Les titres ne veulent pas dire grand chose. « Docteur », « Monsieur le Recteur », ou le plus médiatisé « Monsieur le Président »… A mon sens, ce qui fait l’autorité d’une personne relève de ce qu’elle accomplie chaque jour dans sa fonction. Aussi, pour prendre l’exemple de docteur·e universitaire, la légitimité tient, pour ma part, à la rigueur employée pour mener à bien une recherche.
Bien sûr, ce n’est pas si simple. Il existe des règles. Nous avons mis en place un processus qui fait que le titre de « docteur·e » est conféré à une personne qui a consacré plusieurs années à se tirer les cheveux sur un sujet qui va probablement intéresser trois personnes et demie – ça, évidemment, on ne le découvre qu’après avoir terminé de rédiger sa thèse et après avoir avalé l’équivalent de son poids en crocodiles Haribo.
Un des grands principes que l’on apprend lorsqu’on est doctorant·e est de faire soi le principe de « doute ». On doit constamment douter de sa méthodologie pour développer l’argumentaire le plus pertinent possible, on doit douter de son sujet pour être sûr·e du périmètre choisi et on en vient – assez naturellement donc – à douter de son autorité sur un sujet auquel on a consacré beaucoup trop de temps (en ratio perte de cheveux et personnes intéressées).
Le seul élément tangible qui ressort de ce processus est le titre qu’on donne à la fin. Au terme d’une soutenance de plusieurs heures, un panel d’universitaire vous donne le titre de « docteur·e ». Dans le monde anglo-saxon, il est ensuite naturel de brandir ce titre sur sa boîte aux lettres, sa carte bleue, sa carte de visite et… son compte Twitter (j’imagine pour compenser la perte capillaire et la prise pondérale).
Aussi, lorsque le Boston Globe a décidé de supprimer dans ses articles la notification du titre de « Dr » pour les personnes sauf pour celles qui exercent la médecine, Dr Fern Riddell a tweeté « Mon titre est Dr Fern Riddell, pas madame ou mademoiselle Riddell. J’ai reçu ce titre parce que je suis une experte et que ma vie et ma carrière dépendent de cette expertise de plein de manières différentes. J’ai travaillé dur pour gagner cette autorité, et je ne compte pas l’abandonner ».
Les réactions « à côté de la plaque » ne se font pas attendre. Les 48 heures suivantes de Dr Fern Riddell sont rythmées par des « ce que vous avez dit peut ‘légitimement être considéré comme étant immodeste’ », « vous êtes ’vulgaire’ », « vous manquez d’ ‘humilité’ ».
Parce que c’était une femme, une communauté sur Twitter lui interdisait de revendiquer son titre de « docteure ». Elle aurait pu refermer son ordinateur, se refaire une tasse de thé. Au lieu de ça, elle a fait comme Teresa Shook, April Reign, ou encore Manal al-Sharif avant elle, elle a créé un hashtag, #ImmodestWomen (femmes immodestes).
Il serait faux de dire que les hashtags font des révolutions. Il serait également faux d’affirmer que Twitter est libérateur pour les dominé·e·s. Les discriminations subies dans le monde « réel » sont tout aussi présentes sur les réseaux sociaux. Elles sont d’ailleurs souvent exacerbées tant l’anonymat rend les gens stupides. Néanmoins, rendons à Chris Messina ce qui ne lui appartient pas (cette blague ne fera rire que les lectrices et les lecteurs de « Le vendeur de thé qui changea le monde avec un hashtag », François Saltierl, Flammarion, désolée), ces outils permettent de créer un « point de départ » à une conversation que la société redoutait d’avoir. Dr Fern Riddell explique ainsi « Je n’avais pas prévu de révolution, mais c’est devenu un appel aux armes pour les expertes du monde entier. Mon agenda est désormais plein de femmes avec leurs titres et leurs expertises fièrement exposées, soutenues par des hommes à la fois dans et en dehors de leurs industries, et je ne pourrais pas être plus surprise et excitée de voir ce qu’elles font ensuite ».
Pour créer un monde pleinement égalitaire, nous (oui les hommes, les femmes, tout le monde), rappelle Dr Fern Riddell, « avons plus que jamais besoin d’expertes pour combattre la dangereuse montée de l’ignorance et de l’animosité qui est au centre de nos gouvernements ».
Crédits photo : Jody Hong Films