4 avril 2022 Nous créons le changement tous les jours, pas tous les cinq ans par Megan Clement (pour me suivre sur Twitter, c’est là) En France, nous sommes en période électorale et je suis obligée de regarder des délibérations en tant qu’immigrée qui n’a pas encore le droit de vote. Dans un certain sens, c’est une source de frustration : il y a peu de chose que j’apprécie plus que de voter, ce que j’ai fait en Australie (où on peut prendre une « saucisse de la démocratie » après avoir voté) et au Royaume-Uni (malheureusement, pas de saucisse). À chaque fois que je vote, je suis profondément émue par le fait que ce droit est encore très récent pour les femmes – mes deux grands-mères sont nées avant le suffrage universel – et par les sacrifices faits par les féministes pour obtenir ce droit. En revanche, peu de personnes de mon entourage semblent impatientes de voter lors de cette élection. J’ai également du mal à éprouver un réel enthousiasme pour un·e quelconque candidat·e. Bien que je sois passionnée par le devoir citoyen de s’opposer à l’extrême droite sous toutes ses formes, y compris lorsqu’elle porte les habits du conservatisme traditionnel, je trouve que la pénurie d’idées qui ressort de cette campagne, que beaucoup jugent déjà terminée, est une déception. C’est d’autant plus le cas lorsque nous nous attardons sur les questions féministes. Malgré les progrès réalisés en matière de droits des femmes au cours des cinq dernières années, et le mouvement mondial #MeToo, peu de chose dans cette campagne pour inspirer l’imagination féministe. Nous avons autant de chances d’entendre comment les candidat·e·s se répartissent les tâches ménagères dans leurs foyers hétérosexuels (Yannick Jadot aimerait que vous sachiez qu’il repasse lui-même ses chemises) que de savoir comment leurs programmes politiques affecteront les femmes. Le groupe de campagne féministe Osez le féminisme ! a classé les 12 candidat·e·s aux élections sur un féminomètre allant de « misogyne » à « féministe », en analysant leurs politiques et l’historique de leurs votes. Elles ont constaté que Jean-Luc Mélenchon, Anne Hidalgo et Fabien Roussel sont les seul·e·s candidat·e·s féministes (cela n’a pas empêché Roussel de prétendre que l’intersectionnalité « divise les femmes »). Et que dire d’Emmanuel Macron ? Le président qui a affirmé que l’égalité entre les hommes et les femmes serait la « grande cause » de son mandat pense que l’avortement est « toujours un drame », comme il nous l’a rappelé lors de son premier grand événement de campagne le mois dernier. En attendant, on peut supposer que le projet de Macron de lier le RSA à 15-20 heures d’activité par semaine, aussi peu clair que ce soit, touchera les femmes de manière disproportionnée. Les femmes représentent la majorité des bénéficiaires, tout comme elles sont plus susceptibles de gagner le smic et sont donc plus à même de ressentir plus fortement la baisse du pouvoir d’achat. Toute campagne menée par l’extrême droite, qui compte deux représentant·e·s dans cette course avec Éric Zemmour et Marine Le Pen, risque de s’avérer désastreuse pour les femmes, comme pour les immigrant·e·s, les personnes LGTBQIA+, les personnes handicapées et celles exclues de la société. Tout cela me fait reconsidérer le rôle de la politique électorale pour faire avancer les causes féministes. Dans un sens, celle-ci peut changer beaucoup de choses pour les femmes – souvent pour le pire. Il suffit de voir comment l’élection de Donald Trump a entraîné la suppression de l’accès à la contraception pour des millions de femmes et de filles dans le monde entier lorsqu’il a signé la Global Gag Rule. Et le fait qu’il a rempli la Cour suprême de conservateurs et conservatrices pendant son mandat pourrait entraîner la fin à l’accès à l’avortement sécurisé et légal pour des millions de personnes aux États-Unis. Regardez la Corée du Sud, où, le mois dernier, l’élection du candidat de droite Yoon Suk-yeol, qui a fait campagne sur un antiféminisme explicite, pourrait faire reculer de plusieurs décennies les récents progrès durement acquis par le pays en matière de droits des femmes (comme l’explique de manière claire et dévastatrice la journaliste Hawon Jung dans ce thread). Cela dit, ces dernières années, je suis devenue plus favorable à l’idée que l’action politique n’est pas limitée aux urnes – et elle ne devrait pas l’être. Les féministes n’ont jamais pu compter sur la politique électorale pour faire avancer nos causes. C’est pourquoi des activistes au Nigeria ont récemment manifesté devant le Parlement pour réclamer une plus grande représentation politique et une législation plus égalitaire entre les sexes. Elles ont réussi à faire revenir leurs représentant·e·s élu·e·s sur leur décision. Il y a certainement eu des avancées féministes en France au cours des cinq dernières années, et si un gouvernement devrait pouvoir s’attribuer au moins une partie du mérite de la façon dont la société évolue sous son influence, nous ignorons trop souvent les activistes qui l’ont poussé à réaliser ces changements : les personnes souffrant d’endométriose qui demandent la fin du sexisme médical, les familles des victimes de fémicides qui exigent une meilleure protection des femmes contre les conjoints violents, les couples de lesbiennes et les femmes célibataires qui ont défendu leur droit d’accéder aux PMA, les survivants dont les témoignages nous ont permis d’obtenir de nouvelles lois sur l’âge du consentement et l’inceste, les milliers de personnes qui manifestent chaque année en novembre pour demander la fin des violences faites aux femmes. Il y a toujours beaucoup de batailles. Elles sont menées par les mères qui forment des syndicats pour défendre les droits des enfants dans les banlieues, les footballeuses qui exigent le droit de jouer en portant un hijab, les journalistes qui balancent la misogynie au sein des forces de police, les personnes transgenres qui sont toujours exclues de la PMA, les chercheur·euse·s qui continuent à travailler malgré le fait qu’on les qualifie de « woke » ou « d’islamogauchiste » simplement pour avoir mené des recherches féministes intersectionnelles. Au milieu d’une élection décourageante pour laquelle je dois rester à l’écart (mais attention à l’Australie, je viens chercher ma « saucisse de la démocratie » en mai), ce sont ces militant·e·s en France et dans le monde entier qui me donnent de l’espoir pour la politique féministe : des féministes sud-coréennes qui se préparent à une autre grande lutte à venir, à la communauté LGBTQ+ ghanéenne qui se bat contre la légalisation antigay, aux filles afghanes qui exigent une éducation et aux activistes britanniques qui se dressent contre le traitement horrifiant de Child Q. Nous créons le changement tous les jours, pas tous les cinq ans. La lutte continue. Présidentielle 2022: Les programmes politiques au prisme de l’égalité des femmes et des hommes (fr) Toutes des grosses putes ! (fr) La charge mentale est un problème politique, pas un sujet de développement personnel (fr) Révélations sur la souffrance des femmes au travail (fr) How Brexit axed abortion access for Europe’s most marginalised (eng) The mothers returning to Ukraine to rescue their children (eng) Colombia could elect its first black female vice-president (eng) Cet édition d’Impact a été préparé par Megan Clement et Steph Williamson. Impact est produite par Gloria Media et financée par New Venture Fund. Abonnez-vous à nos newsletters Les Glorieuses / Économie / Les Petites Glo Soutenez un média féministe indépendant en rejoignant Le Club. |
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