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Je n’ai rien fait tout l’été à part attendre de redevenir moi-même.
Georgia O’Keeffe
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Au-delà du self-care, prenons soin les unes des autres
par Lila Paulou (vous pouvez me suivre sur Twitter)
Hello les Petites Glo, ravie de vous retrouver pour cette nouvelle saison ! Une nouvelle saison à bien des égards puisque l’automne vient à peine de commencer, amenant avec lui son lot de changements. Les recommencements sont toujours propices aux introspections, aux réflexions sur ce qui pourrait être amélioré. Ces derniers temps ont aussi été rythmés par des actualités qui nous rappellent avec violence que nous sommes loin de vivre dans un monde où règne la justice sociale. Face à ces situations qui pourraient facilement nous faire sombrer dans le désespoir, il est crucial de prendre soin de notre santé mentale. Et au-delà de s’adonner au “self-care” (prendre soin de soi), un concept qu’on associe volontiers au bien-être mental, n’oublions pas de prendre soin les un·es des autres.
Le self-care est important. À l’origine, c’est un acte politique encouragé par les militantes pour les droits civiques afro-américaines, en réaction au racisme systémique qui dévalorise les vies des personnes noires. C’est aussi une façon de consolider ses propres fondations pour mieux lutter et soutenir ses camarades. Pour prendre soin des autres, il faut d’abord prendre soin de soi-même. En pleine bataille contre un cancer, l’activiste et poétesse queer noire Audre Lorde écrit dans A Burst of Light (1988) : “Prendre soin de soi ne relève pas de l’indulgence envers soi-même, mais de la préservation. C’est un acte de guerre politique.”
Si cette citation est un classique des comptes Insta prônant le self-care, sa dimension militante et collective semble souvent s’être égarée en route pour profiter au capitalisme et ses produits de beauté. C’est ce que pointe Melissa Lopez, travailleuse sociale clinicienne agréée en santé mentale, dans un article pour Reckon. Basée en Californie, Melissa Lopez propose des séances de thérapie qui prennent en compte les oppressions systémiques. “En se concentrant sur l’individu, le concept de self-care ne permet que rarement de s’attaquer aux causes profondes de notre détresse collective,” écrit-elle. “J’aime à penser que le self-care dont parle Lorde s’inscrit dans le ‘community care’”. Pour en savoir plus, nous nous sommes entretenues avec elle.
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Selon l’European Social Network, le community care désigne “toute forme de soutien et de soins dispensés au sein de la communauté locale” (concept dont parle aussi l’autrice afroféministe Laura Nsafou sur son blog). Melissa Lopez le juge indispensable à notre survie collective, et regrette que le self-care soit parfois utilisé de façon à nous éloigner les un·es des autres. « Les réseaux sociaux nous ont donné plein d’informations très utiles, notamment sur la santé mentale, qui peuvent être mal interprétées,” nous met-elle en garde. “J’ai vu des jeunes appeler une autre personne toxique et la sortir de leur vie après un malentendu. Cela arrive aussi avec des adultes, et dans les milieux militants. Nous devrions nous demander quelles sont nos valeurs, si on a vraiment envie d’abandonner quelqu’un.”
Dans son article, Melissa Lopez fait référence aux limites (“boundaries”) mises en place un peu trop facilement pour “protéger notre paix intérieure”. Cela devient alors un prétexte pour se tenir à l’écart des gens et du monde dès que leur vie ou l’actualité deviennent difficiles. “Il arrive qu’on doive poser des limites fermes, mais pas dans la plupart des situations,” insiste la thérapeute. “La guérison passe par la résolution de problèmes. Vivre en communauté exige de nous que nous faisions face aux difficultés ensemble.” Elle rappelle aussi que notre cerveau est programmé pour se concentrer sur le négatif : “Il faut se mettre dans une démarche volontaire pour remarquer les bonnes choses existant au milieu des atrocités. Il est tout aussi important de voir les deux.”
“La rhétorique du self-care nous apprend à ne pas être un fardeau pour les autres, car elle est presque entièrement axée sur ce que nous pouvons faire pour nous-mêmes,” explique la journaliste Abeni Jones dans un article pour Autostraddle. Ainsi, cela complique le fait de demander de l’aide, et d’en donner : on a peur d’outrepasser les limites des gens. “Je crois que nous avons trop complexifié ce que veut dire être présent·e pour les autres,” soupire Melissa Lopez. Et pourtant, rappelle-t-elle, cela peut être aussi simple que de demander à un·e proche comment iel se sent. “J’encourage aussi les gens à prendre soin d’elleux à plusieurs. Près de chez moi, des jeunes ont créé un groupe de marche queer. C’est du self-care en communauté !”
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Ainsi, la thérapeute invite à repenser ce que nous considérons comme une communauté. “On se dit souvent qu’on n’a pas la capacité à s’occuper d’une autre personne que soi, ou en dehors du cadre de la famille nucléaire, cis et hétéro. Quand nous existons au sein d’une communauté, si nous faisons un pas vers les autres, nous ne nous sentons plus seul·es face à nos combats. Cela va vous prendre de l’énergie, mais ce sera aussi votre moteur.” Selon elle, se sentir acteurice de la communauté permet aussi de réduire notre sentiment de nihilisme, que le monde est horrible et qu’on ne peut rien y faire. “On se sent impuissant·e face aux actualités, mais peut-être qu’on peut aider quelqu’un localement !”
Passer d’un self-care autocentré au community care va former une connexion et une communauté, “les antidotes à l’individualisme dangereux qui soutient les systèmes oppressifs.” Et Melissa Lopez est optimiste quant à cette transformation : “C’est facile de se décourager parce que nous luttons contre des systèmes. Si les gens se comportent ainsi, c’est puisque les systèmes ont été faits pour créer séparation après séparation. De plus en plus de gens refusent cela, et j’espère assister au même changement rapide que lorsque le self-care est devenu populaire sur Instagram et TikTok. Ce n’est pas une nouveauté mais un retour à nos racines, qui j’espère vont fleurir en une volonté de vivre en communauté. Nous avons besoin les un·es des autres, c’est notre seule façon de survivre.”
Le mental fitness des Petites Glo
Au cours de notre entretien, Melissa Lopez a exprimé le regret que les gens ne savent plus trop comment se montrer présent·es pour les autres, surtout quand celleux-ci ne vont pas bien. Elle se rappelle quand, plus jeune, alors qu’elle venait de perdre sa mère et son frère, ses proches mais aussi des voisins qu’elle connaissait à peine sont venus lui apporter des courses ou sortir ses poubelles. “Les discours sur la santé mentale nous disent que tout repose sur la communication. Mais ce n’est pas le cas : prendre soin est une action, la plupart du temps.” Vous pouvez aussi retrouver les conseils de l’UNAFAM, Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques.
On écoute : “Le care”, épisode 88 du podcast La Poudre avec Sandra Laugier et Najat Vallaud-Belkacem (2021)
Dans cet épisode du podcast féministe La Poudre, la journaliste Lauren Bastide s’entretient avec la philosophe Sandra Laugier et l’ancienne ministre Najat Vallaud-Belkacem, co-autrices du livre La société des vulnérables (2020), qu’on vous recommande également ! Elles y abordent cet enjeu féministe et sociétal qu’est le “care” (le soin), qui est souvent exercé par les femmes dans des métiers invisibilisés bien qu’essentiels, ce dont on a pu se rendre compte pendant la crise du Covid.
On lit : plein de livres pour nous encourager à prendre soin des autres
En plus de La société des vulnérables, cité juste au-dessus, on ne peut que vous encourager à lire A Burst of Light (1988), la collection d’essais d’Audre Lorde mentionnée au tout début de cette newsletter. Pour les anglophones, Melissa Lopez a aussi fait part de deux recommandations de livres sur l’importance du community care : How We Show Up de Mia Birdsong, et We Do This ‘Til We Free Us de Mariame Kaba. Si vous souhaitez acheter ces livres (ou d’autres !), nous vous encourageons à le faire via les sites des librairies féministes Majo (à Paris) et Arborescence (à Massy), qui ont besoin d’un coup de pouce. Si vous en connaissez d’autres, n’hésitez pas à le signaler !
On va au ciné gratuitement avec notre prof pour voir Il reste encore demain, film de Paola Cortellesi (2024) !
La newsletter Les Glorieuses offre des places pour des sorties scolaires – collèges et lycées – pour aller voir le film Il reste encore demain. Si vous êtes prof et que vous souhaitez organiser une sortie scolaire avec vos élèves, l’intégralité des places est prise en charge (dans la limite du budget disponible, suivant le principe du premier arrivé / premier servi). C’est gratuit et il n’y a pas de contrepartie demandée. Commencée l’année dernière, l’opération a bénéficié à plus de 9 000 scolaires. Voici la page sur laquelle les profs de collèges et lycées peuvent faire la demande : https://lesglorieuses.fr/operation-il-reste-encore-demain
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