Quelques notes sur la vérité, l’indifférence et la politique, par Rebecca Amsellem Vous pouvez lire la newsletter en ligne ici si elle ne s’affiche pas bien : https://lesglorieuses.fr/verite-indifference-politique/ « Je ne vous laisserais pas dire ça. » Dans le chaos de ces derniers jours, un échange dont la teneur n’échappe pas à la cacophonie des prises de parole inutiles a retenu mon attention. Ça se passait sur la chaîne BFM et c’était entre Julien Odoul, député sous la bannière du Rassemblement national (ex-Front national) et Benjamin Duhamel, éditorialiste politique pour la chaîne. Le député d’extrême droite faisait part d’une petite pensée pour « le grand Léon Blum qui doit se retourner dans tombe » alors qu’il commentait les partis de gauche essayant de s’entendre pour faire front commun. L’éditorialiste s’étonne alors – avec sans doute l’ensemble des personnes portant des valeurs démocratiques – de voir Blum, ancien président du Conseil, juif, grand socialiste, repris par un représentant d’un parti fondé par des anciens membres de la SS. La réplique de Duhamel m’a rassurée, c’est vrai. Ce qui m’a étonnée, c’est Julien Odoul enchaînant ensuite en accusant le journaliste d’être « en plein délire », puis d’affirmer « je ne vous laisserais pas dire ça », et enfin « n’essayez pas de faire des parallèles qui sont scandaleux », sous-entendant par ces paroles que le parti d’extrême droite français n’avait pas été fondé par un ancien SS. Pour les plus jeunes d’entre nous, un rappel utile : le Front national a été créé par Jean-Marie Le Pen et Pierre Bousquet en 1972. Jean-Marie Le Pen, père de Marine Le Pen qu’on ne présente plus, est un ancien militaire et homme politique condamné à plusieurs reprises pour négationnisme pour avoir, par exemple, contesté la réalité de l’existence des chambres à gaz. Pierre Bousquet est un ancien Waffen-SS. Ce que dit l’éditorialiste est donc juste, c’est vrai. « Il n’a jamais fait de doute pour personne que la vérité et la politique sont en assez mauvais termes, et nul, autant que je sache, n’a jamais compté la bonne foi au nombre des vertus politiques », écrivait la philosophe Arendt dans « Vérité et politique » (publié dans Crise de la culture, Gallimard, coll. Folio). « L’objet de ces réflexions est un lieu commun. » Et d’ajouter : « les mensonges ont toujours été considérés comme des outils nécessaires et légitimes, non seulement du métier de politicien ou de démagogue, mais aussi de celui d’Homme d’Etat ». L’affinité du mensonge à l’action, au changement de monde, au politique, dit Arendt, est indéniable. Et la question inhérente au lieu commun est évidente : « Est-il de l’essence même de la vérité d’être impuissante et de l’essence même du pouvoir d’être trompeur ? » Et c’est ici que je reviens à mon actualité – la victoire de l’extrême droite aux élections européennes, victoire ayant précipité la décision de dissoudre l’Assemblée nationale. Cette victoire s’explique de différentes manières – un vote contestataire, islamophobe, une volonté de tester « autre chose » qu’un système qui ne semble pas être au rendez-vous pour les plus démunis. Stratégiquement, cette victoire repose sur une hausse considérable du vote des femmes pour l’extrême droite. « 32 % des femmes votantes ont voté pour le RN, une progression de 10 % comparé à 2019, écrit Visible Media. Et pour cause, le parti se présente – notamment sur le réseau social TikTok – comme un défenseur féroce des droits des femmes alors même que ce parti est masculiniste et vote systématiquement contre les droits des femmes (égalité salariale, IVG, santé des femmes, pour n’en citer que quelques-uns). Comment le discours autour d’un mensonge organisé, choisi, c’est-à-dire qui ne relève pas de l’erreur peut-il convaincre ? Dans un autre texte publié quelques années tard, Du mensonge à la violence, Arendt écrit « La tromperie n’entre jamais en conflit avec la raison, car les choses auraient pu se passer effectivement de la façon dont le menteur le prétend. Le mensonge est souvent plus plausible, plus tentant pour la raison que la réalité, car le menteur possède le grand avantage de savoir à l’avance ce que le public souhaite entendre ou s’attend à entendre. Sa version a été préparée à l’intention du public, en s’attachant tout particulièrement à la crédibilité, tandis que la réalité a cette habitude déconcertante de nous mettre en présence de l’inattendu, auquel nous n’étions nullement préparés ». Collage réalisé par mes soins Parce que la conséquence probable du mensonge en politique n’est pas la vérité mais l’indifférence. « … Le résultat d’une substitution cohérente et totale de mensonges à la vérité de fait n’est pas que les mensonges seront maintenant acceptés comme vérité, ni que la vérité sera diffamée comme mensonge, mais que le sens par lequel nous nous orientons dans le monde réel – et la catégorie de la vérité relativement à la fausseté compte parmi les moyens mentaux de cette fin – se trouve détruit. » Et c’est ce même mensonge répété qui entraîne cette indifférence. Comment y rester confronté·e autrement ? Si nous sommes en face d’un groupe de personnes qui hurlent la même chose, si argumenté et si fort que ce soit, il est épuisant d’être seul·e, en face, de rapporter les discours aux faits. Et quand bien même nous savons que ce n’est pas le nombre qui fait la vérité, il est plus reposant, parfois plus sain pour sa propre santé, d’opter pour l’indifférence. Et maintenant, place au vote Vous ne pouvez pas voter le 30 juin et/ou le 7 juillet ? Vous êtes là et dispo pour voter pour quelqu’un ? Découvrez le plan Procu – pour mettre en lien les votants ! https://planprocu.fr/ Sur Madmoizelle – un résumé de ce qui nous attend peut-être dans 3 semaines – au Parlement européen, instance où le RN a le plus de pouvoir, les députés votent systématiquement contre les droits des femmes. Et il n’y a pas que les femmes que le RN déteste, il y a aussi les personnes LGBT+, les personnes pauvres, la planète, la liberté des Et dans d’autres pays, l’extrême droite, ça donne quoi ? Pour la newsletter Impact l’année dernière, Megan Clement avait interviewé la journaliste Sian Norris, spécialiste des réseaux d’extrême droite qui s’opposent aux droits reproductifs et LGBTQIA+ en Europe et aux États-Unis. Elle montre comment des groupes politiques s’inspirent de théories complotistes sur les corps des femmes et les rendent acceptables pour le grand public. Lire l’interview ici https://lesglorieuses.fr/extreme-droite-ivg/ Sur Linkedin, Caroline Safir liste des films sur ce que c’est de vivre avec un gouvernement d’extrême droite, on trouve Le Tambour, La Vague et bien d’autres : des bonnes pistes pour répondre aux « mais, on n’a jamais essayé ». Je rajouterais Le Dictateur de Charlie Chaplin, La vie est belle et La Liste de Schindler. « Si Marine Le Pen accède au pouvoir », articles de Mediapart en libre accès https://www.mediapart.fr/journal/politique/dossier/en-acces-libre-si-marine-le-pen-accede-au-pouvoir?at_medium=custom3&at_campaign=67 Les Origines du totalitarisme d’Hannah Arendt, une série de podcast France Culture https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-les-origines-du-totalitarisme-d-hannah-arendt Rien à voir avec l’actualité réjouissante de ces derniers jours, sur Disney+, je vous recommande Queenie, une série géniale recommandée par mon amie Eva. On suit une jeune femme anglo-jamaïcaine vivant au sud de Londres entrant dans l’âge adulte avec toutes les difficultés de vivre ses premiers échecs, gérer les conséquences de son enfance et apprendre à s’aimer pour qui on est.
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