Ce midi, on se retrouve à 13h pour un déjeuner politique virtuel au Club des Glorieuses. On parlera engagement avec avec Sarah Durieux (Change.org), Elvire Duvelle-Charles (Clit Revolution) et Chloé Thibaud (Les Petites Glo). Nous avons également trois autres newsletters qui pourraient vous intéresser, IMPACT mais aussi la verticale Economie et Les Petites Glo. L’équipe des Glorieuses.
Les femmes de droite, l’amitié et l’humour comme manière de gérer les désaccords : une conversation avec l’intellectuelle Nina Power
(et non, je ne lui ai pas demandé si c’était son vrai nom)
par Rebecca Amsellem (pour me suivre sur Insta, c’est là) et traduit par Stephanie Williamson
Rebecca Amsellem Dans votre livre, La femme unidimensionnelle (Editions Les prairies ordinaires), que vous avez publié il y a un peu plus de 10 ans, vous commencez par définir le portrait typique de ce qu’est la féminité. Avoir un sac à main cher, un vibro, un appartement et un mec. Vous expliquez en disant que la soi-disant émancipation des femmes coïncide parfaitement avec le consumérisme. En lisant ce portrait, je suis demandée si on pouvait ajouter quelques convictions politiques sur le féminisme. Ça fait bon genre d’avoir du succès et d’être un peu féministe.
Nina Power Même dans le livre à l’époque, je parlais du féminisme de consommation. J’ai
essayé de décrire précisément cette idée du féminisme contemporain, très compatible avec l’image de consommation capitaliste. Cela s’est certainement accentué au cours des dix dernières années. Tous ces termes comme “l’empowerement” ne font pas référence à une vraie autonomie, ce n’est pas un pouvoir réel. Il y a une sorte de fausse version absolue de ces choses. La deuxième vague du féminisme est un projet inachevé. La troisième ou quatrième vague, tout en prétendant être progressiste, est en fait régressive au regard du projet originel du féminisme.
Rebecca Amsellem Dans votre livre, vous avez prédit certaines choses. Par exemple, comment le féminisme a
commencé à devenir une figure rhétorique, avec la politique de droite comme de gauche. Ils utilisent également le féminisme comme un moyen de gagner des votes, même si intérieurement ils ne respectent pas les valeurs féministes.
Nina Power Je parlais de la façon dont le féminisme ou les droits des femmes étaient invoqués comme raison pour entrer en guerre avec le Moyen-Orient par des personnalités de droite. Aujourd’hui, cette implication superficielle est également faite à gauche, souvent par les hommes. Et l’homme féministe est devenue une sorte de blague, ces derniers temps, parce qu’il est tout à fait évident que les paroles prononcées au sujet des préoccupations féministes et des femmes sont souvent des
paroles en l’air. Il y a une invocation hypocrite ou superficielle du féminisme à gauche. L’émancipation des femmes et le droit des femmes de voter et de participer à la vie politique et sociale est plus un problème que les gens ne le pensaient, car les femmes ne se comportent pas nécessairement comme elles devraient. Et quand il y a ces points de tension, cela revient simplement à dire aux femmes de se taire. Parce qu’historiquement, cette appartenance politique des femmes est relativement récente. Et nous n’en sommes encore qu’aux premiers stades de cela. Nous n’avons jamais pensé que ce serait facile. Ce n’est pas parce qu’on ajoute simplement des femmes à la politique que tout le monde pense soudainement la même chose. C’est plus difficile que les gens ne le pensaient.
Rebecca Amsellem Il semble que les femmes étaient censées être simplement des symboles ou des jetons qui ne devaient pas parler. Et que les hommes étaient censés faire le travail, mais qu’ils ont juste placé une femme devant eux pour légitimer leurs politiques. Aujourd’hui, avec la crise du COVID, on peut voir que les conditions sociales et économiques des femmes se sont en fait dégradées. Alors, comment expliquez-vous que les femmes sont de plus en plus impliquées dans la vie politique et qu’il n’y a que peu de
conséquence ?
Nina Power L’un des concepts que je trouvais très utile même en 2009 était cette idée de Zillah Eisenstein, qui n’est pas seulement l’idée du jeton, mais du leurre. À l’époque, je parlais de Condoleezza Rice et Sarah Palin, ou de ce qu’il se passe quand on a des femmes qui techniquement occupent des positions très puissantes selon notre propre système de pouvoir, mais qui les occupent non seulement parce que ce sont des femmes, mais pour que des opinions radicales ne soient pas entendues. Lorsqu’elles mènent des politiques réactionnaires ou des politiques qui sapent activement la position économique ou sociale des femmes, elles forment également une distraction. Donc, le leurre est, je pense, un mot plus utile à certains
égards que le jeton. Nous pouvons utiliser ce terme pour parler de certaines personnalités publiques– que ce soit au sujet du racisme ou de genre– qui suivent les instructions d’un système tout en semblant représenter l’opposé de ce système.
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Rebecca Amsellem Et au contraire, nous pouvons en fait reconnaître qu’il y a une nouvelle génération de femmes qui se sont lancées dans la politique et qui utilisent les outils libéraux de la démocratie pour faire avancer des opinions radicales. Et peut-être que cela n’existait pas il y a 10 ans.
Nina Power C’est l’un des changements massifs qui s’est produit : l’augmentation des plates-formes et des réseaux. Quand j’écrivais, on utilisait que des blogs. Je pense que c’était même avant Twitter et certainement avant Facebook. Mais je pense qu’il y a des inconvénients à cela. Je pense que ce qu’on a vu sur les réseaux est une tendance à éviter des idées plus désirées, plus nuancées et plus complexes, qui reviennent maintenant à travers des médias comme Substack. Les gens sont fatigués de l’opinion en une seule phrase. On voit également quelque chose que je n’avais pas vraiment prédit, qui est la « cancel culture ». Je ne sais pas comment les gens voient cela en France, mais c’est une intolérance croissante pour des points de vue opposés et une manière très punitive et moraliste de traiter des points de vue différents, qui se traduit par des personnes qui perdent leur emploi et sont ostracisées. Je n’ai pas vu cela venir. Parce que je suis plus de la génération X, je pensais que nous avions une attitude plus humoristique face au désaccord. Et en fait, cette transgression faisait partie du fait d’être à gauche, où être énervé ou drôle faisait partie d’être contre la droite conservatrice. Et puis je pense qu’on a vu un conservatisme de gauche ou de soi-disant gauche, qui est devenu très moraliste et punitif. Il y a maintenant beaucoup de peur, chose qu’il n’y avait pas quand j’écrivais mon livre. Je pense que les gens étaient plus capables de ne pas être d’accord sans avoir l’impression d’être personnellement attaqués. A ce sujet, le travail de Sarah Schulman est incroyable. C’est une militante américaine de longue date. C’est une lesbienne. Elle vit à New York. Elle a été impliquée dans les droits des homosexuels et c’est également une écrivaine créative. Elle a écrit il y a quelques années un livre sublime intitulé « Conflict is Not Abuse », parce qu’elle voyait que dans les communautés militantes, le fait d’être en désaccord était de plus en plus présenté comme s’il s’agissait d’abus. Tout le monde est philosophe. Et la seule façon de négocier ou de naviguer ensemble la vie sociale et politique est de parler même si c’est difficile de le faire. Je me méfie beaucoup des gens qui veulent mettre fin au débat. C’était une position de gauche, mais les idées autour de la liberté d’expression sont maintenant associées à la droite, alors que ce ne sont pas du tout des idées de droite. Là où des idéaux de gauche sont perçus comme étant de droite par une position, une position idéologique prétend être de gauche alors qu’elle est autoritaire.
Rebecca Amsellem Vous dites que lorsqu’on dit quelque chose qui n’est pas exactement dans le cadre de ce que les gens devraient dire, on est directement « cancelled
» par une partie de leur propre groupe.
Nina Power J’ai été « cancelled » de nombreuses fois. Si les gens veulent faire de vous un exemple, ils le feront publiquement. Quand la foule vient pour vous, elle vient vraiment. J’ai quelques personnes qui sont obsédées par moi et qui suivent tout ce que je fais et ce que j’écris pour que je sois « cancelled » ou rejetée par certaines plateformes à chaque fois que je donne une conférence. Et ils sont complètement obsessionnels. Et c’est si triste. J’ai envie de leur dire, mais qu’est-ce que vous faites de vos vies ?
Rebecca Amsellem Comment gérez-vous votre santé mentale vis-à-vis de ce problème ?
Nina Power Je ne dis pas que c’est facile, j’ai perdu beaucoup d’amis en m’exprimant sur certaines choses. Penser par soi-même semble très simple, mais c’est en fait vraiment difficile. Avoir le courage de penser librement, même être capable d’accéder à cette position est en fait assez difficile. J’ai été impliquée dans l’activisme de gauche pendant très longtemps. Et j’ai accepté beaucoup de choses sans jugement, simplement parce que je voyais que les gens étaient bouleversés. C’était finalement incroyablement autodestructeur d’être si ouverte. Je ne me protégeais pas. C’était trop. D’abord, il faut faire des choses très basiques comme prendre soin de soi physiquement. J’ai commencé le yoga et, oui, j’aime être dans la nature. Cela semble si banal et si stupide, de ne plus m’inquiéter de ce que les autres pensent. Et je pense que cela vient aussi de l’âge. À 42 ans, je ne suis pas la personne que j’étais à 27 ans. Je me fiche que les gens pensent que je suis une personne horrible. Un autre effet des réseaux sociaux dans ma vie c’est la réalisation qu’on a tous ces contacts, mais ce ne sont pas vraiment des amis. Une chose que j’ai dû apprendre très douloureusement, c’est qu’être ami avec beaucoup de gens n’est tout simplement pas possible. Deux amis c’est tout ce qu’il faut. On a tous besoin de deux personnes pour lesquelles on a du respect, mais qui peuvent également nous tenir responsables, nous critiquer et nous dire qu’on est un idiot sur un point ou un autre. On peut discuter avec eux sans craindre que cela détruise notre amitié, ce qui crée un cadre dans lequel on peut avoir des vraies conversations et être en désaccord. La plupart des gens sont très aimables. La plupart sont ouverts aux désaccords, aux nuances et aussi au pardon. Ils comprennent que la vie est ambivalente, difficile, pleine de souffrance, que les gens changent d’avis. Le christianisme, pour tous ses défauts, au moins, avait des concepts de pardon, d’absolution, et le bouc émissaire est déjà inclus dans la religion, donc on n’a pas à le chercher parmi nous. Et souvent, les personnes qui punissent ont beaucoup à cacher. Une des raisons pour laquelle ils punissent est parce qu’ils ont envie de dire, regardez là-bas, ne me regardez pas, ne regardez pas mes échecs. Une culture qui se laisse dominer par des narcissiques est en danger. Une chose que je n’ai pas vu arriver, c’est comment cette technologie pourrait être utilisée pour ces formes de sadisme social.
Rebecca Amsellem Cela nous ramène à une façon de penser totalement binaire, l’idée qu’on peut être bon ou mauvais et qu’il n’y a rien entre les deux. Il y a comme un concept de perfection qui est mis en œuvre dans le domaine de l’activisme. Nous avons créé ces outils pour dénoncer les pratiques des personnes qui abusent de leur
pouvoir dans les cercles plus anciens et que les militants utilisent en fait contre eux-mêmes. Alors j’imagine parfois des hommes blancs dans leur salon avec des cigares et du whisky, qui se disent « ils font notre travail à notre place, et tant mieux ! »
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Nina Power Il est beaucoup plus facile de s’en prendre à quelqu’un qu’on connait que d’attaquer le gouvernement ou les contrôles des frontières ou autre. Il est beaucoup plus facile d’écrire quelque chose d’horrible sur quelqu’un que d’organiser un groupe et de manifester ou d’essayer de changer quelque chose structurellement. Les idées des gens à ce sujet sont devenues incroyablement simplistes, et dans les relations hommes-femmes également. La France me semble être dans une situation tumultueuse vis-à-vis à son propre rapport avec la sexualité.
Rebecca Amsellem Comment ca ?
Nina Power La France a eu une certaine
résistance en raison de la façon dont elle essaie de protéger son propre patrimoine culturel et linguistique. Mais il y a quelque chose de très puissant dans l’anglais américain, c’est une langue très contagieuse. Et même si les gens critiquent l’impérialisme américain ou l’hégémonie américaine, ils ne se rendent parfois pas compte que cela fonctionne aussi au niveau de la langue. C’est une question cruciale sur la domination de toute forme de discours. Vu de de l’extérieur, vous avez Catherine Deneuve et ces centaines de femmes qui ont signé cette lettre défiant fondamentalement certaines des idées autour de MeToo en disant, regardez, si vous vous débarrassez de diverses formes de séduction et de flirt etc., alors vous diminuez également la liberté des femmes. Cela soulève toutes ces questions liées à la façon dont nous devrions nous comporter, particulièrement dans une culture post-religieuse. La France suit en quelque sorte la révolution libertine, non? La France a toujours été fière de son expression libidinale, d’être l’un des endroits les plus sexuellement libérés. Et cela découle de l’image révolutionnaire et républicaine qu’elle a d’elle-même, ainsi que de sa propre laïcité. Et comme
dans les années 60, comme dans le passé en fait, cela a eu un effet sur les discussions autour de l’âge de consentement, je sais que la France parle de l’élever.
Rebecca Amsellem Nous l’avons fait, cette année, à 15 ans.
Nina Power L’âge de consentement est 16 ans en Grande-Bretagne depuis longtemps. J’ai le sentiment que la France revient maintenant sur son histoire libertine et dit, attendez, peut-être que nous sommes allés un peu trop loin, nous avons besoin de plus de contraintes sociales autour du comportement sexuel.
Rebecca Amsellem Avec le mouvement Me Too, ils se sont rendu compte que toute cette culture était
définie par les gagnants. Et les femmes et les enfants sont les victimes.
Nina Power C’était tout un système qui rendait tout cela acceptable. C’est intéressant, n’est-ce pas, de comparer la France et sa nature libertine à une pensée de plus en plus homogène autour de choses comme l’enfance. Parce que les gens sont maintenant des enfants plus longtemps, non? Les occidentaux blancs de la classe moyenne sont des enfants jusqu’à l’âge de 27 ans, on est d’accord? Et c’est un changement social très intéressant. Et il a des points positifs et négatifs. Je pense que pour ceux qui ont grandi dans les années 90, on voulait atteindre l’âge adulte au plus vite. On voulait échapper à la dépendance. Beaucoup de gens ont quitté la maison
à 16 ans, même pour se marier et avoir des enfants. Les personnes avec qui j’étais à l’école l’ont fait très tôt par rapport à maintenant. L’âge adulte était peut-être encore possible d’une manière qu’elle ne l’est plus maintenant pour la génération Y. Sur le plan économique et social, il y a une dépendance de plus en plus croissante ou de plus en plus longue sur les générations précédentes, ce qui a alors des effets inhibiteurs sur la façon dont les gens considèrent leur propre comportement en termes d’êtres sexuels et d’être dans le monde.
Rebecca Amsellem Dans le livre que vous avez écrit, vous dites que la soi-disant autonomisation des femmes était liée à l’ère du consumérisme. Et on peut voir qu’aujourd’hui le féminisme pour certains et pour un nombre croissant de personnes ne veut plus rien dire car il est uniquement lié au
féminisme libéral et non plus au féminisme radical.
Nina Power Il y a une façon humoristique de parler de patriarcat, une façon très superficielle, comme «Smash the Patriarchy» qui signifie simplement, «oh, le pouvoir masculin est mauvais ». Alors qu’un regard sérieux sur le patriarcat devrait entrer dans les détails sur le rôle des femmes historiquement, la relation de propriété, la question de savoir comment les gens se déplacent dans le monde, s’il y a une protection. Et le patriarche est aussi celui qui prend soin des autres. Dans mon récent livre, j’essaye de communiquer qu’en réalité ce qu’on a aussi c’est la mort du père. C’est un point psychanalytique. Le consumérisme nous encourage essentiellement à satisfaire notre désir et à éliminer le désir d’assumer la responsabilité. Et en ce sens, il y a une continuation entre ce que je disais en 2009 et maintenant parce qu’en fait, aujourd’hui, presque personne n’est assez « adulte » pour être patriarcal dans le sens de protéger. Donc, même quand nous voulons dire que le patriarcat est mauvais, que se passe-t-il si le patriarcat n’existe pas de la manière dont nous pensons que nous l’attaquons ? Ce qui ne veut pas dire que certains hommes n’abusent pas de leur pouvoir ou qu’il n’y a pas d’hommes dans toutes les positions de pouvoir, absolument pas. Mais c’est alors la question de savoir quel système nous valorisons. Donc, ces hommes ont de l’argent et ont accès aux choses, non? Est-ce
ce que nous voulons cela pour tout le monde ? Est-ce que nous voulons que tout le monde soit extrêmement riche, et je ne sais pas, destructeur de l’environnement et du monde ? Est-ce quelque chose à viser, voulons-nous changer radicalement la façon dont nous comprenons la relationnalité du pouvoir et de la valeur elle-même, ce qui, je pense, est beaucoup plus en ligne avec le projet féministe radicale ? Pouvons-nous réinventer un monde dans lequel ces choses ne sont pas valorisées, en fait? Il faudrait totalement réinventer l’ordre social, ce qui est beaucoup plus radical dans le sens d’aller à la racine, mais aussi plus radical dans le sens de l’extrême que ne l’indiquerait le slogan « Smash the Patriarchy ».
Rebecca Amsellem Ne pensez-vous pas que le patriarcat serait plus une idée ou un concept que quelque chose de réel, tout comme dans la religion quand les gens parlent de Dieu, ils parlent davantage des valeurs que la religion apporte et non de Dieu en tant qu’une personne ? Dans une société post-religieuse, c’est aussi une façon de montrer qu’on a des valeurs et qu’on veut se battre pour ces valeurs. Et au contraire, il y a des gens qui disent que ces valeurs ne sont pas celles qui sont légitimées dans cette
société. Donc, que les féministes parlent de patriarcat ou non, le mot lui-même n’est pas vraiment le problème. Cela peut être autre chose. Cela n’a pas d’importance.
Nina Power Tout le monde a des droits. Quand ces droits sont en conflit, il faut faire des compromis. Nous ne vivons pas dans une société où le compromis est proposé comme solution toute prête, car on nous a appris que le désir est bon en soi. L’idée c’est que si on veut quelque chose, cette chose est bonne. Notre désir est purement bon. Mais bien sûr, ce n’est pas le cas. Certains désirs sont terribles et certains désirs sont en conflit avec les désirs des autres. Donc, l’étape adulte, la maturité politique serait de reconnaître
collectivement qu’il y a des droits contradictoires et des désirs concurrents.
Rebecca Amsellem Qu’est-ce qui a changé depuis que vous avez publié votre livre?
Nina Power Je l’ai relu récemment pour un groupe de lecture. Et tout le monde disait, oh mon dieu, le discours sur le genre n’existait pas à ce moment-là, pas vrai? Et j’ai répondu, non c’est quelque chose que je n’avais pas prédit. Le livre n’était pas censé être un oracle. Mais il est fascinant de voir à quel point certaines choses sont devenues dominantes dans les dernières 10 années. Puis, l’idée d’humour antagoniste est importante. C’est quelque chose que nous avions dans les années 90, le foutage de gueule, pouvoir se moquer les uns des autres. Et les gens n’avaient pas si peur, en fait. Et nous devons surmonter cette peur d’une manière ou d’une autre, collectivement.
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Ce midi, on se retrouve à 13h pour un déjeuner politique virtuel au Club des Glorieuses. On parlera engagement avec avec Sarah Durieux (Change.org), Elvire Duvelle-Charles (Clit Revolution) et Chloé Thibaud (Les Petites Glo).
«Je n’ai pas essayé de faire une œuvre. Il fallait vivre et survivre avec ce que j’avais – un corps solide. Une œuvre liée au corps, l’utilitaire. J’aime le quotidien exceptionnel. Je pars du geste.»Mort de la sculptrice lesbienne Valentine Schlegel.
Un nouvel épisode de « Vénus s’épilait-elle la chatte ? » est sorti. Cette fois-ci, le podcast s’intéresse au grand, au magistral mais aussi violent Picasso.
« Quand la pandémie est finie, je veux aller danser, pas aller acheter une robe » interview croisée de Maria Grazia Chiuri et Isabel Allende sur l’art féministe (en anglais).
Des artistes chinoises ont transformés des tonnes de commentaires en ligne haineux en oeuvre d’art (en anglais).
Trois féministes changent le visage de l’Argentine (en anglais).
L’artiste Mary Beth
Edelson est décédée. « Les réalisations de Mary Beth en tant qu’artiste et militante féministe pionnière continuent de changer le cours de l’histoire de l’art » (en anglais).
Ces femmes qui refusent d’être comme les autres femmes (en anglais)
Un mot de notre partenaire
Depuis sa création Lancôme incarne une image de la femme volontaire, émancipée et accomplie. En 2018 à l’échelle internationale, Lancôme a choisi de s’engager auprès de femmes dont l’indépendance et l’expression sont entravées, en créant le programme « Write Her Future » en partenariat avec l’ONG CARE.
En France, où il y a 2.5
millions de personnes illettrées, c’est avec l’Agence Nationale de Lutte Contre l’Illettrisme que Lancôme a co-construit un programme qui met l’accent sur l’usage du numérique pour réapprendre aux jeunes femmes à lire et à écrire et ainsi, les aider à sortir à la fois de l’illettrisme et de l’illectronisme. Ce programme a déjà bénéficié à 700 femmes.
Bien qu’universel, l’illettrisme reste tabou et méconnu de l’opinion. C’est dans ce contexte que Lancôme France a développé un module digital en 10 questions, pour détecter les signes de l’illettrisme et savoir comment réagir.
A faire en cliquant ici.
Ensemble, levons le tabou sur le sujet et permettons à chacun d’être autonome au quotidien.
Rendez-vous – Ce midi, on se retrouve à 13h pour un déjeuner politique virtuel au Club des Glorieuses. On parlera engagement avec avec Sarah Durieux (Change.org), Elvire Duvelle-Charles (Clit Revolution) et Chloé Thibaud (Les Petites Glo).
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A conversation with Nina Power on feminism, activism and modern days – original version
Rebecca Amsellem You said everything before it was actually mainstream. In your book that you published a bit more than 10 years ago, you start by defining the typical portrait of what femininity is. Having an expensive handbag, a vibro, an apartment, and a guy. And you explain by saying that the so-called emancipation of women coincides perfectly with consumerism. What I thought when reading this portrait is that you could actually add today to this typical portrait a few political convictions about feminism. It looks nice to be successful and a little bit feminist. Would you add this political aspect to this portrait today?
Nina Power I was talking about consumer feminism. I tried to describe precisely this idea of contemporary feminism, which is very compatible with that consumer capitalist image. That certainly increased in the last 10 years or so. All these terms to do with things like empowerment, where it’s not actual power, real power, but there’s a kind of absolute fake version of these things. The second wave is an unfinished project. This third or fourth wave, whilst it’s pretending to be progressive, is actually regressive in terms of the original project of feminism.
Rebecca Amsellem In your book, you foresaw a few things. For instance, you said how feminism started to become a rhetorical figure, with the political right wing as well as the left wing. The latter is also using feminism as a
way to to have more masses voting for them, even though internally they actually do not respect the values of what feminism is.
Nina Power I was talking about how feminisms or women’s rights were being invoked as a reason to go to war with the Middle East by figures on the right. Today, there’s also this superficial implication on the left, often by men. And the male feminist has become something of a joke, I would say, in the last little while, because I think it’s patently obvious that there’s a way in which lip service is often paid to feminist or women’s concerns There is a hypocritical or superficial invocation of feminism on the left, which hasn’t come to terms. Women’s emancipation and women’s right to vote and to participate in political and social life is more of a problem than people maybe thought it
would be, because women don’t necessarily behave or think in the way that they should according to an image of inclusion. And when there’s these points of tension, then it just goes back to women being told to shut up. Because it’s also historically relatively recent that women have had this political belonging. And we’re still in the early stages actually of that. We never thought that it was going to be easy. It’s not that if you just add women to politics, then suddenly everybody thinks the same thing. It’s harder than the people thought.
Rebecca Amsellem It seems that women were supposed to be tokens and not to speak. And the men were supposed to do the job, but just placed a woman in front of them just to legitimise their policies. Today, with the COVID crisis, you can see that the social and economic conditions
of women have actually worsened. So how would you explain that women are more and more implicated in the political life and there is no consequences whatsoever ?
Nina Power One of the concepts that I find very useful even in 2009 was this idea of Zillah Eisenstein, which is not just the token, but the decoy. At the time, I was talking about Condoleezza Rice and Sarah Palin, or what happens when you have women who are technically in very powerful positions according to our own system of power but who are not only there because they’re women, but they’re also there in order for more radical views not to be heard. When they pursue reactionary policies or policies that actively undermine that, say, women’s economic or social position, they also form a distraction. So the decoy is a more useful word in some ways than token,
which is maybe overused because the decoy also switches the attention in a different way. We can update that to talk about particular figures, whether we’re talking about race or sex, that there are people who are basically doing the bidding of the system but look like they are representing something oppositional when they’re, in fact, not at all.
Rebecca Amsellem And on the opposite, we can actually acknowledge that there’s a new generation of women who got into politics who are using the liberal tools of democracy to push radical views forward. And maybe it didn’t exist 10 years ago.
Nina Power That’s one of the massive shifts that happened : the increase of platforms and networks. When I was writing, we were just using blogs. I think this is even before Twitter and certainly before Facebook and so on. And I think there are downsides
to that, too. We saw the avoidance of more longed for, more nuanced, more complex ideas, which are now coming back into things like Substack. People got tired of the one sentence take. Something I didn’t foresee was the cancel culture. I don’t know how people regard this in France, but an increasing intolerance for opposing views and very punitive and moralistic way of dealing with different views, which leads in people losing their jobs and being ostracised. I didn’t see that coming. Because I’m more generation X, I thought we had more of a humorous attitude towards disagreement. And actually that transgression was part of being on the left, that being edgy or funny was part of being against the conservative right. And we’ve seen a conservatism on the left or the so-called left, which has become very moralistic and punitive. There’s a lot of fear now, which I don’t think there was when I was writing my book in the same way. I think people were better able to disagree without feeling like they were being personally attacked. On the matter, Sarah Schulman’s work is amazing. She’s an American long term activist. She’s a lesbian. She’s in New York. She’s been involved in gay rights and she’s a creative writer as well. She wrote this amazing book called « Conflict is Not Abuse » a few years ago, where she was seeing in activist communities the fact that disagreement was increasingly being framed as if it were abuse. I think everybody’s a philosopher. And I think the only way we can negotiate or navigate social and political life together is by talking even when it’s a bit difficult to do so. And I think I’m very wary of people who want to shut down debate. This used to be a left wing position, that ideas around free speech are now being associated with the right, they’re not right wing ideas at all. And this is another strange tactic and something weird that’s happened, where left wing ideals are being perceived to be right wing by a position, an ideological position, which pretends to be left wing but is actually authoritarian.
Rebecca Amsellem What you say is when one says something that is not exactly in the framework of what people should say, you’re being directly cancelled by a part of their own group.
Nina Power I’ve been cancelled loads of times. If people want to make an example of you, they will do it very publicly. When the mob comes for you, they really come for you. I have a couple of people who are dementedly obsessed with me and listen to everything I do and write to every time I give a talk or trying to get me not platformed or cancelled. And they’re completely obsessive. And it’ so sad? And it’s like, what are you do it with your life?
Rebecca Amsellem How do you deal with your mental health and this issue?
Nina Power I’m not saying it’s easy. I lost a lot of friends with speaking out on certain things. To be able to think for yourself sounds very simple, but it’s actually really difficult. I was involved in left wing activism for a very long time. And I accepted a lot of things almost without judgement, just because it seemed like people were upset about something. But actually, it was ultimately incredibly self-defeating and self-destructive to be so open and I wasn’t protecting myself. And I was involved in some serious cases trying to protect people. It was just too much. In the first place, it’s very basic things like looking after yourself physically. I took up yoga and, yeah, just being in nature.It sounds so banal and so stupid, to increasingly not worry about what other people think. And I think this also comes from age as well, though. It’s like, at 42, I am not the person I was at 27. I don’t care if people will think I’m some horrible person. Another feature of social media on my life is that you have all these contacts, but they’re not really your friends. One thing I had to learn very painfully was that being friends with lots of people online isn’t possible. They’re not your friends. Having two friends is all you need. You need two people who you have respect for, but also who can call you out, who can criticise you, and say, you’re being an idiot on this point. They will argue with you without you fearing that it would destroy the friendship so that you’ve got a framework within which you can have proper discussions and disagree. Most people are very good natured. Most people are open to disagreement, nuance, and also forgiveness. Most people understand that life is ambivalent, difficult, full of suffering, people change their minds. Christianity, for all of its faults, at least, had concepts of forgiveness, absolution, and the scapegoat is already included in the religion, so you don’t have to start scapegoating each other. And often the people doing the punishing have a lot to hide themselves. Part of the reason they’re doing it is because they’re saying, look over there, don’t look at me, don’t look at my own failings. A culture that allows itself to be dominated by narcissists is in trouble. One thing I didn’t foresee is how this technology might be used for these forms of social sadism.
Rebecca Amsellem It also brings us back to a totally
binary way of thinking, you can either be good or bad and there’s nothing in between. There’s also the concept of perfection that is implemented in the activism field. We actually created those tools to denounce the practices of people who abuse their power in older circles and the activists are actually using against themselves. So I sometimes imagine white men in their living rooms with cigars and whisky, like, oh, my God, they’re doing the job for ourselves, « It’s amazing ».
Nina Power It’s much easier to attack someone than to go after the government or the border control or whatever. It’s much easier to type something horrible about somebody than it is to organise a group and protest or try to change something structurally. People’s ideas about it have become incredibly simplistic, also in the relationship between men and women as well. France seems to me to be in a
tumultuous situation vis-a-vis its own relation to sexuality.
Rebecca Amsellem Like what, for instance?
Nina Power France did have some resistance because of the way it tries to protect its own cultural heritage and linguistic thing. But there’s something very powerful about American English, like it’s a very infectious language. And even if people might be criticising American imperialism or American hegemony, they sometimes don’t realise that it’s also operating at the level of language. It’s a critical question about the dominance of any form of discourse, basically. Looking from the outside you have Catherine Deneuve and these hundreds of women who sign this letter basically challenging some of the ideas around #MeToo by saying, look, if you get rid of various forms of seduction and flirtatio, then you diminish women’s freedom as well. It raises the questions of how how we should behave in a post-religious culture. France is in a way following the revolution, the most libertine republic, right? France has since then prided itself on being expressive in a libidinal way. And this follows from the revolutionary and Republican image it has of itself, as well as its own secularism. And this has obviously been played out in terms of these very now, like in the ’60s, like an earlier actually, the discussions around age of consent, I know France has is talking about raising it.
Rebecca Amsellem We did, this year, to 15 years old.
Nina Power It’s been 16 in Britain for a long time. I get the feeling that France is now looking back at its libertine history and saying, hang on, maybe we went a bit too far that actually, we need more social constraints around sexual behaviour.
Rebecca Amsellem With the Me Too movement, they actually realised that this whole culture was defined by the winners. And the women and children are the victims.
Nina Power It was a whole system that would make all of this okay. It’s interesting to compare France and it’s previously libertine nature. So people are now children for longer, right? White, western, middle class people are children until they’re 27, right? And that’s a very interesting social shift. And it has positives and negatives, I suppose. I think when we were growing up in the ’90s, you wanted adulthood as fast as possible. You wanted to escape dependency. A lot of people left home at 16. Even to get married and have children, people that went to school with did that very early compared to now. Adulthood was maybe still possible in a way that it isn’t now for a lot of millennials. Economically and socially, there’s an ever increasing or lengthening dependence on previous generations, which then has inhibiting effects on how people regard their own behaviour in terms of sexual being and being in the world.
Rebecca Amsellem In the book you wrote,
you say that the so-called empowerment of women was related to the age of consumerism. And we can see that today feminism for some and for a growing number of people do not mean anything anymore because it’s only related to liberal feminism and not anymore to radical feminism.
Nina Power There’s a jokey way of talking about patriarchy, a very superficial way, like « smash patriarchy » that just means something like, « oh, male power is bad ». Whereas, a erious look at patriarchy would have to go into detail about women’s role historically, the relationship of property, the question of how people move around in the world, whether there’s protection. In this recent book of mine, I’ve been trying to say that actually what you have is a death of the father as well. This is psychoanalytic point. Consumerism basically encourages you to indulge your desire and eliminate the desire to take responsibility. And in that sense, there’s a continuation between what I was saying in 2009 and now: almost nobody is adult enough to be patriarchal in the sense of protecting. Even when we want to say that patriarchy is bad, what if actually patriarchy doesn’t exist in the way that we think we’re attacking it ? We need to think about the values we want to put forward. These men have money and access to things, right? Is that what we want for everybody? Is it that we want everybody to be extremely rich, and I don’t know, destructive of the environment and of the world? Is that something to aim for ? Do we want to radically shift how we understand relationality of power and value itself, which I think is much more in line with the radical feminist project. Can we reimagine a world in which these things are not valued ? We have to totally rethink the social order, which is much more radical in the sense of going to the root, but also more radical in the sense of extreme than the smash patriarchy slogan would indicate.
Rebecca Amsellem Don’t you think patriarchy would be less of a concept than something that is actually real. Like in religion when people talk about God, they’re talking more about the values that the religion is bringing in and not God being a person itself? In a post-religious society, it’s a way to show people that they have values and we want to fight for those values. And on the opposite, there are people who are saying that those values are not the one that should legitimised in this society. So whether feminists are talking about patriarchy or not, the word itself is not really the issue. It can be
something else. It doesn’t matter.
Nina Power Everybody has rights. When there’s rights clash, you have to talk about it and there’s a way in which people have to compromise. We don’t live in a way that permits compromise as a ready solution because we’ve been taught that desire is good in and of itself. If you want something, that’s what the good is. Your desire is purely good. But of course, it’s not. Some desires are terrible and some desires are in conflict with other people’s desires. So the adult step, the political maturity would be to collectively recognise that there are clashing rights and competing desires.
Rebecca Amsellem What changed since you published your book ?
Nina
Power There was no discussion around gender back then. I reread it recently for reading group Eeveryone was like, oh, my God, this discourse didn’t exist then, did it? No, and that’s something I didn’t predict. It wasn’t supposed to be like an oracle. But it’s fascinating how dominant certain things have become in the interim between then and now in my lifetime. Also, the idea of antagonistic humour is important. This is what we did have in the ’90s, that you could rip the piss out of each other. And people weren’t so afraid, actually. And we’ve got to get past this fear somehow, collectively.
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