27 juin 2022 La fin de Roe v Wade, le début de la criminalisation des fausses couches ? par Catesby Holmes Maintenant que la Cour suprême des États-Unis a annulé Roe v Wade, les patientes qui font des fausses couches pourront faire les frais du mouvement anti-avortement américain. « Ce que nous allons voir, c’est un grand nombre d’États qui diront que toute perte fœtale après six semaines est suspecte et doit être signalée, et [que la personne] doit faire l’objet d’une enquête », déclare Carmel Shachar, bioéthicienne et juriste à l’Université de Harvard. Pendant des décennies, les États-Unis ont garanti l’accès à l’IVG jusqu’au point de viabilité du fœtus – entre 24 et 28 semaines – en vertu de la décision de la Cour suprême de 1973. Mais les juges conservateurs et conservatrices de la plus haute cour du pays ont renversé ce précédent, ce qui signifie que la moitié de tous les États américains pourraient interdire ou restreindre sévèrement la procédure. L’avortement est déjà illégal dans neuf États, dont le Missouri, le Kentucky et la Lousiane, et douze autres États devraient suivre dans les semaines à venir. Les fausses couches, également appelées avortements spontanés, surviennent dans 15 % des grossesses connues. Environ un million de femmes américaines font une fausse couche chaque année. La majorité des fausses couches surviennent au début de la grossesse, avant la 13e semaine. Celles-ci peuvent engendrer des douleurs du ventre et des saignements, mais certaines personnes qui font des fausses couches n’ont aucun symptôme et n’apprennent que la grossesse est terminée uniquement lorsqu’une échographie ne montre aucune activité cardiaque du fœtus. C’est ce qu’on appelle une « fausse couche incomplète » – et c’est un scénario qui pourra mettre une personne en danger face aux lois anti-avortement dans les États-Unis de l’après-Roe. Emily Scibetta, gynécologue-obstétricienne en Californie, explique que si le corps ne finit pas par éliminer le tissu fœtal de lui-même, les victimes d’une fausse couche incomplète ont deux options. La première consiste à prendre des médicaments – la mifepristone, un inhibiteur de la progestérone, et le misoprostol, un inducteur de crampes, alias « la pilule abortive ». L’autre est une dilatation et curetage – un avortement chirurgical. Certain·e·s peuvent finalement devoir à la fois utiliser des pilules et subir une dilatation et un curetage. Étant donné que les fausses couches et les avortements volontaires impliquent souvent les mêmes traitements, les personnes qui cherchent à obtenir des soins médicaux pour une fausse couche précoce dans les États anti-avortement pourraient être interrogées par les autorités. « Si vous avez fait une fausse couche à six semaines, huit semaines, dix semaines », dit Shachar, la question devient : “Avez-vous eu un avortement illégal ? » L’interrogatoire – et la crainte des médeciens et médeciennes d’enfreindre la loi – est plus qu’inconfortable pour les patient·e·s ayant fait une fausse couche. Il peut retarder les soins médicaux. Et si les complications graves d’une fausse couche, comme une hémorragie ou une infection septique, sont rares – peut-être 1 à 2 % des cas, selon l’American College of Obstetricians and Gynecologists – elles nécessitent des soins d’urgence. « Cela pourrait prendre des heures », a déclaré Scibetta, en parlant de la rapidité avec laquelle ces conditions peuvent tuer un·e patiente si elles ne sont pas traitées. Dans certains cas d’hémorragie ou de septicémie, le fœtus peut encore avoir un battement de cœur, mais la grossesse est condamnée – et la patiente aussi, si son utérus n’est pas évacué. Mais pour certains membres du personnel médical anti-avortement, un battement de cœur au moment d’une fausse couche représente le même problème éthique ou moral qu’ils ont avec l’avortement. Même en Californie, qui dispose de fortes protections, Scibetta s’est heurtée à ce problème. Un jour, elle a transporté d’urgence une femme enceinte avec une « perte de sang excessive » à la salle d’opération et a été interrogée par une infirmière qui a fait remarquer « qu’il y a encore un battement de cœur ». “J’ai répondu : « Oui, il y en a un – dans ma patiente sur la table »,” raconte Scibetta. Elle a dit à l’infirmière qu’il n’y en aurait bientôt plus si la patiente ne se faisait pas opérer. Dans ce cas, la loi a permis à la patiente de Scibetta de bénéficier d’une intervention chirurgicale qui lui a sauvé la vie. Maintenant, les États américains interdisant l’avortement permettront techniquement de réaliser la procédure pour sauver la vie de la mère, mais les critiques disent que l’exception est si étroite que les médecins et médeciennes qui craignent pour leur responsabilité légale pourraient ne pas utiliser cette exception. Les fausses couches pourraient également avoir des ramifications juridiques. Shachar prévoit que dans les juridictions avec un·e « procureur·e anti-avortement très zélé·e », certain·e·s patient·e·s victimes de fausse couche se verront accusé·e·s de s’etre fait avorté·e.s Les législateur·ice·s anti-avortement de plusieurs États, dont le Kansas, ont déjà tenté de faire passer des lois obligeant les responsables médicaux à signaler les fausses couches. Et une histoire d’application inégale de la loi aux États-Unis suggère que certaines fausses couches sont plus susceptibles d’être jugées suspectes. « Les personnes de couleur, les personnes qui ont des difficultés financières, les résident·e·s des communautés rurales, les immigré·e·s et les personnes trans, non-binaires et non-conformes au genre font face de manière disproportionnée au risque de criminalisation pour le résultat de leur grossesse », selon une note recemment diffusée par le groupe de défense Physicians for Reproductive Health, partagée avec Impact. Dans certains endroits, des femmes se font déjà arrêter pour avoir subi des fausses couches. En avril 2022, Lizzie Herrera a été arrêtée et emprisonnée au Texas pour avoir « intentionnellement et en toute conscience causé la mort d’un individu… par avortement auto-induit » après avoir été hospitalisée pour des complications de grossesse. Cela s’est produit même si la nouvelle loi restrictive du Texas sur l’avortement à six semaines exclut toute punition pour les femmes qui se font avorter (elle vise plutôt les personnes qui font des avortements). Les charges ont été abandonnées. Il existe également des précédents en dehors des États-Unis. Le Salvador, où l’avortement est illégal, accuse régulièrement d’homicide les femmes qui font une fausse couche ou qui donnent naissance à un enfant mort-né. L’année dernière, la famille de Manuela, une Salvadorienne de 33 ans condamnée à 30 ans de prison après une mort à la naissance, a gagné un procès devant la cour interaméricaine des droits humains. La cour a statué que le traitement du Salvador de Manuela, qui est décédée en prison en 2010, violait divers droits, notamment le droit à la santé sans discrimination, le droit à la vie privée et le droit à l’égalité. Le tribunal a ordonné au Salvador de verser des dommages et intérêts à la famille de Manuela et de « prendre les mesures nécessaires pour garantir des soins complets en cas d’urgences obstétriques ». Le Salvador doit également rendre public le jugement rendu à son encontre, en informant tous et toutes les Salvadorien·ne·s des droits humains que son interdiction de l’IVG viole. « Le Salvador est l’exemple ultime de la raison pour laquelle une interdiction de l’IVG peut entraîner la poursuite injustifiée des fausses couches », déclare Juliet Sorensen, professeure de droits humains à l’Université Northwestern, témoin indépendante soutenant l’argument de la famille de Manuela. Selon Sorensen, l’interdiction de l’avortement « criminalise un choix personnel et privé lié à l’intégrité corporelle et n’englobe dans son champ d’application que les personnes qui ont la capacité physique de tomber enceintes ». Comme le savent les Salvadorien·ne·s, ces individus sont victimes d’un acte d’harcèlement basé sur leur sexe à un moment de fragilité médicale et de vulnérabilité émotionnelle, et peuvent se retrouver en prison rien que pour une fausse couche. Les Américain·e·s pourraient bientôt apprendre la même leçon, selon Shachar. Maintenant que Roe contre Wade est tombé, dit-elle, « vous verrez qu’il y aura certains endroits où il sera dans les faits illégal de faire une fausse couche. » — Catesby Holmes est une journaliste indépendante basée aux États-Unis. Cet édition d’Impact a été préparé par Megan Clement, Catesby Holmes et Steph Williamson. Impact est produite par Gloria Media et financée par New Venture Fund Abonnez-vous à nos newsletters : Les Glorieuses / Économie / Les Petites Glo Soutenez un média féministe indépendant en rejoignant Le Club. |
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