« Partir de l’extérieur pour construire l’intérieur » Entretien avec Nhu Xuan Hua et Vimala Pons mené par Rebecca Amsellem Lire en ligne ici https://lesglorieuses.fr/nhu-xuan-hua-et-vimala-pons/ Nhu Xuan Hua est photographe, Vimala Pons est actrice, circassienne et de leur rencontre est né un projet singulier, Heaven and Hell, exposé aux Rencontres d’Arles jusqu’à fin septembre. L’exposition porte sur la maison, ses fragments qui font la maison et ceux qui la défont, sa symbolique – à la fois le lieu du refuge et le lieu qu’on doit parfois fuir. Autour de cette réflexion, s’ajoute celle, intérieure, qui nous accompagne toute notre vie – comment la construction de nos identités passe par l’imitation de modèles. L’exposition est accompagnée d’un album. Je me suis entretenue avec les deux artistes et nous avons parlé de thématiques qui reviennent souvent dans cette lettre : la quête inassouvissable de la perfection, comment se débarrasser du poids émotionnel, de l’existence de l’équilibre ou encore de la fiction, comme fiction, marque de fabrique de notre humanité. Vous pouvez suivre Nhu Xuan Hua et ses travaux ici : Et vous pouvez suivre Vimala Pons là – https://www.instagram.com/vimala_pons/ Cet entretien est réalisé dans le cadre d’un partenariat média avec Les Rencontres d’Arles. *** Vous passez à Arles cet été ? On vous offre un pass pour deux personnes (et sur Instagram, on choisira deux gagnantes). *** Crédits David Paige Rebecca Amsellem Vous avez développé pour les Rencontres d’Arles un projet artistique autour de la construction de soi et notamment un aspect bien spécifique et assez inéluctable, qui est « l’imitation de modèles nous donnant la force de grandir » (je vous cite). Comment est née cette idée ? Nhu Xuan Hua Je suis allée voir le spectacle de Vimala (Pons), le Périmètre de Denver au centre Pompidou et la performance m’a bouleversée. Dans cette œuvre, Vimala interprète différents personnages, masquée. Quand elle est arrivée sur scène à la fin, complètement démasquée après 1 h 30 de performance, en sueur, il y a eu une espèce de transmission de sensation d’effort qui m’a bouleversée. Je lui ai ensuite envoyé un message pour lui proposer de collaborer, on a alors parlé de nos obsessions, découvert que nous en avions des communes comme porter le poids des choses, des responsabilités, mais à travers nos pratiques individuelles. La genèse de ce projet est notre rencontre. Rebecca Amsellem Il semble que nous vivions dans une société où il faut constamment créer des nouvelles choses, innover, en Nhu Xuan Hua Dans ces obsessions communes, on avait cette idée de la transformation. Moi, je passe par l’image pour transformer mes narrations et Vimala passe par quelque chose de physique. Nous avons donc choisi de transformer Vimala en une multitude de femmes, des héroïnes qui nous ont aidées à nous construire. Que ce soit Mel C des Spice Girls, Angela Merkel…, nous avons décidé de ne garder que leur prénom pour enlever le côté iconique de la personne qui a pu nous inspirer et garder seulement le côté « madame Tout-le-monde ». Vimala Pons J’avais vu un reportage sur les singes dans lequel il était expliqué que, pendant deux ans, le petit reste avec sa mère et copie tout. L’identité est une chose fluctuante, qui varie, qu’on construit au fur et à mesure. Parfois même, on a réalisé qu’on avait des identités qu’on a plus tard reniées, tout en sachant que ce sont ces identités qui nous ont permis de construire celles qui restent longtemps. L’idée était de copier un détail, pas de créer l’impression d’entrer au musée Grévin. La façon de marcher de Mel C par exemple, la queue-de-cheval d’Amélie Mauresmo. De la même manière que dans la vie, on a copié les détails de nos héroïnes sans que personne ne soit au courant. Mais toi, tu imites une force. Je pense bien sûr au film The Hours (qui retrace en partie la vie de Virginia Woolf), Nicole Kidman joue Virginia Woolf. Et pour cela, on lui a ajouté une prothèse de nez : un visage et une personnalité changent complètement avec un détail.Souvent, on pense que se construire est un chemin intellectuel, de réflexion, de théorie, mais il y a aussi quelque chose de très physique dans la construction de son identité. Partir du cosmétique ou des attitudes physiques pour se construire est tout aussi important. Partir de l’extérieur pour construire l’intérieur. Alors qu’on entend souvent que c’est plutôt l’intérieur qui construit l’extérieur. Nhu Xuan Hua et Vimala Pons. Partir Loin, Echouer, 2024. Rebecca Amsellem Vous avez choisi de travailler sur neuf modèles de femmes : Florence Arthaud, Mel C, Fran Fine, Drew Barrymore, Angela Merkel. Pourquoi seulement des femmes et pourquoi ces femmes ? Nhu Xuan Hua Nous n’avions pas décidé de choisir que des femmes initialement. Beaucoup de narrations sont basées sur nos propres expériences individuelles et on s’identifiait en tant que femme à nos expériences et nos ressentis. Il y avait pas ailleurs des hommages aux femmes autour de nous, ma mère par exemple. Cette position de la mère sacrificielle est quelque chose que je porte beaucoup dans mon travail, de la mère courage. Rebecca Amsellem Certaines étaient des évidences pour toutes les deux ? Vimala Pons Amélie Mauresmo, même si on ne l’a pas faite finalement. Même si nous avons à peu près le même âge, j’ai le sentiment que ma génération avait des modèles plus masculins. Dans ma chambre, j’avais des posters de Pete Sampras et Jamiroquai, pas de Florence Arthaud, alors qu’elle était mon héroïne. Mel C. aussi. Nhu Xuan Hua En grandissant, j’avais toujours beaucoup plus d’affection pour les personnages que personne n’aime. Les laissés-pour-compte, les marginaux, les personnages féminins qui étaient considérés comme un petit peu plus ennuyeux. Ce sont ces figures que je voulais mettre en lumière : Mel C., Piper de Charmed. Rebecca Amsellem Vous évoquez une première sorte de déséquilibre. C’est l’idée de déséquilibre de l’identité comme processus, le fait de devoir avancer, le fait de se remettre en question, pour rester en équilibre. Nhu Xuan Hua Dans cette recherche, cette quête d’équilibre est constante. Vimala l’a très bien dit dans d’autres entretiens, le moment où tu atteins l’équilibre est très temporaire. C’est toujours une quête que tu es sur le point d’atteindre, mais que tu ne parviens jamais à atteindre complètement. C’est comme la quête du bonheur. C’est pour ça qu’on joue sur la dualité de Heaven and Hell (le titre de l’exposition). On a autant de noirceur que de lumière. Sans l’un ni l’autre, on n’arrive jamais à atteindre cet équilibre. Vimala Pons Quand je fais mon entraînement d’équilibriste, souvent des épiphanies physiques arrivent, où je comprends des choses qui sont hautement intellectuelles et philosophiques, comme celle-ci : l’équilibre n’existe pas. C’est la recherche permanente du déséquilibre qui existe. Nhu Xuan Hua Cette quête d’équilibre est aussi synonyme de quête de perfection. Dans mon expérience culturelle, je suis enfant d’immigrés, quand on sortait de la maison, il fallait bien paraître. Ainsi, cette quête de la perfection était très présente dans mon éducation. Dans mes jeunes années de Nhu Xuan Hua et Vimala Pons. Ses clics et ses clacs, 2024. Rebecca Amsellem Vous parlez d’une autre forme de déséquilibre, le déséquilibre qui « représente la contamination de l’image par la réalité ». Et j’ai pensé à cette citation de Arendt – « Le sujet idéal de la domination totalitaire n’est ni le nazi convaincu ni le communiste convaincu, mais les gens pour qui la distinction entre fait et fiction (c’est-à-dire la réalité de l’expérience) et la distinction entre vrai et faux (c’est-à-dire les normes de la pensée) n’existent plus. » De quelle manière ce déséquilibre entre image et réalité est source de déséquilibre politique ? Vimala Pons C’est l’idée du pacte fictionnel que tu as avec le regardeur. Si tu dis clairement : « voilà mes outils, voilà ce que je veux atteindre, comment j’ai modifié ça, comment je sculpte dans la narration et dans l’image et dans la couleur et dans la matière », il n’y a pas de problème Nhu Xuan Hua La création est dangereuse en fonction de son utilisation. Vimala Pons La création nécessite un pacte fictionnel clair. C’est pour ça qu’elle n’a rien à voir avec le mensonge. La fiction est un endroit nécessaire à l’heure actuelle, puisque c’est ce qui a constitué l’humanité, qui fait qu’on se raconte des histoires, des mythes. C’est notre marque de fabrique, c’est ce qui nous soude et c’est ce qui nous différencie de tout le reste. Rebecca Amsellem Heaven and Hell, vous écrivez en introduction de l’exposition, est « une collection de fragments des maisons au sein desquelles nous avons trouvé abri, de toutes celles que nous avons aussi rêvé habiter, dont les murs ici rompus révèlent les récits de réalités transformées ». J’aime beaucoup que vous soyez parties de la maison pour définir l’environnement de votre projet. Car la maison est un endroit assez ambigu pour les femmes – c’est un lieu de refuge d’une société qui n’a pas été construite par et donc pour elles mais c’est aussi le premier lieu de danger pour les femmes – violences domestiques. Nhu Xuan Hua La maison était le point de départ, une obsession commune. Pour ma part, il s’agit d’une thématique que j’ai beaucoup traitée, dans le sens de la maison comme quête de l’enracinement à cause du déracinement. Cette incapacité de construire un endroit qui n’appartient qu’à toi et d’être en quête de cet endroit. Cette quête du foyer a été très importante pour moi à travers mes déplacements, triangulaire entre la France, le Vietnam et Londres. Vimala parlait de la maison comme d’un endroit que l’on veut fuir. Ça n’a pas été mon cas parce que, moi, j’ai toujours cherché à construire ce foyer comme un safe place. Vimala Pons La thématique est sortie de nos esthétiques respectives. Dans ma scénographie, j’utilise un escalier pour signer la maison, des objets qui créent du hors-champ, des pièces. Et dans beaucoup de photos de Nhu Xuan, la métonymique est présente pour représenter la maison : un géranium évoque un balcon, la présence d’électroménagers… Dès qu’on a fini ce projet, j’ai emménagé dans une vraie maison pour la première fois de ma vie, qui ne me mettait pas dehors. Avant, je vivais toujours avec du vis-à-vis, en bateau, sur les quais, ou en caravane. Je me mettais toujours dans des contextes où mes maisons me faisaient fuir. Je trouvais que cette thématique regorgeait de choses intimes, universelles, comiques, théâtrales… Nhu Xuan Rebecca Amsellem Votre utopie féministe, elle ressemble à quoi ? Vimala Pons J’aimerais vivre dans un monde où il n’y aurait plus jamais aucun propos raciste et homophobe. C’est vraiment mon souhait le plus cher (désolée si ça a l’air naze comme réponse). Nhu Xuan Hua Je suis beaucoup trop affectée par l’injustice sociale pour trouver autre chose que l’injustice sociale. J’ajouterai la présence d’un breakfast in bed (petit-déjeuner au lit) pour toutes les mamans. J’avais fait cette campagne pour Gucci pour vendre des pots de crème dont la thématique était « Breakfast in Bed » et qui ne représentait que des femmes blanches privilégiées. Au même moment, c’était pendant le Covid, il y avait eu une tuerie à Atlanta, un homme avait tué plusieurs femmes qui travaillaient dans des spas, toutes des femmes asiatiques, des mamans. Cette histoire m’a bouleversée. Il y avait une multiplication des crimes de haine envers les personnes d’origine asiatique. Quand on m’a demandé de pitcher pour cette campagne, je ne me sentais pas du tout alignée avec cette thématique. Je leur ai dit que Breakfast in Bed me donnait envie d’offrir un petit-déjeuner au lit à toutes les femmes qui se réveillent le matin pour aller bosser, pour nourrir leur famille. Je pensais évidemment à ma mère qui se réveillait à 6 heures du matin et qui était dame de cantine et qui n’a jamais eu de petit-déjeuner au lit. Gucci n’a pas retenu mon idée mais je l’ai intégrée dans une exposition : j’ai photographié trois femmes militantes (dont Grace Ly), activistes, franco-asiatiques, qui luttent justement pour porter la voix des asio-descendants français.
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