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J’ai très souvent besoin d’être seule. Je serais bien heureuse d’être seule chez moi du samedi soir au lundi matin. C’est comme ça que je me ressource.
Audrey Hepburn
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La solitude, de meilleure ennemie à meilleure amie
La solitude est tantôt une présence encombrante dont on veut se débarrasser, tantôt une amie réconfortante qui viendrait à nous manquer. Pendant longtemps, Marie, 22 ans, l’a considérée comme “synonyme d’introspection forcée, voire de rejet social.” “Je ne comprenais pas encore d’où venait mon mal-être,” explique-t-elle. “Je me reposais beaucoup sur la présence des autres, pour ne pas avoir à me retrouver face à mes problèmes et mes peurs.” Un jour, cet abri s’est effondré. “Je me suis retrouvée seule du jour au lendemain, et j’ai découvert qu’en fait, non seulement j’y survis, mais j’apprécie !«
Il est commun de redouter la solitude. Selon une étude de l’IFOP publiée en 2024, 4 Français·es sur 10 se sentent régulièrement seul·es, dont 62 % des 18-24 ans. L’isolement social affecte négativement la santé, avec un risque accru de maladie cardiovasculaire et même de décès prématuré. Dans son dernier rapport sur la santé mentale des étudiants en Europe, publié début février, la ligne d’écoute Nightline révèle que la France recense la proportion la plus élevée d’appels dans les catégories relatives à la solitude et au mal du pays (16 %) parmi les cinq pays analysés. Un isolement que l’on peut expliquer par un entremêlement de facteurs : études loin de la famille, précarité, longues heures passées à étudier, et une instabilité mondiale faisant craindre pour l’avenir.
“Il y a une conscience chez les jeunes beaucoup plus grande de leur avenir, de l’incertitude de leur avenir, et le sentiment qu’ils ne pourront compter que sur eux-mêmes car ils ne croient plus à la protection des gouvernants ou de la société,” nous explique la psychanalyste et psychologue Catherine Audibert. “On ne peut se sentir bien seul·e que lorsque l’on sait que cette solitude est protégée et qu’elle prendra fin.” Elle est l’autrice de L’incapacité d’être seul (Payot, 2016), dans lequel elle fait la distinction entre deux états de solitude : la “solitude-sereine” et la “solitude-détresse”, qui déterminent la capacité ou non à se sentir bien en étant seul·e.
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Dans un entretien avec les Petites Glo, elle précise que “la capacité à être seul·e fait partie des mises à l’épreuve” nécessaires pour s’éloigner du nid familial. “Cela se fait progressivement. Mais certaines situations confrontent les jeunes parfois trop brutalement à la solitude,” comme ce fut le cas avec les confinements successifs. D’autres aspects de la société nous renvoient de plein fouet notre isolement, comme paradoxalement, l’accès constant aux communications. “Qu’y a-t-il de pire pour un adolescent qu’un téléphone mobile qui ne sonne pas ou qu’une messagerie Internet vide ?” interroge Catherine Audibert dans son livre. Une situation vécue par Nolwenn, 26 ans, qui dit alors entrer dans un cercle vicieux : “On est seul·e, alors on rejette l’être humain, on devient plus dur envers les autres et on s’isole encore plus.”
Joy, 31 ans, confie se sentir particulièrement seule en consultant les réseaux sociaux au Nouvel An ou le jour de la Saint-Valentin. “Mais je crois que le pire reste de se sentir seul·e quand tu es entouré·e, car ça crée un sentiment de rejet, d’humiliation,” nuance-t-elle. “Ça donne l’impression de ne pas être conforme à la société. Tu veux qu’on t’aime et tu te dis qu’il faut que tu t’adaptes, mais en fait ça ne sert à rien. Tu es encore plus seul·e, car tu n’es pas toi-même.” Pour Marie, la solitude a été nécessaire afin de découvrir qui elle était et qui elle voulait être. “J’ai tellement travaillé vers mon objectif bien-être que les personnes qui participaient à mon mal-être, consciemment ou non, ont fini par quitter ma vie.”
“Ça m’a permis d’être une personne à part entière et à ne plus me calquer sur mon entourage,” poursuit-elle. “Maintenant, si je suis dans une situation sociale, c’est par choix et par envie, pas par besoin ou peur de la solitude. J’apprécie la personne en face de moi, pas ce qu’elle représente ou ce dont elle me ‘sauve’.” Catherine Audibert écrit ainsi que “La tranquillité d’être seul·e va de pair avec la tranquillité d’aimer, car la capacité à apprécier la solitude, les bienfaits de s’y retrouver, s’y ressourcer ou s’y détendre permettent au sujet de créer des relations qui ne reposent pas sur le besoin mais sur le désir et l’échange.”
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De nature introvertie, Marie explique que la solitude, quand elle la choisit, lui permet de recharger ses batteries et de s’épanouir intérieurement. “C’est hyper libérateur, car tu vis vraiment pour toi,” s’enthousiasme également Joy. Cela lui donne aussi du temps pour des remises en question, ou pour se consacrer à ses activités favorites. “Il y a des moments où on a besoin de se couper des autres, de passer du temps avec soi-même,” renchérit Nolwenn. “Une solitude que la vie nous impose est terrible, c’est une chape de plomb. En revanche, faire le choix d’avoir des temps pour soi, c’est aussi savoir qu’il y a toujours une porte de sortie.”
Cela nous renvoie aux propos de Catherine Audibert tenus au début de cette newsletter : la solitude nous fait nous sentir bien lorsqu’on sait qu’elle prendra fin. Elle nous précise : “La solitude fait peur lorsqu’elle est synonyme d’ennui, de rejet, d’abandon, de mésestime de soi… Il y a sans doute tout un travail à faire pour restaurer cette confiance en soi et développer tout un univers intime propre à chacun. La capacité à apprécier la solitude va de pair avec la confiance en soi, la confiance en ses propres ressources psychiques et créatives.” Une fois à l’aise pour explorer ce monde intérieur propre à chacun·e, on pourra découvrir les trésors qu’il renferme.

Nous avons parlé au début de cette newsletter de l’association Nightline, qui propose une ligne d’écoute et un tchat gratuits, gérés par les étudiant·es pour les étudiant·es, tous les soirs de 21 h à 2 h 30. 400 bénévoles sont formé·es à une écoute active et non-directive. En plus d’être confidentiels et anonymes, les appels ont pour but de laisser l’appelant·e s’exprimer comme iel le souhaite. “Nous sommes un soutien psychologique, mais on ne pourra jamais remplacer un réel suivi médical,” signale Érina Bréhéret, porte-parole de Nightline France. L’association fonctionne aussi comme une ligne d’information, en redirigeant les personnes qui la sollicitent vers d’autres ressources adaptées. Si vous ressentez le besoin de discuter, Érina Bréhéret tient à rappeler qu’”Il n’y a pas de petit problème, Nightline est là pour vider son sac !”
Le mental fitness des Petites Glo
En 2021, l’Université de Sherbrooke au Québec a mis en place une page de recommandations pour ses étudiants souffrant de solitude. Tout en mettant en garde contre ses effets néfastes sur la santé physique et mentale, ils conseillent de ne pas chercher à la fuir, afin de ne pas perdre ses bénéfices.
En voici un résumé :

On lit : Jane Eyre, roman de Charlotte Brontë (1847)
Jane Eyre est un merveilleux classique de la littérature britannique écrit par la grande Charlotte Brontë. En son cœur, l’héroïne éponyme Jane est une jeune femme qui commence sa vie très seule, et bien qu’elle ressente un fort besoin d’amour, refuse de faire des compromis sur sa personne. “Je puis vivre seule, si le respect de moi-même et les circonstances m’y obligent; je ne veux pas vendre mon âme pour acheter le bonheur.” Go Jane ! À lire au coin du feu ou sous la couette pour son ambiance gothique dans la campagne anglaise. On peut aussi vous suggérer Walden (1854), le récit de l’Américain Henry David Thoreau sur son exil dans les bois pendant un an, et plus récemment : le roman La Vie invisible d’Addie Larue de V. E. Schwab (2020).
N’oubliez pas d’acheter vos livres dans votre librairie féministe de proximité préférée. Parmi celles que vous nous avez conseillées : Maison Marguerite à Nantes, la Librairie à soi·e à Lyon, Un livre et une tasse de thé ou Majo à Paris, Arborescence à Massy, Zeugma et A la marge à Montreuil, Chez Simone à Bayonne, Divergences à Quimperlé et L’Affranchie librairie à Lille, le Tracteur Savant à Saint-Antonin-Noble-Val, le café-librairie Luna à Grenoble, les Villes Invisibles à Clisson. Merci pour ces suggestions, et n’hésitez pas à nous contacter si vous souhaitez en signaler d’autres ! 🙂
On regarde : Lost in Translation, film de Sofia Coppola (2003)
La brillante Sofia Coppola raconte ici une touchante histoire sur la solitude, menée par Scarlett Johansson et Bill Murray. Se sentir seul dans un pays étranger (le Japon) dont on n’est familier ni avec la langue, ni avec la culture ; se sentir seul dans sa relation ; en apprendre davantage sur soi et apprécier encore davantage les rencontres qu’on fait dans ces moments-là. Comme tout ce que réalise Sofia Coppola, c’est un film poétique, sensible et intelligent, tout en étant visuellement très beau.
On écoute : “J’ai peur de la solitude”, épisode du podcast Canapé Six Places de Lena Situations (2023)
Dans cet épisode en solo, la solaire Lena Situations se confie sur la bataille interne qu’elle a longtemps mené contre sa peur de se sentir seule. Elle raconte qu’au lycée, cela l’a amenée à fréquenter des personnes qui ne lui correspondaient pas. Aujourd’hui encore, il lui arrive de devoir faire face aux remises en questions qui viennent avec la solitude. Elle aborde aussi la FOMO (“peur de rater quelque chose”) causée par les réseaux sociaux. Et plein d’autres sujets auxquels on peut s’identifier !
Et comme d’habitude, le podcast Émotions de Louie Media a aussi discuté de ce sujet avec brio dans l’épisode “La solitude : pourquoi faut-il parfois apprendre à l’accueillir ?” (2020).

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