Par Gabrielle Deydier, écrivaine formidable Eté 1988 J’ai presque 9 ans et nous sommes à table pour déjeuner. Mon père est maçon-plâtrier-briqueteur comme il aime à le préciser, mais à cette époque-là son patron le fait bosser aux pompes funèbres. Papa est chargé de fabriquer des tombeaux en marbre et il est doué ! Le dimanche on va dans les cimetières admirer ses œuvres. Je prends du plaisir à visiter les cimetières comme d’autres les musées, à la différence près que moi, c’est le travail de papa que j’admire. A la maison, on vit dans le culte du père et ma mère contribue à l’élaboration de ce mythe, – Femme, mon café ! Elle lui prépare son café, lui met un sucre et touille mais elle ne subit pas, elle aime lui préparer ce café qu’elle touille. Comme à chaque fois je regarde ma mère faire mais ce jour-là, je ne sais pour quelle raison, je ne suis pas d’accord, je m’énerve et A ce moment précis, j’ai l’impression que ma tête va se décrocher. Mon père vient de m’en coller une. Je ne reçois pas souvent de coups mais celui-là a une saveur particulière. Je pars en pleurant dans ma chambre. Je prends ma Barbie et mon Ken. Ils se disputent. Barbie éclate Ken en lui disant qu’elle le quitte et qu’elle part vivre « à la ville » pour être indépendante. Je reviens dans la cuisine, mon père est prêt à partir. Il est debout. Nous nous regardons dans les yeux. J’ai peur de me reprendre une baigne mais je veux lui dire ce que je ressens. Je le regarde dans les yeux, la rage au ventre et je lui tends mon Ken et lui arrache la tête. Je reçois une deuxième gifle. Eté 2018 J’ai presque 39 ans et il est largement temps de passer à table mais je dois écrire ce papier pour Les Glorieuses et je suis à la bourre, comme d’habitude. C’est mon rituel à moi. Mon père est décédé depuis un peu moins de six mois, et parfois je me dis que ses paroles étaient prophétiques : je crois que je suis une vieille fille… mais je m’en branle parce que je ne le ressens absolument pas comme ça. Je ne me sens certainement pas vieille, puis les vieilles filles ont des chats auxquels elles sont soumises. J’appelle ça le CATriarCAT. Je ne suis soumise à rien ni personne. A 12 ans, quand on me demandait comment je me projetais dans 20 ou 30 ans, je répondais : je serai écrivain, dramaturge, intellectuelle et féministe. Je pensais qu’intellectuelle et féministe c’était un métier. Mon féminisme à moi c’est mon féminisme à moi. Ca m’irrite même parfois de prononcer ce mot. Mon féminisme à moi n’est pas un féminisme né d’une réflexion, de lectures, inspiré. Mon féminisme à moi c’est un Mon féminisme à moi ne se retrouve dans aucun groupe. Je hais les groupes. Mon féminisme à moi n’a pas d’étiquette. Je hais les étiquettes. Mon féminisme à moi n’a pas de doctrine. Je hais les doctrines. Mon féminisme à moi ne théorise pas le patriarcat parce que mon féminisme à moi ne reconnaît pas le patriarcat. Je ne reconnais aucune forme d’autorité. Mon féminisme à moi ne se décline pas en 4 tailles et 3 couleurs de t-shirts. Je hais le féminisme marketé. Mon féminisme à moi est un humanisme, pas un combat. Mon féminisme à moi ne demande rien, il s’impose naturellement. GABRIELLE DEYDIERJe suis née le 28 juillet 1979. Le 28 juillet c’est la deuxième journée des Trois Glorieuses (révolution de 1830) et le jour où Delacroix a choisi de commémorer « La liberté guidant le peuple ». Mon caractère révolutionnaire viendrait de là d’après mes parents! J’ai fait des études de cinéma/audiovisuel et science politique à la fac (Montpellier). J’ai créé en 2014 un webzine qui s’appelait GINETTE LE MAG. C’était un webzine culturel décalé. Suivez-la sur Twitter & Instagram (son compte pro très pro et son compte perso très fun) ! 💋 |
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