Megan Clement Pourriez-vous commencer par parler des cinq projets de loi sur l’égalité femmes-hommes que vous avez essayé de faire adopter au Nigeria ?
Ebere Ifendu Nous avons travaillé sans relâche pour la participation des femmes à la politique et à la gouvernance, et au fil des ans, différentes organisations se concentrant sur les questions relatives aux femmes ont constaté que nous avions besoin d’un soutien juridique – nous devions être soutenues par la constitution. Nous nous sommes donc réunies et avons travaillé sur cinq projets de loi sur l’égalité femmes-hommes.
Le premier projet de loi sur l’égalité des sexes concerne les sièges pour les femmes – nous avons demandé 111 sièges supplémentaires. Il est difficile pour les femmes de se présenter, alors nous avons dit qu’il fallait des sièges spéciaux attribués aux femmes, comme en Ouganda, au Kenya et en Tanzanie. Nous avons parlé d’avoir un siège de sénateur créé dans chaque État pour que les femmes puissent le disputer, et pour la chambre des représentants nous avons demandé deux sièges pour chaque État. Puis pour la chambre d’assemblée au sein des États, nous avons plaidé pour deux sièges et cela nous a donné un total de 111 sièges pour les femmes.
Le deuxième projet de loi porte sur “affirmative action” ou discrimination positive (ndlr : dans l’administration des partis politiques). Certains pays l’ont inscrit dans leur constitution. Mais dans notre cas, nous avons la politique nationale nigériane de genre qui a été établie en 2006 après la conférence de Pékin et le Comité pour l’Élimination de la Discrimination à l’Égard des Femmes dont le Nigeria est signataire. Le projet de loi discrimination positive en découle.
Nous avons également un projet de loi sur ‘indigeneship’. Il est choquant de constater qu’au Nigeria, si vous êtes mariée à un homme qui n’est pas de votre communauté, vous n’aurez pas le statut d’‘indigène’ de cet homme, c’est-à-dire que vous n’appartenez pas à sa communauté. Ce qui est triste, c’est que vous ne pouvez pas vous présenter à une élection ou obtenir un poste au sein de votre communauté d’origine non plus car celle-ci dira: “Vous avez épousé un homme d’une autre communauté, donc vous devez aller là bas. » Mais la communauté de l’homme dira : « Non, elle n’est pas d’ici, elle est d’une autre communauté, elle doit concourir là-bas. » Cela
laisse donc une femme à la dérive, sans aucune place. Cela vous prive de beaucoup d’opportunités, pas seulement en politique, mais dans toutes les sphères de la vie – vous êtes considérée comme une étrangère. Nous soutenons qu’après cinq ans de mariage, une femme devrait pouvoir devenir indigène de la communauté de son mari.
Ensuite, nous avons le projet de loi sur la citoyenneté. Lorsqu’une femme est mariée à un homme étranger, elle ne peut pas donner à son conjoint la citoyenneté nigériane. Mais lorsqu’un homme nigérian est marié à une épouse étrangère, il peut le faire. La femme devient donc une citoyenne nigériane, tandis qu’un homme marié à une femme nigériane ne peut jamais devenir un citoyen du Nigeria. C’est très discriminatoire.
Le cinquième projet de loi vise à donner aux femmes un quota de représentation dans les nominations ministérielles pour les conseils exécutifs nationaux et fédéraux.
Les femmes nigérianes ont donc dit que ces éléments étaient discriminatoires alors que la section 42 de notre Constitution, stipule clairement que l’égalité existe dans le pays. Nous avons donc dit, pouvons-nous avoir tout cela dans la Constitution pour permettre aux femmes de participer pleinement ?
Megan Clement Quelles sont les tactiques que vous utilisez pour obtenir du soutien pour ces réformes ?
Ebere Ifendu Malheureusement, le 1er mars, l’Assemblée nationale a voté sur les amendements constitutionnels et les cinq projets de loi ont été rejetés. La Chambre des représentants a voté contre les cinq projets de loi et le Sénat a voté en faveur de deux
d’entre eux, mais comme nous avons une législature bicamérale, si les deux chambres ne sont pas d’accord, le projet de loi est considéré comme ayant échoué.
Les femmes nigérianes ont décidé de faire quelque chose de différent. Après avoir plaidé, rencontré des chefs traditionnels et des dirigeants politiques, rencontré les parlementaires eux-mêmes– la direction et les membres individuels– nous avons estimé que le plaidoyer était plus que suffisant pour obtenir le vote des projets de loi. Nous avons donc commencé par parler au public à la radio en utilisant la plate-forme que nous appelons « La Constitution que les Femmes Veulent ». Nous l’avons utilisée pour analyser les différentes parties de la Constitution afin de sensibiliser le public à nos activités. Le peuple était de notre côté, mais les parlementaires ont voté contre.
Les femmes nigérianes, sous l’égide de l’organisation Womanifesto, qui compte plus de 250 organisations dirigées par des femmes parmi ses membres, se sont donc rendues à l’Assemblée nationale et l’ont « occupée » chaque jour de la législature pendant quatre semaines. Chaque jour législatif, nous avons attendu devant l’assemblée nationale jusqu’à ce qu’ils sortent pour nous parler et nous dire qu’ils présenteront à nouveau les projets de loi.
Megan Clement Quels sont les deux projets de loi qui
ne seront pas réexaminés ?
Ebere Ifendu Ils ne reconsidèrent pas les projets de loi sur les sièges supplémentaires ou les nominations ministérielles. Ils reconsidèrent le projet de loi sur la discrimination positive, celui sur l‘indigeneship’ et celui sur la citoyenneté. Nous prenons bien sur les trois projets de loi mais nous aurions voulu obtenir les cinq.
Megan Clement Comment essayez-vous d’influencer ce deuxième vote ?
Ebere Ifendu Nous avons lancé un nouveau cycle de plaidoyer, ciblé sur les dirigeant·e·s de l’Assemblée Nationale, en particulier sur la chambre
des représentants. Nous nous adressons également aux chefs religieux et traditionnels – ce sont des personnes influentes, nous avons donc repris les discussions avec eux. Ensuite, nous avons des partenaires comme les Nations Unies et la Ministre des femmes qui nous apporte un soutien énorme.
Au niveau de l’État, nous avons également mobilisé les groupes de femmes. Elles rencontrent leurs parlementaires dans leurs bureaux de circonscription, elles envoient des lettres, elles obtiennent des engagements de leur part – qu’il·elle·s voteront en faveur des femmes. Nous sommes optimistes.
Nous aurons des élections en 2023 et une bonne chose qui est ressortie de la non-adoption des projets de loi est que cela a donné aux femmes nigérianes l’occasion de se rassembler plus fortement en tant que mouvement féministe. Les femmes voient maintenant que nous devons nous battre pour nous-mêmes afin qu’ils nous écoutent. Cela a apporté une sorte de cohésion, une sorte de sororité.
C’était une énorme erreur de la part de l’assemblée nationale car après qu’ils aient refusé d’adopter les projets de loi, des groupes de femmes se sont réunis tous les jours. Je dois vous dire que nous avions un minimum de 1 000 femmes chaque jour, seules, parce qu’elles se sentent concernées par le sujet. Les femmes venaient en voiture avec un pack d’eau, avec de la nourriture, simplement pour s’assurer que les gens aient quelque chose à manger et à boire. C’était une expérience impressionnante pour nous. Cela montre que les femmes nigérianes commencent à s’approprier ces projets de loi, à sentir qu’ils leurs appartiennent et qu’ils vont les impacter, grâce au fait que nous avons pris le temps de les expliquer dans différents dialectes locaux.
Même aux femmes qui n’ont pas été à l’école, nous avons demandé : « Avez-vous été victime de cela ? Venez vous exprimer ». Nous avons eu tellement de femmes qui ont partagé leurs expériences.
Pendant que nous faisions cela, les organisations féministes se sont également réunies pour poursuivre le gouvernement fédéral sur l’interprétation du mot « égalité » dans l’article 42 de la constitution, demandant pourquoi le gouvernement nigérian ne respecte pas la Politique Nationale sur le Genre de 2006. Le 6 avril, nous avons obtenu une décision affirmative. Le jugement a soutenu la cause des femmes nigérianes et a dit que oui, le gouvernement nigérian avait commis une erreur en ne respectant pas la constitution et aussi en ne respectant pas une politique qu’ils avaient eux-mêmes mise en place
pour s’assurer que les femmes participent à la vie politique.
Maintenant, nous revenons en arrière pour nous assurer que le Parlement fera ce qu’il faut – nous travaillons sur un processus d’application. Cela signifie que pour chaque poste attribué au Nigeria, il y aura un minimum de 35% de discrimination positive en faveur des femmes. Jusqu’à ce qu’il y ait un jugement supérieur, cela reste la loi au Nigeria au moment où nous parlons. Nous avons également demandé au gouvernement fédéral de dissoudre le cabinet et de mettre en place un cabinet qui représentera ce que le tribunal a affirmé.
Megan Clement Pouvez-vous nous parler un peu de l’opposition à laquelle vous faites face en essayant de convaincre les gens sur ces projets de loi, en particulier parmi les politiciens au
Parlement ?
Ebere Ifendu Certains d’entre eux ont encore cette mentalité selon laquelle les femmes ne sont pas censées diriger. Pour eux, ils font le travail pour les femmes, donc nous ne devrions pas nous plaindre, nous devrions simplement nous asseoir. Le patriarcat, d’une manière ou d’une autre, a infiltré tous les aspects de notre vie en tant que nation.
Ensuite, il y a la peur de ce que feront les femmes. Les femmes sont des personnes qui ont des capacités et de l’empathie. Nous ne cessons de leur dire : « Regardez, le Nigéria traverse une période difficile sur le plan de la sécurité, de l’économie et de la société, parce que la moitié de la population ne participe pas à la gouvernance et à la prise de décision. » Lorsqu’ils mettent en place des comités de résolution des conflits, vous constaterez que les femmes n’ont pas la possibilité de siéger. Vous verrez que pour un énorme comité, peut-être une ou deux femmes seront nommées. Je pense que si les femmes se voyaient offrir des opportunités au Nigeria, nous n’aurions pas le type d’insurrection auquel nous sommes confrontés
aujourd’hui. Les personnes qui commettent ces crimes maintenant, ce sont nos enfants, ce sont nos frères, nos maris, nos amis.
Si nous parvenons à participer à la gouvernance, nous aurons une approche différente vis-à-vis de ces choses. Les hommes ne sont pas rassurés par la participation de plus de femmes, car selon eux, une fois que nous participerons, nous prendrons contrôle. Alors qu’en réalité nous venons collaborer avec eux pour faire en sorte que les choses soient faites de la bonne manière.
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