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Les hommes ont peur que les femmes se moquent d’eux. Les femmes ont peur que les hommes les tuent.
Margaret Atwood
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Comment les jeunes filles se sentent-elles face à la montée du masculinisme ?
Cette newsletter des Petites Glo est écrite en collaboration avec mes collègues Josephine Lethbridge et Megan Clement, qui ont publié ce lundi une édition de La Preuve (supplément d’Impact) sur la série Adolescence. Je vous conseille fortement de la lire pour une meilleure compréhension des enjeux de l’éducation et de l’écoute des jeunes hommes. Leur interdire l’accès aux réseaux sociaux ne suffira pas pour mettre fin à la misogynie chez les ados !
Impossible d’échapper au succès d’Adolescence, la mini-série Netflix qui suit l’arrestation d’un collégien de 13 ans pour le meurtre de l’une de ses camarades de classe. Chacun des quatre épisodes laisse entrevoir au sein de quel système imprégné de misogynie Jamie en est venu à déconsidérer la vie de la jeune fille au point d’y mettre fin violemment, sans que les adultes autour de lui ne voient rien venir. La série a eu un effet ressentissant sur la politique du Royaume-Uni : le Premier Ministre Keir Starmer a demandé à ce qu’elle soit diffusée gratuitement dans les établissements scolaires ainsi qu’au Parlement. Des cours pour lutter contre la misogynie devraient aussi être intégrés aux programmes dès la rentrée prochaine.
Si ces mesures font débat, elles s’inscrivent toutefois dans une prise de conscience politique (tardive) du masculinisme chez les jeunes. L’an dernier déjà, le principal syndicat d’enseignants britanniques alertait sur la montée de la misogynie dans les établissements scolaires, visant à la fois élèves et professeur·es. Mi-avril, un autre syndicat a dénoncé l’omniprésence du sexisme et du racisme dans les écoles, alimentés par les réseaux sociaux. Des données qui résonnent avec l’expérience d’Iris*, 16 ans, élève de Seconde en Seine-et-Marne : “Cette série est très dure psychologiquement mais elle illustre bien autant le domaine scolaire que ce qui peut se passer autour. Elle donne une vraie image de l’école, qu’il est intéressant de montrer aux professeurs et aux parents.”
Comme souvent, on peut s’étonner que les médias et le monde politique semblent découvrir un sujet sur lequel les féministes alertent depuis des années. “Cette façon d’appréhender [le masculinisme] comme une extrême nouveauté masque la dimension extrêmement structurelle de la question,” note ainsi l’anthropologue Mélanie Gourarier sur franceinfo. Interrogée pour cette newsletter, la psychothérapeute Estelle Bayon nous explique : “En thérapie féministe, on voit les impacts des rapports de pouvoir sur le psychisme de la personne. On met en lien ce qui se passe pour l’individu et ce qui se passe dans notre contexte socio-politico-culturel. C’est un contexte de dominations diverses : domination masculine, domination blanche, domination économique dans les rapports de classe…”
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“On revient à une certaine vision de la masculinité virile autour des questions de pouvoir et de force, et donc ça passe aussi par des comportements d’agression vis-à-vis des femmes,” poursuit-elle. Or, “ce sont des comportements qui arrivent beaucoup à l’adolescence, qui est une période où la socialisation genrée vient s’ancrer.” Servane, professeure de langues en région parisienne, l’a observé dans la prise de parole de ses élèves lors de débats en classe, tous ensemble ou en non-mixité. “Les garçons monopolisaient systématiquement la parole, ils n’avaient pas de problème à imposer leurs mots dans l’espace public. Les filles avaient intériorisé le fait qu’elles se taisaient, elles étaient très stressées, très proches de leurs notes.” Ce schéma se répète dans la classe d’Iris : peu de filles à part elle osent répliquer aux piques sexistes d’une poignée de garçons, dans l’indifférence de certains professeurs. Elle note que leur attitude contraste avec celle de ses amis garçons du collège, très informés sur les discriminations.
“Je trouve qu’en 2025 on parle beaucoup plus des problèmes que subissent les femmes, on sensibilise les jeunes garçons,” se réjouit Olivia*, 13 ans, en 4ème dans un collège du Calvados. Elle déplore cependant les comportements misogynes de certains camarades de classe, influencés par leur entourage… ou les réseaux sociaux, à l’image de Jamie dans Adolescence. “Les vidéos sexistes percent plus que les vidéos féministes car elles font rire les hommes. Ça me met dans une colère pas possible !” s’insurge-t-elle. D’après un rapport d’Amnesty International publié en 2025, 73% des utilisateurices des réseaux sociaux appartenant à la Gen Z ont été confronté·es à de la misogynie en ligne.
“Je vois les jeunes utiliser des expressions popularisées par internet et que beaucoup d’adultes référents ne connaissent pas, comme ‘tana’ ou ‘bodycount’,” rapporte Quentin, surveillant dans un collège-lycée finistérien. Il s’inquiète que beaucoup d’adolescents fassent référence à des personnalités connues dans la manosphère, comme La Menace, Tibo InShape ou Alex Hitchens (également cité par Iris et Olivia), attirés par leurs contenus humoristiques ou centrés sur la musculation, le stoïcisme, la cryptomonnaie… “Comme le discours [masculiniste] est assez présent tout le temps, il prend de la place dans les idées.”
La surexposition à ces discours va mener à une intériorisation de la misogynie par les adolescentes. “Face à tous les discours qui vont dévaloriser les femmes, les ados peuvent commencer à intégrer ces représentations qui vont forcément affecter leur estime de soi, leur confiance, leurs aspirations, leur rapport au corps…” alerte Estelle Bayon. Iris signale d’ailleurs que si elle trouve que les cours de prévention contre le sexisme sont une très bonne idée, ils ne devraient pas être réservés qu’aux garçons. “Plus on avance, plus on trouve du contenu tradwives sur TikTok. Je pense que ça peut être vraiment intéressant d’expliquer aux femmes aussi qu’en fait non, ton rôle n’est pas uniquement de rester dans une cuisine et d’élever des enfants.”
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Comme les garçons, les filles sont exposées à la radicalisation en ligne. Comme les garçons, les filles ne vont pas bien. C’est une tendance alarmante que l’on observe chez les jeunes depuis le Covid, et que le sexisme ne vient pas aider. Estelle Bayon rappelle que les femmes sont continuellement exposées à des représentations sexistes, et ce, dès leur enfance. “Cela crée de la révolte, de la colère. Mais la répétition des mécanismes de socialisation patriarcale vient progressivement éteindre ce sentiment de révolte et fait taire la voix intérieure, la voix révoltée dont parlait Carol Gilligan. Se taire peut créer un sentiment d’impuissance ou de solitude. Cela vient renforcer un peu l’idée que c’est dans leur tête, que cette révolte est juste un problème personnel qu’elles doivent régler.” Ainsi, Iris confie avoir été atteinte par les insultes des garçons, les silences des filles et l’absence de réaction de certains enseignants au point de ne pas réussir à venir en cours pendant quelques jours.
Comme l’écrit Carol Gilligan dans “La silenciation des filles” (dont vous pourrez retrouver la traduction par ma collègue Rebecca Amsellem ici), le silence pousse à la solitude. Or Estelle Bayon insiste : ”Il ne faut pas rester seul·e avec ses pensées négatives sur soi. La force de la misogynie, pour qu’elle soit intériorisée par les personnes, c’est aussi d’isoler de plein de façons différentes.” Elle nous encourage à parler et partager nos expériences, afin de déconstruire ces pensées sexistes. Iris et Olivia se disent chanceuses d’être bien entourées. “J’ai bien choisi mes amis : ils ont les mêmes valeurs que moi, il n’y a donc aucun souci à parler de ça avec eux. Tous mes amis garçons sont féministes et heureusement !” se félicite Olivia, avant d’ajouter : “Il est très important de faire de la prévention dès le début du collège, c’est souvent à cet âge qu’on dit plein de bêtises.” Iris, pour sa part, peut compter sur le soutien de ses parents et de ses ami·es, mais espère que les adultes se montreront plus attentif·ves aux problématiques de la jeunesse suite au visionnage d’Adolescence.
*Les prénoms ont été modifiés

Le mental fitness des Petites Glo
Cette fois-ci, nous vous proposons des conseils pour les adultes qui vivent au quotidien avec des ados, que ce soit dans leur entourage ou via leur travail. La misogynie (et toute autre forme de discrimination) perpétrée par les ados est un problème qui nécessite de profonds changements sociétaux. Au niveau individuel cependant, nous ne sommes pas impuissant·es.
Cet article très éclairant de The Conversation sur la crise de la santé mentale chez les jeunes filles, met en avant leur sentiment de ne pas être écoutées et prises au sérieux par les adultes (à cause du préjugé selon lequel les filles seraient émotives et dramatiques). Cela fait aussi écho aux expériences du père de Jamie et de l’inspecteur Bascombe dans la série Adolescence. Malgré toutes leurs bonnes intentions, ceux-ci se rendent compte qu’ils ne connaissent que très peu le vécu quotidien de leurs enfants et ne leur accordent pas toujours assez d’attention.
Voici des recommandations du NHS, le système de santé britannique, pour bien soutenir vos enfants et adolescents.

On regarde : “Mascus, les hommes qui détestent les femmes,” documentaire de Pierre Gault (2024)
Vous l’aurez compris en lisant cette newsletter, nous vous conseillons de regarder Adolescence. L’un des fils conducteurs de la série est la façon dont les théories masculinistes ont radicalisé Jamie jusqu’à commettre le pire. Pour en savoir plus sur ce sujet sur lequel personne ne devrait fermer les yeux, nous vous recommandons cet excellent documentaire du journaliste Pierre Gault pour France Télévisions. Pendant des mois, il a infiltré les sphères masculinistes en ligne pour en faire un compte-rendu aussi glaçant qu’essentiel.
On écoute : “Quand les mascus contre-attaquent”, épisode du podcast Les Couilles sur la Table (2023)
Toujours sur le sujet du masculinisme, le journaliste Vincent Edin a interrogé pour Les Couilles sur la Table Pauline Ferrari, également journaliste et autrice de l’essai Formés à la haine des femmes (JC Lattès, 2023). On vous recommande fortement de le lire lui aussi ! Cet épisode très riche couvre en une heure une myriade de sujets, allant des références des mascus dans la pop culture aux coachs en séduction, tradwives et liens avec le monde politique. Une excellente vue d’ensemble pour mieux comprendre ce à quoi on a à faire.
On lit : Tu devrais voir quelqu’un, essai de Maud Le Rest (Editions Anne Carrière, 2024)
Un autre sujet central d’Adolescence est la santé mentale des hommes : on y voit comment quelqu’un de pourtant bienveillant comme le père de Jamie se retrouve à intérioriser sa colère et sa tristesse et à les exprimer de façon violente. Évidemment, loin des stéréotypes de genre, les hommes ressentent autant d’émotions que les femmes : la société les incite juste à ne pas les exprimer (et laisse les femmes faire tout le travail émotionnel). En effet, seuls 30% des patients de psychothérapie seraient des hommes. La journaliste Maud Le Rest en explore les raisons dans ce livre important, dont la lecture devrait soulager beaucoup de monde.
N’oubliez pas d’acheter vos livres dans votre librairie féministe de proximité préférée. Parmi celles que vous nous avez conseillées : Maison Marguerite à Nantes, la Librairie à soi·e à Lyon, Un livre et une tasse de thé ou Majo à Paris, Arborescence à Massy, Zeugma et A la marge à Montreuil, Chez Simone à Bayonne, Divergences à Quimperlé et L’Affranchie librairie à Lille, le Tracteur Savant à Saint-Antonin-Noble-Val, le café-librairie Luna à Grenoble, les Villes Invisibles à Clisson, l’Autre Rive et Terra Nova à Toulouse. Merci pour ces suggestions, et n’hésitez pas à nous contacter si vous souhaitez en signaler d’autres ! 🙂

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