Bienvenue dans La Preuve, un supplément de la newsletter Impact créée pour vous aider à mieux comprendre les inégalités de genre — et comment on pourrait les résoudre grâce aux sciences sociales.
Cette newsletter vous est offerte par le programme For Women In Science de la Fondation L’Oréal. Aux États-Unis, la montée des avortements clandestins après l’annulation de Roe v. Wade Comment les interdictions d’avorter poussent les femmes vers des méthodes dangereuses par Josephine Lethbridge Après un test de grossesse positif, une jeune de 18 ans de l’État de Washington, aux États-Unis, a pris de l’ibuprofène, des comprimés de caféine, des antibiotiques et de l’alcool, puis elle a saigné pendant trois semaines. Une autre femme, également âgée de 18 ans, a bu de la vodka pendant plus de trois heures. Une troisième a pris des doses régulières d’ibuprofène et d’antibiotiques pendant une semaine avant d’avoir recours à un avortement clinique. Une jeune de 15 ans a pris trois pilules contraceptives d’un coup. Quelques heures plus tard, elle a vomi plusieurs fois et a expulsé la grossesse. Tous ces témoignages proviennent d’un article de 2021 dans lequel des chercheuses ont mené des entretiens approfondis avec 14 personnes ayant tenté de gérer un avortement par elles-mêmes à un moment donné de leur vie. “C’était une décision stupide, j’étais mal renseignée. J’aurais aimé être mieux informée. J’aurais aimé demander de l’aide à d’autres sources aussi”, a déclaré la jeune de 15 ans. Ces entretiens ont été réalisés avant l’annulation de Roe v. Wade, la décision historique de la Cour suprême des États-Unis qui avait légalisé l’avortement à l’échelle nationale, en juin 2022. Depuis, 14 États américains ont mis en place des interdictions quasi totales de l’avortement. Fin juillet, l’Iowa est devenu le quatrième État à interdire la procédure au-delà de six semaines de grossesse, soit avant même que beaucoup de personnes ne sachent qu’elles sont enceintes ; 22 États ont désormais des restrictions d’accès à l’avortement plus sévères que celles en vigueur sous Roe v. Wade. Aujourd’hui, une nouvelle étude démontre à quel point il est crucial de continuer à lutter pour les droits reproductifs partout dans le monde. À la suite de l’annulation de Roe v. Wade, de plus en plus de personnes tentent de réaliser des avortements par elles-mêmes. Des chercheuses ont interrogé 7 016 personnes en 2021-2022 et 7 148 en 2023, et ont constaté qu’environ 7 % des personnes en âge de procréer aux États-Unis avaient tenté d’induire leur propre avortement, contre 5 % avant Les avortements autogérés peuvent être sûrs et efficaces dans les bonnes conditions. Mais l’étude a révélé qu’une majorité des personnes interrogées avaient essayé de mettre fin à leur grossesse en utilisant des méthodes potentiellement dangereuses. En 2023, environ 25 % des personnes qui ont tenté de gérer elles-mêmes leur avortement ont utilisé des plantes ; 22 % se sont frappées à l’estomac ; 19 % ont utilisé de l’alcool ou d’autres drogues. Parmi elles, 15 % – une sur sept – ont subi une complication nécessitant un traitement médical. Seules 11 % ont déclaré avoir pris de la mifépristone, l’un des médicaments généralement utilisés dans le protocole en deux pilules approuvé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), et 16 % ont dit avoir utilisé du misoprostol, l’autre pilule abortive, mais seul. Dans le monde, où l’accès à l’avortement varie largement, 61 % des grossesses non désirées – et 29 % de toutes les grossesses – se terminent par un avortement. Cela représente environ 73 millions d’avortements par an. Les estimations mondiales indiquent que 45 % de ces avortements sont dangereux. Voici la preuveJ’ai parlé avec deux spécialistes du sujet – Dr Bela Ganatra, responsable de l’unité de prévention des avortements dangereux de l’OMS ; et Dr Andrés Constantin, conseiller juridique au Center for Reproductive Rights aux États-Unis, pour en savoir plus. “Ces résultats ne sont pas surprenants”, affirme Andrés Constantin. “Nous savons maintenant tous·tes que les interdictions d’avorter ne font pas disparaître le besoin d’avorter.” Bela Ganatra confirme : “Le nombre d’avortements ne dépend pas du niveau de contrainte du cadre juridique. Ce qui change lorsque des restrictions sont mises en place, c’est la capacité des personnes à avoir recours à des avortements sans danger.” Les expert·es ne sont pas non plus surpris·es par le résultat de l’étude, qui montre que les personnes issues de groupes marginalisés étaient plus susceptibles de déclarer avoir tenté de mettre fin à leur grossesse par elles-mêmes. “L’avortement est déjà un domaine stigmatisé”, explique Bela Ganatra. “Lorsque vous ajoutez la stigmatisation et les questions liées à la race, à l’orientation de genre, à l’âge ou à la pauvreté, cela multiplie l’effet.” Iels ont souligné que, durant le premier trimestre de grossesse, les gens peuvent gérer leur propre avortement en toute sécurité en utilisant les pilules abortives mifepristone ou misoprostol, et ne devraient pas avoir à recourir aux méthodes dangereuses citées dans l’étude. L’Organisation mondiale de la santé offre des conseils sur les avortements autogérés, même dans les endroits où l’avortement est interdit ou restreint. Des services comme Women on Web fournissent des médicaments abortifs par courrier dans le monde entier, permettant ainsi aux personnes de gérer leur avortement en toute sécurité “Il est vraiment important de soutenir les personnes vers un avortement autogéré en toute sécurité”, souligne Andrés Constantin. Cependant, même dans les pays où les politiques reproductives sont libérales, il existe souvent de multiples obstacles qui empêchent les personnes d’accéder à un avortement sûr, qu’il soit autogéré ou non. Alors, à quoi ressemblerait une politique d’avortement dans un monde idéal ? Et est-ce un monde vers lequel nous nous dirigeons, ou alors les exemples des États-Unis et de la Pologne montrent-ils que les récentes avancées en matière de droits reproductifs sont gravement menacées ? ‘Il n’y a pas d’utopie’“L’annulation de Roe v. Wade a clairement renforcé les mouvements anti-avortement à l’échelle mondiale”, analyse Andrés Constantin. “Mais il y a beaucoup de raisons d’être optimiste. Il y a une tendance très claire vers la libéralisation de Depuis les années 1990, 60 pays ont libéralisé les lois sur l’avortement, et seulement quatre les ont restreintes : les États-Unis, El Salvador, le Nicaragua et la Pologne. Ces cinq dernières années, le mouvement féministe de la marea verde (la vague verte) en Amérique latine a étendu l’accès à l’avortement en Argentine, en Colombie et au Mexique. La tendance est encourageante, mais, d’après le Dr Constantin, “nous devons rester vigilant·es et alerter face aux nouvelles formes d’oppression”. L’Argentine, par exemple, a vu des tentatives sérieuses d’abroger la légalisation de 2020 sous le gouvernement d’extrême droite de Javier Milei. “Il n’existe pas d’utopie”, affirme Bela Ganatra. “Il n’y a absolument aucun pays qui ait des lois et des politiques parfaitement alignées avec les recommandations de l’OMS. Chaque pays a des domaines où l’accès peut être amélioré.” L’idéal, pour Andrés Constantin, serait de prioriser la décriminalisation de l’avortement. Or, j’ai été choquée d’apprendre qu’un seul pays dans le monde l’a entièrement fait – le Canada, en 1988. Plusieurs affaires médiatisées dans le monde – comme au Royaume-Uni, où une femme qui a interrompu une grossesse après le délai légal pendant le confinement a été emprisonnée, puis libérée en appel au vu de l’indignation générale – ont récemment montré les horreurs de maintenir des sanctions pénales pour certaines formes d’avortement tout en libéralisant la loi dans d’autres cas. “Si une loi existe, elle peut être utilisée”, explique Bela Ganatra. Beaucoup s’inquiètent, par exemple, d’une victoire potentielle de Donald Trump lors de l’élection américaine de 2024, grâce à laquelle il pourrait faire appliquer le Comstock Act : une loi vieille de 151 ans qui pourrait théoriquement être utilisée pour interdire l’expédition de pilules abortives. Les pays peuvent améliorer l’accès et prévenir les avortements non sécurisés de nombreuses manières. Certains, comme l’Argentine, le Pakistan et le Japon, ont modifié la liste des médicaments approuvés pour rendre les médicaments recommandés par l’OMS plus accessibles. D’autres pays ont fait des progrès en reconnaissant que les soins abortifs ne doivent pas être limités aux médecins en hôpital. En France, en plus d’inscrire les droits reproductifs dans la constitution, les sages-femmes ont récemment reçu le pouvoir de pratiquer des avortements chirurgicaux. “Les sages-femmes, les infirmier·es, les médecins généralistes sont tou·tes capables de pratiquer des avortements”, déclare Bela Ganatra. “L’extension des services à ces praticien·nes est extrêmement importante pour élargir l’accès mais surtout, le faire de manière équitable.” Faire confiance aux femmesDans des contextes où les avancées législatives ou politiques sont difficiles pour des raisons politiques ou autres, des changements puissants peuvent encore être Depuis le COVID, les téléconsultations sont devenues des outils vitaux en supprimant certains des obstacles auxquels les femmes sont confronté·es pour accéder à l’avortement. Certains de ces obstacles sont pratiques – se rendre dans une clinique pour avorter nécessite du temps et de l’argent. D’autres sont moins tangibles. Dans l’étude récente aux États-Unis, la plupart des personnes interrogées ont déclaré avoir tenté de gérer elles-mêmes un avortement parce qu’elles voulaient protéger leur vie privée. La peur de faire face à la stigmatisation, au jugement, ou aux manifestant·es anti-avortement devant une clinique étaient souvent mentionnés. Tout cela met en lumière la nécessité de politiques qui soutiennent et permettent l’avortement autogéré en toute sécurité. Un avortement à domicile en tout sécurité nécessite de savoir que c’est possible, de savoir à qui s’adresser pour obtenir du soutien ou des médicaments, et de connaître ses droits. Souvent, le manque d’accès à ces connaissances est l’obstacle premier et le plus important. “J’aurais aimé que l’éducation sexuelle au lycée et les ressources communautaires soient mieux diffusées… et de meilleure qualité”, a déclaré l’adolescente de 15 ans interviewée pour l’étude de 2021. Partager l’information ne profite pas seulement aux personnes qui en ont besoin – cela peut aussi aider à orienter des débats polarisés dans une direction positive. “Il y a tout un spectre de personnes qui n’ont pas toutes les informations, ou qui ont des “Le plus important”, conclut-elle, “c’est de faire confiance aux femmes. De soutenir leurs choix, plutôt que de les juger.” Les études du moisVoici les études qui font parler d’elles dans la recherche sur les inégalités de genre :
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La version en anglais est financée par Sage, la traduction est offerte par le programme For Women In Science de la Fondation L’Oréal. PS : La newsletter est également disponible en anglais.
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