Mardi 5 octobre 2021 “La féminité est un concept que je déteste“, rencontre avec Laetitia KyJ’ai le cheveu fin, plat, ni lisse ni bouclé. Parfois gras, parfois sec, le cheveu qui ne sait pas ce qu’il veut. Alors autant vous dire que ma passion pour Laetitia Ky a été immédiate. Suivie par près de 470.000 personnes sur Instagram, Laetitia est une artiste de 25 ans originaire de Côte d’Ivoire. Depuis 2016, elle réalise des “sculptures capillaires“ en tressant ses cheveux à l’aide de différents matériaux pour leur donner de multiples formes : poing levé, bouquet de fleurs, coquillage, pistolet, clitoris… Quand je l’ai découverte, il y a bientôt deux ans, je n’imaginais même pas qu’il était possible de créer de telles œuvres d’art. Son travail est d’autant plus saisissant qu’il va toujours plus loin que le seul plaisir visuel. Grâce à sa chevelure, Laetitia raconte des histoires, éveille les consciences mais, par-dessus tout, elle revendique et célèbre la beauté des femmes africaines. J’ai eu le plaisir de pouvoir m’entretenir avec elle à l’occasion de la sortie du très beau film de Philippe Lacôte, La Nuit des rois, dans lequel elle apparaît pour la première fois au cinéma. Son rôle ? Celui d’une reine fascinante, dotée de pouvoirs magiques… Du sur-mesure, puisqu’elle a conçu elle-même les superbes coiffures du personnage.
En 2016, je suivais un gars sur Facebook qui faisait beaucoup la promotion de la culture africaine. Je suis tombée sur un album photo qu’il a posté, qui montrait des femmes noires à l’époque précoloniale. Leurs coiffures étaient exceptionnelles, et ça a été un déclic pour moi. Je me suis demandée comment ça tenait, comment elles y arrivaient, et ça m’a donné envie d’expérimenter. Moi, je suis naturellement très habile de mes mains, je sais faire les tresses depuis que j’ai cinq ans ! Je me souviens de ma première coiffure, c’était un pic. Je voulais juste que mes cheveux tiennent tout droit en haut de ma tête.
Au tout départ, je ne l’avais pas prémédité. Quand j’ai commencé, c’était par curiosité, pour la beauté de la chose. Mais quand mon travail est devenu viral, j’ai reçu des messages de femmes noires qui me remerciaient et disaient que ce que je faisais les inspirait, les aidait à s’accepter en tant que femmes noires, à accepter leur nature de cheveux, et qu’il ne fallait pas que je m’arrête. C’est vraiment là que je me suis dit que je tenais un truc : si en partageant ce que je faisais juste pour m’amuser ça arrivait à avoir cet impact-là sur certaines femmes, alors je pouvais utiliser mes photos pour faire passer des messages beaucoup plus sérieux. © Laetitia Ky
Depuis toute petite, je me suis toujours défrisé les cheveux. En Côte d’Ivoire, c’était une culture, le défrisage ! Un jour, j’ai eu un accident capillaire… après un défrisage, je me suis fait des tresses très serrées et j’ai perdu tous mes cheveux de l’avant. Ça m’a vraiment traumatisée. En fait, toutes ces années de défrisage les avaient affaiblis. Alors j’ai fait des recherches sur internet pour savoir comment les faire repousser… et c’est à 16 ans, sur YouTube, que pour la première fois de ma vie j’ai vu des femmes noires qui assumaient leurs cheveux naturels. C’était des femmes américaines, je ne comprenais rien à leurs vidéos mais je les regardais encore et encore car j’étais impressionnée de voir des femmes noires qui ne se défrisaient pas. Comme quoi, même en vivant en Afrique, notre beauté est sous-représentée ! Ce qui a fait que moi je suis revenue au naturel, c’est que je me suis rasée entièrement la tête. Je me suis dit : je ne défrise plus, je dis au revoir à cet ancien moi et j’accepte pleinement la femme noire que je suis. Parce qu’au-delà des cheveux, j’ai une peau très foncée et ça a toujours été un complexe pour moi, j’ai passé des années à vouloir être plus claire… On est dans un pays où la majorité des femmes se blanchit la peau.
Je n’ai pas vraiment aimé mon adolescence… J’étais l’ado un peu intello, toujours première de la classe… Pour te dire, j’avais 15 ans quand j’étais en terminale, j’étais la plus jeune. Donc ça n’a pas été très évident, je n’avais pas beaucoup d’amis, pas de vie sociale. J’étais une personne très, très, très complexée. En fait, il n’y avait absolument rien que j’aimais chez moi. Pendant trois ans, j’ai eu une grosse période d’anorexie et de boulimie. C’est vraiment à partir de mes 18 ans que j’ai commencé à être affirmée. J’ai toujours eu du caractère mais avec tous les complexes que je trainais, les problèmes psychologiques, j’étais plus effacée que maintenant. Même si l’adolescence n’a pas été simple pour moi, je ne regrette pas car ça m’a aidé à forger la femme que je suis aujourd’hui.
La définition parfaite d’une féministe est celle de l’écrivaine nigériane Chimamanda Ngozi Adichie : “une personne qui croit en l’égalité des sexes“, c’est aussi simple que ça. Les hommes et les femmes ont le même potentiel dans le monde d’aujourd’hui pour faire de grandes choses et atteindre le sommet. Une personne féministe croit au fait de donner le choix aux femmes de décider ce qu’elles veulent faire de leur vie.
Les femmes autour de moi, ma petite sœur, ma mère, certaines amies, m’inspirent au quotidien. J’ai aussi une petite admiration pour une star extrêmement connue… C’est Rihanna ! Les gens ont tendance à s’arrêter au côté show girl, mais c’est une femme extrêmement forte quand tu creuses ! Elle est partie de rien et aujourd’hui elle est chanteuse, actrice, femme d’affaires, elle a une ligne de vêtements, de maquillage, elle fait de l’humanitaire, est à la tête de plusieurs fondations. C’est une femme complète qui sait se battre pour avoir ce quelle veut. C’est ce à quoi j’aspire.
C’est quelque chose qu’on me demande souvent. C’est vrai qu’il y a beaucoup de diktats, mais ce n’est pas en restant en dehors de ce milieu que les choses vont changer. Au contraire ! C’est important que des gens qui s’intéressent au body positive en fassent partie, c’est une façon de faire changer les choses. Aujourd’hui, si le monde de la mode est un peu plus inclusif, c’est parce que certains mannequins se sont exprimés, indignés, ont porté leurs combats de l’intérieur. C’est ce que je fais !
La féminité est un concept que je déteste ! C’est un ensemble de stéréotypes dans lequel on enferme les femmes, je ne supporte pas… Aujourd’hui, je remets en question tous les choix que je fais en me demandant si je les fais parce que je me sens bien en les faisant ou si je les fais parce qu’on m’a dit qu’une femme devait les faire ! C’est pour ça que j’ai arrêté de me raser les aisselles, mais je suis encore prise dans certains codes, c’est difficile de tout déconstruire ! Et puis, il ne faut pas juste déconstruire pour déconstruire. Si un comportement associé à la féminité te fait du bien, continue ! On en revient à la question des cheveux : je n’ai aucun souci avec le fait qu’une fille se lisse les cheveux, on est libre de jouer avec, de s’amuser ! Mais beaucoup de filles noires se lissent les cheveux pour rentrer dans la norme, parce qu’elles veulent accéder à certains milieux, avoir certaines opportunités qu’elles ne pensent pas pouvoir avoir autrement, et je trouve ça dommage, il faut que ça change. © Laetitia Ky
J’ai du mal à me rappeler un jour de ma vie où je n’ai pas été victime de sexisme… La société ivoirienne, c’est le sexisme, le harcèlement au quotidien. Le racisme, je le ressens moins ici. Mais quand je voyage en France, il y a souvent des questions déplacées. Par exemple, quand on me demande mon origine et que je dis que je viens de la Côte d’Ivoire, on s’étonne que je m’exprime bien en français. Mais la Côte d’Ivoire est un pays francophone ! Je suis éduquée, la jeunesse ivoirienne est éduquée… Pourquoi on s’étonne que la petite noire s’exprime bien en français ? C’est arrivé beaucoup de fois, cette remarque-là.
Tous les combats ont leur place, il n’y en a pas de plus importants que d’autres. Pour ma part, il est important de continuer à m’exprimer sur les problématiques féministes, et surtout de faire connaître un peu plus ce que vivent les femmes africaines. J’ai une audience internationale donc je me frotte pas mal a des féministes qui n’ont pas forcément de connaissances vis-à-vis de ce qu’elles peuvent vivre. Il y a eu des débats sur plusieurs posts que j’ai fait sur mes réseaux sociaux, autour d’une thèse actuelle du “féminisme mainstream“ qui serait que les femmes ne vivent pas de discriminations à cause de leur sexe biologique mais plutôt à cause de leur féminité ou de leur genre. Peut-être que cette affirmation se vérifie en Europe ou en France, mais en Afrique, ce n’est pas le cas ! Et je veux avoir le droit d’en parler sans me faire traiter de tous les noms. Quand on excise un bébé de six mois, c’est parce qu’il est de sexe féminin. Il y a énormément de pratiques de ce genre qui portent atteinte à la biologie féminine, et c’est important d’en parler.
Changer le monde ne passe pas forcément par de grandes actions héroïques qui vont toucher cent millions de personnes. J’ai commencé ce que je fais seule dans ma chambre avec mes tresses et mon téléphone. Utilisez les moyens du bord ! Si vous réussissez à toucher une seule personne autour de vous, vous aurez participé au changement du monde et c’est déjà très bien. Aussi, ce que je peux dire à toute personne victime d’injustice, c’est de ne pas se taire. La première étape pour changer les choses est d’oser prendre la parole, ne pas avoir peur de s’exprimer, de s’indigner, de dire “non“, tout simplement. Le post de la semaine“Le viol du pouvoir“ par @deborah.de.robertis (rendez-vous ici pour en savoir plus sur la performance de l’artiste) Les dernières newsletters Gloria MediaYentl, encore et toujours., Les Glorieuses, 29 septembre 2021 Les filles et femmes afghanes : lésées par les talibans et abandonnées par le monde, Impact, 27 septembre 2021 Who run the world ?, Les Petites Glo, 21 septembre 2021 Elles ont un plan, Economie, 26 juillet 2021 |
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