Mardi 7 septembre 2021 Avoir 20 ans en AfghanistanC’est aussi simple et douloureux que ça : pendant que nous reprenons le chemin du collège, du lycée, de l’université, du conservatoire, de la salle de sport, du bureau, elles sont enfermées chez elles, privées d’éducation, de leurs loisirs et de leurs passions. Privées de liberté. Depuis que les talibans (des combattants politiques qui revendiquent une interprétation rigoriste de l’islam) ont repris le pouvoir en Afghanistan et envahi sa capitale, Kaboul, le 15 août dernier, la vie des femmes et des filles qui vivent là-bas est plus que jamais en danger. Pour cette première newsletter de la saison 6 des Petites Glo, j’ai tenu à vous faire entendre leurs voix. L’an dernier, en France, la rentrée était marquée par le mouvement du #Lundi14septembre qui dénonçait le sexisme dans les établissements scolaires. Cette lutte légitime des filles qui revendiquaient le droit de porter la tenue de leur choix sans avoir à craindre de violences sexistes ou sexuelles a plusieurs fois été réduite à un caprice d’ados qui voulaient emmerder le monde en portant des crop tops. Si je crée ce parallèle aujourd’hui, c’est parce que ces combats ne sont pas des caprices. Plus encore, vos combats rejoignent les leurs. Mushtari a 21 ans et habite à Kaboul. Elle a terminé ses études secondaires il y a deux ans et est actuellement au chômage. Elle adore se maquiller, faire ses ongles, porter de jolies tenues. “J’ai toujours voulu être une artiste, me confie-t-elle. J’aime tout ce qui a à voir avec l’art et la beauté, mais depuis que les talibans ont pris le contrôle de la ville, je n’ai pas pu me maquiller de peur qu’ils viennent à ma porte et que je me fasse prendre.“ Mushtari vit désormais avec la peur au ventre. “Pendant des années, j’ai eu une vie simple. Bien sûr, il y avait des règles, mais je pouvais quand même aller à l’école, faire les boutiques, m’amuser avec mes amies. Même s’il y avait des explosions, des dangers, ça ne changeait pas grand-chose, nous pouvions vivre une vie normale. Aujourd’hui, je suis terrifiée, ça ne fait pas longtemps que les talibans sont là et, pour le moment, je ne sais pas quoi penser ou ressentir, ça ne semble pas réel. Je ne suis pas encore sortie mais, d’après ce que j’ai entendu, les femmes ne sont pas autorisées à le faire à moins d’être accompagnées d’un Mahram [un homme qui ne peut pas se marier avec elles, selon la charia] et elles doivent être couvertes de la tête aux pieds. Les talibans vont de maison en maison et prennent tellement de vies innocentes… J’ai des petites nièces et cousines qui habitent près de chez moi et j’ai peur de recevoir un appel un jour m’annonçant qu’elles ont été tuées. En tant que femmes, nous sommes l’une de leurs plus grandes cibles et cela me fait tellement peur de penser que si je sors de chez moi, je pourrais ne jamais revenir.“ La première fois que les talibans ont été à la tête de l’Afghanistan, entre 1996 et 2001, leur politique envers les femmes (et les opposants politiques) était radicale, violente, terrifiante. Après qu’ils ont été chassés du pouvoir par une coalition internationale menée par les États-Unis, les Afghanes ont pu, comme le décrivait Mushtari, mener des existences plus paisibles et s’intégrer à la vie active du pays. Vingt ans plus tard, suite au récent retrait des troupes américaines, beaucoup d’entre elles ont le sentiment d’être abandonnées par la communauté internationale. En fin de semaine dernière, plusieurs “marches des femmes“ ont eu lieu dans les rues de Kaboul, où des féministes activistes, des artistes, des étudiantes, réclamaient notamment que des femmes fassent partie du nouveau gouvernement. Ces manifestations ont été violemment dispersées. Bien que les talibans se soient engagés à être plus “inclusifs“, les jeunes femmes avec qui j’ai pu échanger ne se font pas d’illusions. Freshta, 20 ans, vit à Mazâr-e Charîf, la quatrième plus grande ville d’Afghanistan. Avant l’occupation, elle était étudiante en deuxième année à l’université de Balkh pour devenir ingénieure chimiste. En l’espace de quelques jours, elle a vu tous ses rêves s’envoler. “J’ai très peur et je suis vraiment stressée , me dit-elle, je n’ai plus le contrôle sur mon avenir et il n’y a rien que je puisse faire pour changer ça. Au cours des dernières années, j’ai travaillé dur au lycée pour intégrer une bonne formation à l’université. Tout ce que j’ai accompli ne sert plus à rien.“ Freshta n’a pas quitté les murs de sa maison depuis le 13 août. “Les talibans ont pris le contrôle de ma ville et m’empêchent de poursuivre mon éducation. Toute ma vie s’est complètement arrêtée.“ Serena, le 28 août 2021 à Toronto (Canada), lors d’une manifestation pour les droits humains en Afghanistan Dans un pays où le taux d’alphabétisation des femmes fait partie des plus faibles du monde, passer les portes d’une école (et qui plus est d’une université) s’avère un véritable exploit. Serena est afghano-canadienne et travaille pour une organisation mondiale à but non lucratif qui milite pour les droits des filles et des femmes. Sa famille a quitté l’Afghanistan quand elle avait un an, mais ses frères, sœurs et nièces sont encore là-bas. “Nous avons deux écoles privées que nous gérons toujours dans nos maisons à Kaboul. L’objectif de ma famille est de faire en sorte que les filles ne soient pas laissées pour compte. La scolarisation se concentre sur l’alphabétisation, les mathématiques de base, la présentation et l’expression orales, la compréhension des droits des femmes dans l’islam et les études du Coran.“ Lorsqu’elle a su que les talibans étaient arrivés au sein de la capitale, la jeune femme n’a pas fermé l’œil pendant des jours afin d’aider ses proches à évacuer. Elle n’a pas réussi. “Maintenant, il n’y a plus d’avions qui partent. Je me sens vaincue, alors je m’accroche à de minces fils d’espoir.“ Fin août, à Toronto (Canada), elle a organisé un rassemblement de plus d’un millier de personnes pour les droits humains en Afghanistan. Je lui ai demandé comment vous, les Petites Glo, pouviez aider. “Les ados peuvent manifester, sensibiliser en partageant des contenus vérifiés sur les réseaux sociaux, m’a-t-elle répondu. Nous ne pouvons pas laisser l’Afghanistan s’effacer sur les plateformes en ligne ! L’algorithme fonctionne déjà contre la plupart d’entre nous qui manifestons… Vous pouvez aussi écrire à vos représentants politiques pour exhorter le gouvernement français à accepter plus de réfugiés.“ À la fin de notre interview, Serena me dit : “Tu sais, il fut un temps, avant la guerre, où l’Afghanistan était considéré comme le Paris de l’Asie centrale…“. Difficile de le croire quand nous allumons nos écrans en ce mois de septembre 2021. Mais ce qui se passe là-bas pourrait se passer ici, à Paris, et partout où nous semblons avoir oublié ce que signifie – véritablement – la privation de liberté. Beaucoup d’entre vous doivent déjà connaître cette citation de Simone de Beauvoir : « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant » (Le Deuxième sexe, 1949). Mushtari n’a pas lu Beauvoir, pourtant, le message qu’elle a voulu adresser aux filles de son âge qui la liront ce matin, pourrait le laisser penser : “Vivez votre vie et ne prenez pas la liberté que vous avez pour acquise.“ Et d’ajouter : “Utilisez votre voix pour vous battre pour les Afghanes qui sont réduites au silence.“ Cette année encore, les Petites Glo, utilisons nos voix et continuons de nous battre pour celles qui n’en ont plus. Un immense merci à Mushtari et Freshta qui ont accepté de répondre à mes interviews, à Serena (@simplyserenaa) et Amena (@afghanyouth_to) qui m’ont permis de les réaliser, et à la cousine de Mushtari qui a gentiment traduit ses propos. Les recommandations de ChloéPour mieux comprendre qui sont les talibans et ce qui se passe actuellement en Afghanistan, vous pouvez lire cet article de France Info. Je vous conseille aussi de regarder le replay du reportage bouleversant “Les rêves brisés des Afghanes“ de Pierre Monégier, Sandra Calligaro, Jamail Baseer et Mikaël Bozo, diffusé jeudi dernier dans l’émission Envoyé spécial. Les journalistes ont notamment suivi Atifa, élève brillante de 14 ans passionnée par le dessin, qui a réussi à rejoindre la France avec sa famille. « 20% des garçons occupent 80% de la surface en s’appropriant l’espace central pour jouer au foot.“ Et si l’heure était enfin venue de dégenrer les cours de récré ? Cette année, vous avez peut-être décidé d’arrêter de vous habiller dans les enseignes de fast fashion. Sur Marieclaire.fr, la journaliste Alexandra Pizzuto présente sept fashion activistes à suivre pour une mode responsable. Éclairant ! De jeudi à dimanche, vous pourrez flâner au WeToo Festival, un événement féministe, familial et inclusif qui aura lieu au Ciné 104 et à la Cité Fertile à Pantin (dans le 93). Pour finir sur une note très (très très) légère, Topito a conçu le test “Quelle fourniture scolaire es-tu ?“. Vous vous doutez bien que je l’ai fait. Bon, je suis le tube de colle UHU. Va falloir faire avec. Les dernières newsletters Gloria MediaLa grande victoire des femmes de chambre qui ont lutté contre l’industrie hôtelière, Impact, 29 août 2021 Comment ne pas être exactement là où on t’attend ? Une conversation avec Fanny Ruwet, Les Glorieuses, 18 août 2021 Elles ont un plan, Economie, 26 juillet 2021 |
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