Cette newsletter vous a été transférée ? Et vous aimez tellement que vous souhaitez vous inscrire ? C’est ici ! Mercredi 12 avril 2023 La peur de se tromper et la recherche d’authenticité par Rebecca Amsellem « Personne a priori n’est conditionné au point de ne pas pouvoir se libérer, personne a priori est non conditionné au point d’être libre. Nous, les femmes, ne sommes pas conditionnées de manière irrémédiable : c’est seulement qu’il n’existe au cours des siècles aucune expérience de libération qui ait été exprimée par nous. » Carla Lonzi écrit ces quelques lignes dans l’avant-propos de Nous crachons sur Hegel. Écrits féministes (récemment traduit en français aux éditions NOUS) en 1973 – ouvrage rassemblant plusieurs écrits sur l’éveil féministe par Carla Lonzi et un groupe cocréé par celle-ci, Rivolta Femminile. Carla Lonzi a été critique d’art pendant une dizaine d’années (de 1960 à 1970) avant de consacrer tout son temps à l’activisme féministe. Dans son journal, Taci, anzi parla. Diario di una femminista (non traduit encore) elle écrit le 15 août 1972 : « Quand j’ai commencé à être critique d’art, j’étais attirée par la possibilité de m’appuyer sur un élément tangible : la création des autres. Analyser, participer, découvrir, c’était avant tout prendre soin de moi morceau par morceau : c’était confronter la réalisation à mon impuissance à me réaliser. » L’une des raisons pour lesquelles elle a opéré une rupture nette avec cette carrière est son rapport à l’authenticité. « Ma peur de me tromper. Quand j’étais critique d’art, je me tourmentais dans la recherche de valeurs vraies, authentiques, mais même si je m’orientais avec simplicité, je passais mon intuition au tamis de la manifestation la plus obsessionnelle, j’étais bouleversée à l’idée de faire une erreur » (14 novembre 1974). Collage réalisé par moi-même (j’en profite pour vous remercier 10000 fois pour vos retours sur les collages et illustrations des newsletters, ça me touche beaucoup!). À l’occasion d’un texte publié dans son ouvrage Autoportrait (Presses du Réel), elle explique que l’authenticité du critique d’art est mise à mal par le fait qu’il ou elle s’insère entre l’artiste, son art et son public. Nul besoin, dit-elle en substance, de pont. C’est toujours l’artiste qui en parlera le mieux. Dans son journal, elle poursuit le 15 août 72 : « Dans Autoportrait – qui est une reconnaissance de l’authenticité des artistes […] j’étais confortée dans le refus de la culture d’isoler le moment artistique comme authentique, mais pas le mien. » Et cette recherche de l’authenticité, qui l’a amenée dans un premier temps à éprouver de la culpabilité, l’a accompagnée dans sa conversion féministe. « La condition humaine est difficile car les déceptions que l’on se fait sur soi-même naissent d’un sentiment de culpabilité, mais la conscience naît aussi de là » (22 août 1974). On retrouve plus tard cette obsession pour l’authenticité lorsque Carla Lonzi parle de féminisme. Là où elle dénonçait l’absence d’authenticité intrinsèque des critiques d’art, elle utilise le même argument pour dénoncer le système patriarcal empêchant les femmes de connaître leur « vraie » « elle ». Les femmes, dit-elle en substance dans Nous crachons sur Hegel, sont destinées à la méconnaissance de leur authenticité tant qu’il existera un modèle masculin auquel il devra se référer. Elle souligne que le rapport à l’authenticité est mis à mal par la condamnation à systématiquement se positionner « par rapport » aux hommes. « Identifier la femme à l’homme revient à anéantir sa dernière chance de libération. Se libérer ne signifie pas pour la femme accepter la même vie que l’homme, puisqu’elle est invivable, mais exprimer son propre sens de l’existence. » L’authenticité, son rapport à soi, son rapport aux autres, est centrale dans la pensée de Carla Lonzi. Son rapport à soi est lui-même l’invention d’un autre : « l’image de la féminité avec laquelle l’homme a interprété la femme n’était que son invention ». L’authenticité est ce qui permet, selon Carla Lonzi, aux femmes de créer leur propre monde plutôt qu’elles s’acharnent à chercher une petite place dans une société construite sur la gratuité de leur travail et l’invisibilité de leur existence. « Le féminisme, écrit-elle, commence lorsque la femme cherche une résonance dans l’authenticité d’une autre femme, en comprenant qu’elle ne peut se retrouver que dans son espèce. Non pour exclure l’homme, mais parce qu’elle réalise que l’exclusion que l’homme retourne contre elle n’est que son problème à lui, une frustration à lui, une incapacité à lui, une habitude qu’il a de concevoir la femme en vue de son équilibre patriarcal. » Il est vain de tenter d’atteindre une norme qu’on n’a ni construite, ni pensée, et dont on n’a pas bénéficié : l’effort induit est une perte de temps et d’énergie car l’égalité n’est en soi pas atteignable. Dès lors que nous nous approchons du but, les normes évoluent pour qu’on s’en éloigne. Pour Carla Lonzi, l’action même de se détacher du concept d’égalité permet d’imaginer une réalité authentique et de rêver à un futur fascinant. L’événement d’IMPACT L’événement IMPACT qui aura lieu le jeudi 13 avril à 12h30 en ligne, en anglais, pour une discussion en direct sur les avantages et les inconvénients des politiquse étrangères féministes. Les invitées de Megan Clement sont Kirthi Jayakumar – fondatrice et directrice du Gender Security Project, un groupe de réflexion qui travaille à l’intersection du genre, de la paix, de la sécurité et de la politique étrangère féministe et Deborah Rouach – fondatrice et directrice de recherche à l’Institut du genre en géopolitique. C’est gratuit et on peut s’inscrire ici. Le retour de la boutique (et pour fêter ça on offre de nouveau deux carnets cette semaine – il suffit de répondre à cet email pour participer !)
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