne destinée à sacrifier leurs vies pour tuer ceux qui répandaient le mal. C’est ainsi que la philosophe Simone Weil accepta, à contrecœur, la mission d’imaginer tous les scénarios possibles de reconstruction politique. Dans Les Visionnaires (Éditions Alisio, 2020), le philosophe et rédacteur en chef de Philosophie Magazine en Allemagne Wolfram Eilenberger raconte la trajectoire de quatre philosophes : Simone de Beauvoir, Hannah Arendt, Simone Weil et Ayn Rand qui ont en commun d’avoir traversé l’une des périodes les plus cruelles de l’Histoire et d’avoir, à un moment, vu leurs idées dominer le champ intellectuel de notre société.
Collage réalisé par moi-même.
« Comment pense-t-on en temps de guerre ? » s’interroge en substance l’essai. Et, pour être un peu plus précise, comment imagine-t-on ce qu’être libre signifie lorsqu’on fait l’expérience, chaque jour, d’un « malaise oppressant » ? Pendant dix ans, entre 1933 et 1943, les quatre penseuses ont connu le déracinement, l’exil, l’horreur. Et c’est pourtant pendant cette période qu’elles vont poser les fondements de leurs pensées. « Nous avons perdu nos maisons, et donc la familiarité de la vie quotidienne. Nous avons perdu notre travail, et donc la confiance d’avoir une quelconque utilité dans ce monde. Nous avons perdu notre langue, et donc la naturalité de nos réactions, la simplicité des gestes, l’expression sans affection de nos sentiments. Nous avons laissé derrière nous nos proches dans les ghettos polonais, et nos meilleurs amis ont été assassinés dans des camps de concentration – cela signifie la rupture de nos vies privées. Si nous sommes sauvés, nous nous sentons humiliés, et si on nous aide, nous nous sentons dégradés. Nous nous battons comme des fous pour des existences privées aux destins individuels. » Ce que décrit ici Arendt c’est la conséquence de ce que Simone Weil nomme le « déracinement » – qui peut s’appliquer à un peuple devant se réfugier, ou encore à une classe sociale. Le déracinement
décrit un état dans lequel les personnes n’ont pas de passé, de liens, d’histoire avec le milieu dans lequel ils vivent. La conséquence de ce déracinement est un sentiment d’inutilité, de ne pas faire partie du monde qui nous entoure pourtant. Comment Arendt, Weil et Rand ont-elles alors posé les bases d’un nouveau paradigme intellectuel alors qu’elles étaient déracinées ? Pour Weil, sa réponse intellectuelle sera la notion d’enracinement, « L’enracinement est peut-être le besoin le plus important et le plus méconnu de l’âme humaine. C’est un des plus difficiles à définir. Un être humain a une racine par sa participation réelle, active et naturelle à l’existence d’une collectivité qui conserve vivants certains trésors du passé et certains pressentiments d’avenir ». Pour Arendt, la solution a été de centrer sa réflexion sur le présent. Pour décrire le mieux cette manière de penser, elle cite son directeur de thèse Karl Jaspers en épigraphe de son ouvrage Les Origines du totalitarisme, « Ne succomber ni au passé ni au futur. Ce qui importe c’est d’être entièrement présent. » Car lorsqu’on se trouve dans une situation cauchemardesque, on peut, rappelle l’auteur, s’en réveiller, c’est un cauchemar après tout. Et se réveiller signifie avec le courage d’ouvrir ses yeux, de voir la situation avec le plus de clarté possible, « afin de dire la vérité, même “indécente” » (in The Jewish Writings). Ayn Rand se tourna vers Nietzsche et son rapport à l’honnêteté – Ainsi parlait Zarathoustra est le premier livre en anglais qu’elle ait acheté. « Un jour, je découvrirai si je suis un spécimen inhabituel de l’humanité dans la mesure où mes instincts et ma raison ne font qu’un, la raison dirigeant les instincts. Suis-je inhabituelle ou simplement normale et en bonne santé ? Est-ce que j’essaie d’imposer mes propres particularités en tant que système philosophique ? Suis-je particulièrement intelligente ou simplement particulièrement honnête ? Je pense que c’est ce dernier. À moins que l’honnêteté soit aussi une forme d’intelligence supérieure. » En somme, écrit Wolfram Eilenberger, « Tout sauf la médiocrité ! Tout sauf la modestie ! ».
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