Mardi 14 décembre 2021 9 jeunes femmes sur 10 ont déjà subi des violences conjugalesNe pas l’agacer. Ne pas l’agacer, ne pas le frustrer ou le contrarier, sinon il va s’énerver. Et s’il s’énerve, il haussera le ton, pointera son doigt furieux à un centimètre de mon visage en hurlant, menacera de se suicider. S’il se met en colère, il brisera le carreau d’une fenêtre, cassera un objet ou le verrou d’une porte derrière laquelle je me suis cachée le temps que la crise passe. Ne pas lui répondre, ne pas entrer dans son jeu, rester calme pour ne pas m’entendre dire que “je l’ai bien cherché“. Rester calme malgré la peur. Malgré la tristesse immense d’avoir peur de celui que j’aime. Entendre le verrou de la porte sauter, le voir bondir sur moi, m’attraper par le col et penser “Cette fois-ci, il va vraiment le faire“. Puis, la peur dissipée, me répéter que ce n’est pas si grave parce qu’il m’aime, lui aussi. La preuve, il est en larmes, il me prend dans ses bras, me couvre de baisers et d’excuses. Enfin, m’habituer à prononcer cette phrase : “Non mais ça va, c’est pas comme s’il me foutait des coups de poing dans la gueule !“. Banaliser. Il y a quelques semaines, ce sont ces scènes que j’ai racontées à mon interlocutrice sur le tchat d’En avant toute(s), commentonsaime.fr. Il se trouve que Louise Delavier, la co-fondatrice, est une ancienne camarade de collège et que c’est vers elle que je me suis tournée, un jour de désespoir, lorsque je ne voulais pas embêter mes proches avec mon histoire ni répéter à ma psy ce qu’elle savait déjà. Elle m’a conseillé de faire un tour sur leur site, et cette discussion en ligne (gratuite et anonyme) avec une professionnelle m’a considérablement aidée. C’est ensuite que j’ai proposé à Louise d’associer nos forces pour venir en aide aux plus jeunes qui font face à ce problème. Car les violences conjugales ne se présentent pas seulement sous la forme d’un œil au beurre noir. Elles ne concernent pas que les adultes. Elles commencent tôt, dès les premières relations amoureuses. Elles n’épargnent personne, ni celles qui écrivent des articles pour les dénoncer, ni celles qui les lisent. Celles qui, féministes, éclairées, engagées, pensent qu’elles ne tomberaient pas dans ce piège parce qu’elles “savent très bien comment ça marche et ne se laisseraient jamais faire“. Il est important que vous lisiez ceci les Petites Glo : tout le monde peut être victime de violences conjugales. Nous avons donc mené une enquête sur le site des Glorieuses (du 2 au 26 novembre 2021) en vous proposant de répondre à un questionnaire sur vos relations affectives et sexuelles. Notre objectif était de mettre en lumière les réalités des jeunes de 12 à 24 ans et vous avez été 3127 à participer, ce qui est énorme. Je vous remercie de tout mon cœur car, grâce à vous, nous avons pu recueillir des informations inédites qui permettent malheureusement de confirmer la gravité de la situation. En effet, 90,3% des personnes s’identifiant comme femmes et ayant déjà été en couple ont répondu “oui“ à au moins une question sur l’expérience des violences, ce qui signifie que plus de 9 jeunes femmes sur 10 ont déjà subi des violences conjugales. Cela s’exprime d’abord à travers la violence verbale et psychologique : 47% des répondantes ont déjà été traitées de “pute“, de “conne“ ou de toute autre insulte au cours d’une relation ; et 46% se sont déjà senties rabaissées par des attitudes ou des phrases méprisantes du genre “Tu n’es pas assez bien pour moi“, ou “Avec mon ex, c’était mieux“. “Ces chiffres démontrent à quel point c’est répandu, commente Louise lorsqu’elle découvre les résultats du sondage. Mais il ne faut surtout pas banaliser les insultes, même lorsqu’elles sont dites ‘sur le ton de la blague’. En réalité, on est déjà dans de la violence.“ Maja a 19 ans et elle m’a raconté son histoire. Lorsqu’elle avait 15 ans, elle a rencontré son premier petit copain et a eu le sentiment de laisser tomber celle qu’elle était pour devenir celle qu’il voulait qu’elle soit :
Maja a eu d’autres histoires depuis mais cet homme fait encore partie de sa vie. “Malgré mon épanouissement dans ma vie sentimentale et sexuelle, je suis toujours retournée auprès de lui, tout en sachant le mal qu’il m’avait fait. Il sait quels mots emprunter, les points sur lesquels il faut appuyer.“ Ce qu’elle décrit porte un nom : l’emprise. Comme ma témoin, 39% des jeunes femmes hétérosexuelles affirment que leur partenaire a déjà obtenu d’elles des comportements qui ne leur ressemblaient pas (changer de style vestimentaire, consommer de la drogue, de l’alcool, couper les ponts avec leurs proches…). Idem pour 38% des homosexuelles et 44% des bisexuelles ou pansexuelles. Lorsqu’une victime prend la parole, il est très douloureux de lire ou d’entendre les commentaires des gens qui s’indignent qu’elle ne soit pas “partie plus tôt“, qu’elle “y soit retournée“. Mais c’est précisément le pouvoir de l’emprise qui l’en empêche. Face à un partenaire violent, le cerveau est retourné, lavé, comme mis sur pause. Il en va de même, souvent, pour le corps… Le chiffre le plus élevé de notre enquête concerne les violences sexuelles. 59% des filles, soit plus d’une sur deux, se sont déjà senties obligées d’avoir des relations sexuelles ou d’effectuer certaines pratiques par peur que leur partenaire les quitte ou qu’il ne les aime plus. C’est ce qui est arrivé à Chloé, assistante d’éducation de 23 ans, lorsqu’elle en avait 18 :
J’ai également été bouleversée par le récit de Léa*, 17 ans, qui est en terminale :
38% des filles s’identifiant comme homosexuelles et 64% des bisexuelles ou pansexuelles ont répondu positivement à cette question. “Il faut préciser que les violences sexuelles ne concernent pas que les couples hétérosexuels, insiste Louise d’En avant toute(s). La question du consentement n’est pas effacée parce qu’on fait partie d’une minorité sexuelle, au contraire ! Il y a beaucoup de violences sexuelles dans la communauté queer, mais les jeunes n’osent pas en parler car il y a une crainte de l’exclusion.“ S’ajoute à cela une peur que son ou sa partenaire révèle des choses intimes sur soi à ses ami·e·s, dans la vie scolaire, universitaire ou professionnelle et, bien sûr, sur les réseaux sociaux. La peur est, de toute façon, l’indicateur absolu du fait que votre relation n’est pas saine. “Dans un couple, c’est normal qu’il y ait des conflits, cela permet de s’exprimer, s’accorder, de poser ses limites, m’explique Louise. Mais il faut bien faire la différence entre conflit et violence. Si tu ne peux pas dire ce que tu as à dire, que l’autre dicte tout et que tu n’as pas d’autre existence qu’à travers l’obéissance, c’est un énorme problème.“ Plus de trois filles sur dix (37%) ont déjà eu peur de leur partenaire – parce qu’il·elle a frappé dans un mur, parce qu’il·elle l’a menacé·e, elle ou son entourage. Et près d’une sur cinq (19%) affirme avoir déjà été poussée, mordue, empêchée de sortir, brûlée ou encore étranglée. Ce qui me glace le plus, au-delà de ces statistiques, c’est qu’une grande majorité des courageuses qui ont pris le temps de me contacter pour témoigner ont eu honte de ce qui leur arrivait. Notre sondage est catégorique là-dessus puisque 64% des répondantes ont caché ou minimisé leurs problèmes par peur que leur entourage voie leur partenaire différemment. Et d’ailleurs, 66% ont aussi douté de leurs perceptions après avoir signalé à leur partenaire que son comportement ne leur plaisait pas. Le “gaslighting“ fait partie intégrante des violences dans le couple (et/ou dans les relations familiales, amicales, professionnelles) : cela consiste, pour l’agresseur·se, à changer de sujet quand vous le·la confrontez, à dire que ce qu’il·elle a dit ou fait était pour rire, que vous avez sûrement “mal compris“, bref ! à vous la faire à l’envers. Vous avez peut-être aussi entendu l’expression de “double visage“, qui signifie que votre partenaire est irréprochable devant vos parents ou vos potes et odieux·se dès que vous vous retrouvez tou·te·s les deux. C’est ce qui rend le fait d’en parler particulièrement difficile : vous avez peur de ne pas être cru·e. “Oh, tu es sûre ? Je le connais, il ne ferait pas de mal à une mouche.“ Seulement 62% des personnes interrogées ayant subi des violences au sein de leur couple en ont parlé à quelqu’un, le plus souvent à un·e ami·e. Celles et ceux qui ne disent rien ont par exemple “envie d’oublier cette histoire“ (42,9%), “peur des conséquences“ (28,40%) ou ne savent pas à qui s’adresser (16,31%). Pourtant, il est essentiel de rompre le silence et de ne pas rester seul·e, car les violences isolent. Je ne peux que vous encourager – que vous soyez victime ou témoin – à vous rendre sur le tchat d’En avant toute(s), commentonsaime.fr où on vous aidera à comprendre ce que vous traversez et, si besoin, à vous rediriger vers des professionnel·le·s pour vous accompagner. Vous pouvez aussi appeler le 3919 qui est le numéro national pour les victimes de violences, accessible 24h/24, sept jours sur sept. Les Petites Glo, il est toujours possible de s’en sortir, même quand cela paraît insurmontable. Rien ne légitime la violence. Vous ne la méritez pas. Et, même si aujourd’hui tout vous semble infernal, vous retrouverez le sourire, comme Chloé (le joli hasard des prénoms) : “Cela aura duré deux ans et demi avant que j’ose en parler à ma famille, et surtout à un ami qui à vécu quelque chose de similaire et qui m’a permis d’ouvrir les yeux, de me détacher de lui, enfin. On s’est séparés, ça n’a pas été facile entre le chantage au suicide et le harcèlement. Mais j’ai réussi. J’ai réussi et j’en suis fière.“ *Le prénom de ma témoin a été modifié à sa demande afin de protéger son anonymat. Un merci particulier à Louise Delavier pour son soutien et cette collaboration, et à toutes celles qui m’ont contactée suite à l’appel à témoins. Je ne pouvais pas partager tous vos témoignages mais je les ai tous lus. Je vous crois, je vous soutiens et vous souhaite le meilleur. Le post de la semaineAll I want for Christmas is mater en boucle ces illustrations d’un petit poussin qui pratique le yoga, par @luciaheffernanLes recommandations de ChloéCe n’est pas simple de mettre en scène la maladie, le quotidien et les discussions qui l’entourent. Mais Marie Astier y parvient brillamment dans Hors de moi, adaptation théâtrale de l’ouvrage de Claire Marin qui allie à ce texte intime le jeu bouleversant, souvent déchirant de la comédienne. Allez la voir ! Elle joue dimanche, lundi et mardi à 19 heures au théâtre Les Déchargeurs, à Paris. EndoFrance a publié une enquête sur l’impact de l’endométriose sur la vie affective et sexuelle de celles qui en sont atteintes. C’est très éclairant, et les concernées trouveront sans doute du réconfort dans le fait de constater qu’elles ne sont pas seules : eh oui, par exemple, 84,6% des interrogées déclarent que leur vie sentimentale pâtit de la maladie. Vous ne savez pas quoi offrir à vos BFF à Noël (ou quoi commander pour votre pomme) ? Mes trois livres coup de cœur de cette fin d’année sont : la magnifique anthologie de femmes qui écrivent de la poésie par Diglee, Je serai le feu (éditions La Ville Brûle) ; le livre déjà incontournable de la team du podcast Quoi de meuf ?, 100 œuvres culte à connaître quand on est féministe (chez Marabout) ; enfin Les grandes oubliées, Pourquoi l’Histoire a effacé les femmes, de Titiou Lecoq (L’Iconoclaste) dont la lecture devrait tout simplement être requise à l’école. Gala Avanzi, l’autrice de No Bra, ce que ma poitrine dit de moi (génial aussi, tiens, chez Flammarion), a lancé sa newsletter. Elle s’appelle Révoltée et elle est va-li-dée ❤️ Zendaya est plus grande que son mec Tom Holland, et alors ? De quelle quantité de fromage aurez-vous besoin pour votre raclette de vacances avec vos potes ? Inutile de vous prendre la tête (si toutefois c’était un vrai sujet), cette intelligence artificielle calcule ça pour vous juste ici. (“Ils ne savent plus quoi inventer !“, ai-je pensé. Puis je me suis sentie super vieille de le penser.) Les dernières newsletters Gloria MediaComment les systèmes de vente multiniveau s’appuient sur les normes de genre pour réussir, Economie, 10 décembre 2021 L’histoire du premier immeuble qui résista à un tremblement de terre… et de la femme qui l’a construit : Julia Morga, Les Glorieuses, 8 décembre 2021 Peut-on être féministe et écouter Orelsan ?, Les Petites Glo, 30 novembre 2021 Aux États-Unis, les personnes qui consomment des drogues pendant leurs grossesses risquent de se voir retirer leurs bébés, même si elles sont en voie de guérison, Impact, 29 novembre 2021 |
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