Cette newsletter vous a été transférée ? Et vous aimez tellement que vous souhaitez vous inscrire ? C’est ici ! 20 février 2023 “Le backlash anti-féministe a été vraiment brutal” : la Corée du Sud fait volte-face sur l’égalité Par Megan Clement Vous n’avez qu’une minute pour lire cette newsletter ? En voici le contenu en très – très – bref :
Lisez la suite pour en savoir plus. Et si vous voulez rester à jour sur les mobilisations féministes dans le monde, suivez-nous sur Twitter et Instagram. Speak English ? La newsletter est aussi disponible en anglais : L’année dernière, Yoon Suk-yeol a été propulsé vers la présidence de la Corée du Sud en surfant sur une vague d’anti-féminisme dans le pays. Pendant sa campagne, Yoon a profité de la montée réactionnaire face à ce qui était jusque-là l’un des mouvements féministes les plus florissants d’Asie. Dans les années qui ont précédé cette élection choc, les militant·e·s ont gagné de nombreuses victoires pour les femmes, allant de peines plus lourdes contre les caméras cachées pornographiques à la légalisation de l’avortement et une prise de conscience sur les agressions sexuelles au travail qui a évincé un potentiel candidat à la présidentielle. Qu’est-ce qui a mal tourné ? Dans le cadre de son métier de journaliste pour le bureau de Séoul de l’Agence France Presse, Hawon Jung a été aux premières loges de la montée en puissance des nouveaux mouvements féministes sud-coréens, et du retour de bâton qui a suivi. Dans son nouveau livre, Flowers of Fire, elle documente cinq ans de changements qui ont bouleversé le rôle des femmes dans le pays, du moment ou la procureure Seo Ji-hyun a parlé de son agression sexuelle à la télévision nationale et a par inadvertance amené le mouvement #MeToo en Corée du Sud, à l’élection quatre ans plus tard d’un candidat donc la principale promesse de campagne était d’abolir le ministère de l’égalité des genres. Dans son récit, Hawon Jung dresse le portrait les militant·e·s féministes “bruyantes et débridé·e·s” comme Seo ou comme Witch, qui après avoir survécu à un viol forme les femmes à lutter contre les attaques pour “fausses accusations” quand elles dénoncent des violences sexuelles ; et Park Ji-Hyun et Won Eun-Ji, un duo d’étudiantes qui découvrent un réseau criminel d’exploitation sexuelle dans des salons de discussions en ligne. J’ai discuté avec la journaliste du portrait plein de vie qu’elle brosse des luttes féministes dans un pays qui est souvent évincé des débats mondiaux sur le féminisme. Cet entretien a été édité et raccourci dans un souci de clarté. Les personnes inscrites à la newsletter peuvent gagner une copie electronique de Flowers of Fire en répondant directement à ce mail. Bonne chance ! Megan Clement : Quelles sont les conditions qui ont conduit le mouvement #MeToo à devenir si important en Corée du Sud et à avoir un tel impact ? Hawon Jung : Une partie de la raison est l’éducation. Les femmes sud-coréennes sont parmi les personnes les plus éduquées au monde. C’est un changement remarquable par rapport à il y a 40 ans. Plus de 70 % des jeunes femmes vont à l’université de nos jours, alors que pour la génération de leurs mères, qui ont atteint la majorité dans les années 80, c’était moins de 25 %. Donc les femmes devenaient de plus en plus éduquées et elles ont eu ce nouveau langage pour définir les oppressions de genre auxquelles elles sont confrontées, comme le patriarcat, la discrimination sexuelle et la misogynie. Elles cherchaient aussi à s’imposer dans tous ces domaines jusqu’alors dominés par les hommes et dans lesquels la génération de leurs mères avait très peu de chance d’accéder. Mais dans le même temps, la culture, dominée par les hommes, en particulier sur les lieux de travail et en politique, est restée relativement inchangée. La Corée du Sud a enregistré le plus grand écart de rémunération entre les genres parmi les pays membres de l’OCDE chaque année au cours des 26 dernières années. Et le pays a été classé au bas de l’indice du plafond de verre par le magazine The Economist chaque année depuis sa création. Une fois que les femmes ont obtenu leur diplôme universitaire et essaient d’entrer dans la société au sens large, elles sont soudainement bloquées par cette discrimination et ce sexisme qui ont relativement peu changé. Je pense donc qu’il y avait un très haut niveau de frustration et beaucoup de ressentiment à propos du système qui s’étaient manifestés chez beaucoup de femmes, et #MeToo leur a vraiment donné un puissant cri de ralliement, un slogan derrière lequel se Megan Clement : Pourquoi pensez-vous que le retour de bâton a été si puissant, y compris l’élection de Yoon Suk-yeol avec un programme clairement anti-féministe ? Hawon Jung : Je pense qu’il y avait un certain ressentiment, surtout chez les hommes jeunes, parce que les mouvements féministes des dernières années étaient largement menés par des jeunes femmes. Chez les hommes de la même génération, il y avait de la rancœur, l’impression d’être désormais victimes eux-mêmes de discrimination, ou d’être des victimes de leur époque. Le mouvement #MeToo a donné une voix aux jeunes femmes et a provoqué des changements dans les rapports de genres du pays sans précédent. Il y avait clairement un sentiment de colère chez les jeunes hommes, mais avant, cette colère restait cantonnée aux réseaux sociaux et ne débordait jamais vraiment des forums de discussion en ligne, ou de ce que j’appelle les communautés digitales masculines. Mais un jeune membre du Parti du Pouvoir au Peuple (PPP), un parti conservateur, a vu ce virage à droite chez beaucoup d’hommes de sa génération et il en a fait une stratégie politique bien à lui. Cet homme s’appelle Lee Jun Seok. Le parti a vu à quel point il pouvait être utile de donner la parole à cette génération d’hommes et d’en faire un puissant bloc électoral. Toute cette vague réactionnaire anti-féministe était vraiment vicieuse en termes d’ampleur et elle est arrivée si vite que beaucoup de gens dans le pays ont été vraiment choqués. Megan Clement : C’est absolument extraordinaire. Et ça m’a fait penser à beaucoup des conversations autour du féminisme aux États-Unis et en Europe. Avec la chute de Roe v Wade et le ralentissement du mouvement #MeToo, nous avons vu circuler la théorie selon laquelle les féministes s’y sont mal prises et que le backlash serait de leur faute, parce qu’elles ont utilisé le mauvais langage ou les mauvaises tactiques : c’est parce que nous n’avons pas emmené les hommes avec nous ou parce que nous n’avons pas fait attention aux bonnes choses, parce que nous étions trop extrêmes ou trop “woke”. Existe-t-il des arguments similaires dans le contexte sud-coréen ? Hawon Jung : Je pense que c’est pareil partout. Quand je partage des articles sur les droits des femmes en Corée du Sud sur les réseaux sociaux, je reçois parfois des commentaires d’hommes aux États-Unis ou au Royaume-Uni, qui disent : “C’est ça le vrai féminisme, pas comme les féminazis dans notre pays. C’est ça le vrai militantisme féministe.” Et j’ai une impression de déjà vu parce que c’est exactement ce que disent beaucoup d’hommes en Corée du Sud quand ils voient des manifestations dans des pays comme l’Inde, quand des femmes marchent contre les violence sexistes ou les crimes d’honneur. Ils disent: « Ça c’est du vrai activisme féministe, pas comme ce qui se passe en Corée du Sud. » Et quand je demande à mes ami·e·s en Inde ce qu’elles en pensent, elles me disent : “Nous ne manquons pas d’hommes qui disent exactement la même chose mais à propos de l’Afghanistan ou de l’Arabie Saoudite.” C’est la même histoire partout – il y a beaucoup de réactions négatives et de résistance de la part de personnes qui utilisent la souffrance des femmes et les luttes des féministes d’autres pays comme un bâton pour battre les féministes en face d’elles. Je suis convaincue qu’il y a beaucoup de choses que les féministes et les militant·e·s des droits des femmes auraient pu faire mieux ou différemment. Et il y a des femmes sud-coréennes qui pensent : “Qu’est-ce que nous avons fait de mal pour mériter ces choses ?” Mais je ne pense pas que ce soit entièrement la faute des féministes… C’est un schéma historique. Dans l’histoire des mouvements féministes des dernières décennies ou siècles, il y a toujours un pas en avant, suivi de deux pas en arrière, un brin de progrès suivi d’années de backlash. C’est arrivé aux États-Unis, c’est arrivé au Royaume-Uni, et maintenant le schéma se répète en Megan Clement : Comment vont les militant·e·s féministes que vous avez décrites dans le livre ? Comment réagissent-elles à cette période de retour de bâton ? Hawon Jung : Pour ne rien vous cacher, elles traversent une période difficile. Ce sont des moments difficiles pour tout le monde. Certaines d’entre elles ont perdu leurs emplois, d’autres ont vu leurs soutiens s’affaiblir au cours de l’année écoulée. Par exemple, Seo Ji-hyun, la procureure – après avoir pris la parole, elle est devenue coordinatrice des politiques de genre au ministère de la Justice et a joué un rôle central dans le passage de nouvelles lois historiques, comme la hausse de l’âge du consentement et des lois pour lutter contre les crimes sexuels en ligne. Elle a créé une équipe technique très importante avec un groupe d’expert·e·s, dont deux ancien·ne·s journalistes de campus qui avaient révélé des crimes d’extorsion sexuelle. Mais après l’arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement, elle a été forcée de quitter son poste. Elle a quitté le ministère de la Justice, et l’équipe de travail contre les crimes sexuels numériques s’est également effondrée. Certaines victimes d’agressions sexuelles disent maintenant qu’elles ont trop peur pour parler. C’est ce que j’ai entendu de certain·e·s activistes pour les droits des femmes, dont Witch. La réaction anti-féministe fait vraiment des ravages. Megan Clement : Vous avez écrit dans le New York Times, ainsi que dans votre livre, que les femmes font la “grève des ventres” malgré un taux de fécondité très bas en Corée du Sud. Est-ce l’une des seules manières qu’il reste pour les femmes de protester en ces temps de backlash – refuser de participer au travail reproductif ? Hawon Jung : Pour être honnête, cette tendance dure depuis un certain temps. Le taux de natalité en Corée du Sud baisse presque sans arrêt depuis plus de dix ans maintenant. La raison est en grande partie le fardeau disproportionné des tâches domestiques et de la parentalité que subissent les femmes mariées dans les familles sud-coréennes, et qui est si profondément ancré. Et il y a une discrimination incessantes dans les entreprises sud-coréennes contre les mères qui travaillent et les femmes mariées. Une partie du refus de se marier ou de donner naissance est une stratégie de survie désespérée. Quand les entreprises discriminent les femmes ou les mettent à l’écart des promotions ou même pendant le processus de recrutement, l’une des excuses courantes qu’elles utilisent est que les femmes ne pourront pas travailler plus longtemps une fois mariées ou une fois qu’elles auront un enfant. Donc, beaucoup de femmes se disent : “OK, alors on ne se mariera pas, et on n’aura pas d’enfants. Qu’est-ce que vous en dites ?” Bien sûr, ça ne veut pas dire que le sexisme au travail disparaîtra pour elles. Beaucoup de femmes sont encouragées à démissionner ou à se mettre à l’écart des promotions quand elles atteignent la quarantaine parce que la plupart des managers pensent que les hommes ont besoin de ces opportunités pour subvenir aux besoins économiques de leur famille. Mais au moins, elles arrivent jusqu’à la quarantaine, et ce ne sera peut-être pas le cas si elles se marient et accouchent quand elles ont 30 ans. Les jeunes femmes font face à des coutumes familiales et les traditions patriarcales qui refusent d’évoluer et n’ont pas suivi l’évolution de la vision du monde des femmes au fil des années. Megan Clement : Je pose une version de cette question à toutes les personnes que j’interviewe : nous savons que le militantisme féministe est un travail très dur et parfois dangereux et qu’il y a toujours un risque de retour de bâton violent, ce qui est exactement ce qui se passe actuellement en Corée du Sud. Qu’est-ce qui fait tenir les militant·e·s que vous décrivez face à toutes ces difficultés ? Et qu’est-ce qui vous motive dans le travail que vous faites ? Hawon Jung : Beaucoup [de femmes] ont dit qu’elles ne faisaient pas ce travail parce qu’elles voulaient le faire, mais parce qu’il leur était impossible de ne rien faire. Pour la procureure qui a déclenché le mouvement #MeToo, il lui a fallu huit ans après l’agression sexuelle pour oser en parler. Elle a dit qu’elle ne voulait vraiment pas le faire, passer à la télévision en direct pour raconter ça à la nation entière. Mais elle a dit que c’était impossible [de ne rien faire] et qu’elle n’en pouvait plus. Pour Witch, la victime de viol devenue militante, après avoir pris la parole sur les réseaux sociaux et s’être fait un nom en tant que militante, elle a dit qu’elle voyait d’autres femmes qui n’avaient absolument aucun espoir auparavant et qui disaient : « Ma vie a changé grâce à vous. » Et elles le font pour celles qui les suivront. Malgré tout, il y a ce sentiment d’espoir que si elles se battent, si elles se mettent à agir, aussi petits que soient les changements qu’elles entraînent, aussi insignifiants qu’ils puissent paraître de l’extérieur, ce sentiment d’espoir est ce pour quoi elles continuent de se battre. Quant à ce qui me fait avancer : je suis féministe, mais avant d’être féministe, je suis journaliste et j’ai suivi ce mouvement féministe parce que c’était une histoire qui valait la peine d’être racontée. C’est un aspect moins connu d’un pays qui est plus connu pour sa géopolitique, sa technologie ou sa culture. C’était une histoire dont beaucoup de gens à l’extérieur du pays pourraient s’inspirer, surtout à notre époque, où beaucoup de gens sont influencés par ce que des personnes font dans d’autres pays, qu’il s’agisse des manifestations noires contre l’interdiction de l’avortement en Pologne, l’activisme de #NiUnaMenos en Amérique Latine, ou #metooinceste en France. Je me suis dit que peut-être ce livre et les histoires de ces femmes pourraient faire la même chose pour les femmes dans d’autres recoins du monde. Je trouve que c’est incroyable de voir comment les femmes de différentes parties du monde peuvent s’influencer mutuellement, d’autant plus que les histoires de femmes asiatiques et de féministes asiatiques semblent être très solitaires en Occident. Dans les conversations mondiales sur le féminisme, les histoires de ces femmes en Asie semblaient être relativement ignorées et principalement passées sous silence. Première fois par ici ? Impact est une newsletter hebdomadaire de journalisme féministe, dédié aux droits des femmes et des minorités de genre dans le monde entier. Chaque mois, nous publions un bulletin d’actualité sur les droits des femmes et des personnes LGBTQIA+, un entretien, un reportage et un essai de notre rédactrice en chef. Ceci est la version française de la newsletter ; vous pouvez lire la version anglaise ici. Megan Clement est la rédactrice-en-chef de la newsletter Impact. Anna Pujol-Mazzini est la traductrice. Agustina Ordoqui prépare le bulletin mensuel et rédige les posts d’actualité sur les réseaux sociaux. La newsletter est financée par New Venture Fund et produite par Gloria Media, basée à Paris. Gloria Media est dirigée par sa fondatrice, Rebecca Amsellem. Gloria Media remercie ses partenaires pour leur Abonnez-vous à nos autres newsletters : Les Glorieuses / Économie / Les Petites Glo |
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