Vous pouvez lire la newsletter en ligne ici – https://lesglorieuses.fr/eco-anxiete/ Depuis huit ans, Cláudia Agostinho mène des batailles juridiques contre de puissants gouvernements européens. Enragée par leur inaction face aux ravages du changement climatique sur les endroits et les personnes qu’elle aime, cette jeune infirmière, avec ses frères et sœurs et ses cousin·es, a lancé une série d’actions en justice pour demander des comptes aux responsables. Après avoir d’abord saisi la Cour européenne des droits de l’homme dans le cadre d’une action collective contre 33 pays pour inaction climatique, ces jeunes activistes se sont vu répondre que leur requête était irrecevable, faute d’avoir d’abord épuisé les recours devant les tribunaux portugais. Aujourd’hui, le groupe a déposé une nouvelle plainte au Portugal pour contraindre le gouvernement à poser des objectifs de réduction d’émissions plus ambitieux, conformément à l’Accord de Paris. Cláudia Agostinho confiait au Guardian en 2022 : “J’ai été poussée à agir par l’anxiété que je ressens face à ce qui se passe et ce qui arrivera si nous ne faisons rien. Maintenant, nous souffrons de nouveau de la chaleur ici et je me demande : Est-ce que j’ai vraiment envie de mettre des enfants au monde s’il n’y a pas d’avenir désirable pour eux ?” La jeune femme n’est pas seule. Le Portugal affiche parmi les taux d’éco-anxiété les plus élevés d’Europe — en particulier chez les jeunes, et plus encore chez les femmes. Une nouvelle étude le confirme : au Portugal, les femmes déclarent des niveaux d’éco-anxiété nettement supérieurs à ceux des hommes. Elles sont aussi plus susceptibles d’agir pour le climat. Ce lien entre angoisse et action révèle une vérité importante, que le parcours d’Agostinho illustre bien. L’éco-anxiété est parfois reléguée au rang de névrose : un trouble attribué à des ados hystériques ou à des activistes obsédé·es par l’apocalypse. Certaines personnes la considèrent comme un problème de santé mentale qu’il faudrait apaiser ou soigner. Pourtant, la recherche confirme de plus en plus ce que nombre d’entre nous pressentons : l’éco-anxiété est une réaction normale face à une crise dévastatrice et peut devenir un levier d’action positif. Voici La PreuveQue nous dit réellement la recherche ? Une nouvelle étude analyse enfin les chiffres. Clara Kühner et ses collègues ont analysé 94 études consacrées à l’éco-anxiété, couvrant un total de 170 747 personnes dans 27 pays. Elles ont évalué les liens entre l’éco-anxiété et plus de trente autres facteurs : âge, genre, traits de personnalité, orientation politique, valeurs environnementales, connexion à la nature, exposition personnelle perçue aux impacts climatiques et confiance dans le consensus scientifique. Les résultats montrent que l’éco-anxiété est nettement plus fréquente chez les personnes plus jeunes, s’identifiant comme femmes, de gauche, plus sensibles sur le plan émotionnel, fortement connectées à la nature et profondément inquiètes pour l’avenir et l’environnement. La recherche révèle que, si l’éco-anxiété est corrélée négativement au bien-être, elle est en revanche liée positivement à l’action climatique. “C’est une lame à double tranchant”, explique Clara Kühner. “L’éco-anxiété peut nuire au bien-être, mais elle peut aussi devenir un moteur d’engagement pour le climat.” Les chercheuses ont également constaté que l’éco-anxiété se distingue conceptuellement de l’anxiété généralisée. “Ce n’est pas un diagnostic clinique”, précise l’autrice. “C’est essentiel, car on la présente parfois comme une maladie, une pathologie à soigner. Or ce n’en est pas une : c’est une réaction naturelle face à une menace réelle. C’est normal ; en fait, ce qui est étrange c’est de ne ressentir aucune angoisse ou inquiétude face à ce qui est en train d’arriver.” Existe-t-il des éléments qui expliquent pourquoi les femmes ressentent plus d’éco-anxiété que les hommes ? “Nous ne pouvons proposer que des explications provisoires, parce que très peu d’études explorent les mécanismes à l’œuvre. Mais il existe plusieurs hypothèses,” explique Clara Kühner. Premier aspect crucial : les valeurs. Les femmes obtiennent généralement des scores plus élevés sur ce que la chercheuse appelle les valeurs biosphériques (souci de la nature et de l’environnement) et altruistes (souci d’autrui, y inclus des enfants et des générations futures). “Les femmes sont souvent plus impliquées dans les rôles de soin et d’entraide communautaire, ce qui augmente leur préoccupation pour les générations futures et le bien-être collectif”, ajoute Mariana Pinho, qui a publié l’étude portugaise. Vient ensuite la vulnérabilité. “Les femmes sont plus vulnérables aux conséquences du changement climatique. Par exemple, elles ont moins de chances de survivre à une catastrophe naturelle. Elles ont aussi moins d’indépendance financière, ce qui peut renforcer l’impact des effets climatiques sur elles”, précise Clara Kühner. “Dans des pays comme le Portugal, explique Mariana Pinho, où l’exposition aux risques climatiques est élevée, l’expérience collective des impacts liés au climat accroît l’inquiétude et la sensibilité du grand public. Et les femmes sont plus susceptibles d’être précaires, notamment dans des secteurs sensibles au climat comme le tourisme ; elles peuvent donc voir leurs moyens de subsistance directement menacés, ce qui renforce encore leur anxiété.” Troisième piste d’explication : les comportements écologiques sont perçus comme féminins. Les femmes adoptent généralement des pratiques plus respectueuses de l’environnement – je vous en parlais le mois dernier. “Une branche de la recherche montre que des hommes considèrent parfois les comportements pro-environnementaux comme féminins, raconte Clara Kühner. Cela pourrait expliquer pourquoi les hommes mangent plus de viande, par exemple, parce qu’ils estiment qu’il serait “féminin” de ne pas en manger. Se soucier de l’avenir de la planète ou des autres personnes, ou admettre : “J’ai peur”, ne correspond pas à leur stéréotype de ce qu’est un homme.” Ce que ça veut direCe dernier point est particulièrement révélateur. L’action environnementale est associée au soin, à l’empathie et à l’honnêteté émotionnelle. Serait-elle donc perçue comme une menace pour des idées traditionnelles (et souvent masculines) de pouvoir et de rationalité ? Cela crée une impasse. Les personnes les plus touchées par la crise climatique – et les plus conscientes de ses risques – sont aussi celles dont les préoccupations sont le plus facilement délégitimées dans certains recoins d’internet, de la presse et même par des responsables politiques. Leur anxiété est minimisée, voire tournée en dérision, alors qu’elle constitue peut-être la réaction la plus rationnelle possible et un puissant indicateur, voire moteur, de l’action climatique – dont nous avons urgemment besoin. Alors, comment contrer ces récits ? “Nous devons répéter, encore et encore, que l’éco-anxiété n’est pas pathologique ; c’est une réaction normale face à une menace bien réelle, affirme Clara Kühner. Je m’inquiéterais davantage pour une personne qui dirait : “Je m’en fiche complètement”, car il est évident que cette personne n’a pas compris ce qui est en train de se passer.” Cela implique de normaliser l’éco-anxiété. Pour Clara Kühner, si des figures publiques de confiance parlaient honnêtement de leurs propres peurs climatiques, elles pourraient aider à changer les normes sociales et encourager davantage de personnes à parler de leurs inquiétudes pour l’avenir – et peut-être à les transformer en action. Bien sûr, cela doit se faire avec attention. Cela demande de créer des espaces — dans les écoles, les lieux de travail et au-delà — où les personnes peuvent parler de leurs peurs et trouver des moyens d’agir. Un projet auquel je participe attire l’attention sur l’urgente nécessité de soutenir les enseignant·es pour comprendre et gérer l’éco-anxiété – pour ensuite expliquer la crise aux jeunes d’une façon qui permette d’exprimer de la peur, de la colère ou du doute, et qui offre des façons concrètes d’agir, qu’il s’agisse d’aider l’école à devenir accroître sa biodiversité ou sa résilience ou de découvrir des métiers autour de la transition environnementale. Clara Kühner et son équipe soulignent également que l’éducation au climat doit être rigoureuse, à l’écoute des émotions et prendre le problème au sérieux. “Des interventions qui se contentent d’améliorer le bien-être individuel, par exemple en évitant le sujet du changement climatique, ne sont pas appropriées”, écrivent les chercheuses. Au contraire, l’éducation devrait aider les personnes à comprendre la crise et leur donner des outils pour y répondre — à la fois sur le plan émotionnel et pratique. ![]() Les études du moisVoici les autres études qui font l’actualité ce mois-ci : 🤖 Une nouvelle étude (pas encore évaluée par les pairs) constate que les grands modèles de langage, tels que ChatGPT, conseillent systématiquement aux femmes de demander des salaires plus bas que les hommes, même lorsque leurs qualifications sont identiques. 🏥 En général, les femmes vivent plus longtemps que les hommes. Mais ce n’est pas le cas pour les soignant·es, d’après une enquête américaine. La situation est encore plus défavorable pour les médecins femmes et noires. ✈️ Une femme sur trois dans les secteurs de l’aviation au Royaume-Uni et en Irlande a subi une agression sexuelle au travail, d’après une enquête du syndicat Unite. ![]() Un événement exclusif pour les abonné·esDans un précédent numéro de La Preuve, nous nous sommes entretenus avec Mathilde Rainard, chercheuse en doctorat sur le genre et la transition énergétique, sur les preuves qui existent concernant l’empreinte carbone et l’écart entre les hommes et les femmes. Dans cet événement en ligne exclusif pour les abonné·es, Megan Clement, rédactrice en chef de la newsletter La Preuve, s’entretient avec Mathilde Rainard pour approfondir sur ce sujet. Comment expliquer que les hommes aient un impact plus important sur l’environnement que les femmes ? Quel est le vrai problème ? C’est jeudi 31 juillet à 17h en ligne. ![]() Dites-nous ce que vous aimeriez lire !Nous aimerions savoir ce que vous pensez de La Preuve. 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