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Brit Bennett est une génie et une des voix les plus importantes de notre génération. Un de ses premiers essais – Je ne sais pas quoi faire des gentils blancs – rédigé en 2014 a généré beaucoup d’attention. Son premier roman, Le cœur battant de nos mères, publié en 2016, est devenu un best seller, et va même devenir un film. Britt Bennet a 29 ans et elle nous a fait l’honneur d’une rencontre.
Rebecca Amsellem : Dans Le coeur battant de nos mères, vous écrivez : “Ressentir la douleur, c’est ce qui fait de vous une femme. La plupart des étapes de la vie d’une femme sont accompagnées de souffrances : la première fois, mettre au monde un enfant… Pour les hommes, c’est plutôt orgasme et champagne”. Ce que vous avez écrit dans le roman n’est évidemment pas le calque de votre pensée, mais j’ai trouvé cette phrase tellement intéressante… L’idée que la douleur soit considérée comme un sentiment normal
par nous toutes. Pensez-vous que la souffrance soit assimilée par toutes les femmes et intégrée à l’expérience vécue du quotidien ?
Brit Bennett : Je pense que c’est important de dire que ces pensées sont celles des religieuses. Elles voient la souffrance des femmes comme inévitable, alors que les personnages plus jeunes ne le voient pas de cette façon.
En fait, toutes les étapes de la vie par lesquelles on passe sont bien souvent (pas toujours) associées à des traumatismes. Et je trouvais intéressant de questionner le double-standard assigné aux genres : les garçons doivent perdre leur virginité et considérer cette expérience comme un heureux moment où ils deviennent de vrais hommes quand les femmes s’en sortent avec bien plus de stigmatisation et de honte. C’est inévitable dans le sens où c’est ce que notre société a décidé d’être, c’est le fruit des choix que nous faisons en tant que culture. Donc en réalité, ce n’est pas absolument inévitable, mais c’est contextuellement difficilement changeable.
Rebecca Amsellem : Dans ce même livre, vous écrivez deux phrases qui m’ont aussi beaucoup interpellée : “Les garçons blancs insouciants deviennent politiciens et banquiers, les garçons noirs insouciants deviennent morts”, et “Les garçons noirs sont des cibles humaines, au moins les filles ont une chance”. En quoi est-il plus facile d’être une femme noire qu’un homme noir aux Etats-Unis ?
Brit
Bennett : Je ne dirais pas que c’est plus simple ou plus difficile. Dans ce contexte, je vais essayer d’en parler sans trop révéler l’intrigue. C’est un personnage qui dit cela à Aubrey, une femme noire qui a survécu à une agression sexuelle. L’homme ne le sait pas au moment où il lui dit cela, mais ça devient tellement violent quand on considère tout ce qu’elle a enduré. L’idée que “Oh c’est plus simple pour toi, parce que tu es une fille”, c’est en fait très déplacé, particulièrement pour une femme qui a survécu à une agression sexuelle. Je pense que le point de vue de ce personnage masculin reflète la pensée dominante. Pour eux il est plus simple d’être une femme parce que les garçons noirs sont constamment
traqués et stigmatisés. Ils sont bien souvent considérés comme étant plus dangereux que les femmes noires. Mais cela ne signifie pas que les femmes noires ne sont pas vulnérables sur d’autres critères.
Rebecca Amsellem : Pensez-vous que cela pourrait être lié au fait que les notions de douleur, de courage, de combat sont associées à l’idée de masculinité ?
Brit Bennett : Oui. Une grande partie de notre culture est définie par les hommes : nos comportements sont régulés par les hommes de tellement de façons. Je pense qu’il y a plein de personnages dans le livre qui perpétuent ces rôles genrés traditionnels. De plein de façons, ils contribuent tous à perpétuer ça. Par exemple le personnage d’Aubrey est très révélateur et colle parfaitement aux injonctions. Elle est celle qui veut se marier, correspondre à ce que son Église traditionnelle lui impose, mais en même temps elle se bat contre ça, elle veut faire le tour du monde, s’échapper de la vie domestique. En fait, les personnages veulent correspondre à ces rôles genrés, mais ils y sont bien
souvent enfermés. Et vous savez, même les hommes qui semblent heureux de répéter ces schémas en sont tout autant prisonniers.
Rebecca Amsellem : A propos de Nadia vous déclarez : “Voilà ce que serait sa vie désormais : accomplir les choses que sa mère n’avait pas faites. Elle ne s’en glorifiait jamais, contrairement à ses amis, très fiers d’être les premiers dans leur famille à aller à l’université ou à décrocher un stage prestigieux. Comment pourrait-elle être fière de dépasser sa mère, alors qu’elle l’avait
ralentie au départ ? ”. C’est ce qu’on demande aux femmes et aux minorités en général : d’être fier d’être le ou la premier·e à accomplir quelque chose. Bien que ça nous pousse à nous dépasser, ne trouvez-vous pas qu’il y a quelque chose de paternaliste dans cette injonction?
Brit Bennett : Dans le cas de Nadia, elle n’est pas très orgueilleuse par rapport à cela, parce que sa mère est morte lorsqu’elle était très jeune, donc elle ne ressent pas énormément de fierté à faire
les choses que sa mère n’a pas pu faire… Je dirais que ça la rend plutôt triste. Je pense qu’il peut y avoir un sentiment de solitude à être la seule et l’unique de la famille à gravir l’échelle sociale face aux injonctions et aux rôles caricaturaux auxquels les femmes de couleurs doivent correspondre… Personnellement, ça m’étonne toujours quand on y réfléchit… Qu’il y ait encore des gens qui soient les premiers à réaliser des choses… Sandra Oh est la première femme asiatique à recevoir un Emmy : mais en quelle année sommes-nous ? Le fait qu’il y ait encore tellement de gens de couleur (de femmes et de minorités) à devoir être les premier·e·s à accomplir un tel effort social ou recevoir un prix, ça me
sidère.
Rebecca Amsellem : Avez-vous déjà ressenti le besoin de choisir entre être une autrice ou une activiste ? A un moment, dans votre vie professionnelle, avez-vous ressenti le besoin d’affirmer un côté plus que l’autre ? ou est-ce quelque chose qu’on vous a fait ressentir ?
Brit Bennett : Ecrire, c’est mon activisme. Je pense beaucoup au
documentaire sur James Baldwin – I’m not your negro – dans lequel il dit qu’en tant qu’écrivain, son devoir est d’être témoin. Je pense que la manière dont je vois mon monde maintenant, en tant qu’autrice, me permet de témoigner de ce qu’il s’y passe, de soulever des questions, d’interroger le moment. Et ce qui m’effraie en ce moment c’est l’idée qu’on va oublier. On va oublier à quel point les choses allaient mal et on va finir par les reproduire. Vous savez l’an dernier, quand je faisais une tournée internationale, tout le monde était choqué et me parlait de Trump à tout va, et aujourd’hui plus rien, c’est comme si les gens s’étaient habitués.
Rebecca Amsellem : Ca vous soulage pas un tout petit peu qu’on ne vous en parle plus à tout va?
Brit Bennett : Et bien, personnellement et émotionnellement oui. En même temps ça m’attriste… Vous savez il y a quelque mois on s’insurgeait que cet homme mette des bébés en prison, et là … on dirait qu’une vie entière s’est déroulée entre le moment
où on parlait des familles séparées à la frontière et aujourd’hui. Et c’est ça qui m’angoisse. Le temps file, et gomme la gravité, il donne l’impression que les choses horribles qui se sont passées ne sont finalement plus si graves.
C’est très humain, personne n’a envie de vivre les dix prochaines années complètement stressé·e tout le temps. Tout le monde doit avancer et vivre sa vie sereinement. Mais je n’ai pas envie qu’on finisse par dire que Trump était un bon président, comme on a finit par faire avec Bush “Il n’était finalement pas si mal, parce qu’il n’était pas Trump”. C’est vraiment la mission que j’associe à mon rôle d’écrivaine, y intégrer du politique. Je veux expliquer ce que ça fait, de vivre ce moment.
Rebecca
Amsellem : Pendant les conférences du festival ce week-end, j’ai remarqué que toutes les questions qui étaient posées à des mecs blancs tournaient autour de leur style d’écriture, de leur génie d’invention, quand toutes les questions posées aux minorités ou aux femmes, étaient toujours tournées vers l’identité, et comment iels représentaient “les leurs”. Avez-vous ressenti la même chose ? Est-ce que ça arrive tout le temps ? Je réalise que c’est exactement ce que je suis en train de faire … j’en suis vraiment désolée.
Brit Bennett *rires* : Lors d’un des derniers festivals que j’ai fait, en Australie, j’ai eu une interview jumelée avec George Saunders – je l’aime beaucoup, il est très bon – je n’avais jamais été dans cet exercice avec un mec blanc jusqu’ici, encore moins un écrivain aussi connu que George Saunders. Nous avons le même travail, avons écrit au même moment, étions au même événement … Mais on y revient toujours, les gens de couleurs, et les femmes sont tout le temps ramené·e·s à leur identité, et iels doivent expliquer. C’est vraiment ennuyeux. J’avais eu une conversation un jour avec une lectrice après une conférence et je lui ai dit “Vous savez j’aimerais
tellement faire un événement un jour, où je dirais : posez moi des questions, mais ne me demandez rien sur le concept de race”. Et juste voir quel genre de questions les gens me poseraient. C’est comme si les gens ne connaissaient aucun noir à qui ils pouvaient parler, et comme je suis là, ils me posent toutes les questions du monde pour que je leur explique. Et moi vous savez, je suis juste une écrivaine, je ne suis pas sociologue, pas universitaire … En fait j’aimerais deux choses : d’une part j’aimerais qu’on me parle moins de race , d’autre part j’aimerais que les gens interrogent plus les blancs sur la race. Je ne suis jamais allée à un événement où quelqu’un a demandé à un écrivain blanc de s’exprimer sur ce concept de race. Mais moi
j’aimerais qu’on pose ça au Blanc qui écrit sur des Blancs. En fait tout est une question de race et je pense qu’on devrait tous être dans une position où on parle de race.
Rebecca Amsellem : Bon.. ben… je n’ai plus d’autres questions du coup… *rires*
Brit Bennett :
*rires*
Rebecca Amsellem : Dans un de vos livres vous écrivez que la nostalgie, dès lors qu’elle a été politisée, s’est révélée être une notion privilégiée. Quand on est une femme, vous dites, on ne peut pas être nostalgique. Comment faire pour dépolitiser la nostalgie ?
Brit Bennett
: La nostalgie est une façon d’avoir une vision romantique du passé. Je ne dirais pas que c’est impossible de le ressentir pour une femme ou une personne de couleur, mais c’est certainement un privilège. Mon père me racontait récemment qu’il faisait partie de la génération du baby-boom, il a rencontré cet homme blanc de 30 ans et mon père lui a dit qu’il était né en 1957 et le mec lui répond : oh le bon vieux temps ! Et mon père de rester bouchée “De quoi parles-tu ? Que connais-tu de cette époque ?” . Je pense que c’est cette idée globale “Make America great again”, “le bon vieux temps”… le passé surpasse le présent pour bon nombre de gens. Cest la raison pour laquelle Trump a autant conquis son public : beaucoup de
gens avaient été effrayés par Barack Obama, et la possibilité d’un futur multiculturel. Et ils voulaient simplement revenir à une Amérique blanche des années 50. Dans leur imaginaire, le monde paraissait sûr pour des gens comme eux. Ce sentiment a été utilisé comme une arme pour Trump. La vision trumpiste consiste à toujours regarder en arrière, il n’y a aucune vision pour le futur. Leur futur consiste à répéter le passé. Et je peux comprendre. Le présent, le futur, ça fait peur. Mais l’idée que revenir à un passé effrayant serait une solution pour éviter un futur effrayant, c’est à mon sens, avancer dans la mauvaise direction. Donc honnêtement, je ne sais pas trop comment dépolitiser la nostalgie… dans ma vie personnelle, je
pense que je me sens nostalgique pour certaines choses. Quand tu voulais parler à tes amis, tu devais les appeler chez eux. Dans leur maison, sur leurs téléphones fixes, et parler à leurs parents et attendre qu’ils descendent de leur chambre. Je ressens totalement cette idée que le monde semblait plus sûr alors.
Rebecca Amsellem: Dans votre essai “Je ne sais pas quoi faire des gentils blancs”, vous parlez des blancs qui veulent contribuer au combat, mais qui restent finalement très condescendants avec les personnes racisées. Vous avez écrit cet essai en 2014, qu’est-ce que vous diriez à ces ‘gentils blancs’ aujourd’hui ? Si vous voulez leur dire quelque chose, vous n’êtes pas obligée hein.
Brit Bennett : *rires* Au moment où j’ai écrit cet essai, on n’arrêtait pas de me dire “ qu’est-ce qu’un bon blanc devrait faire ? Quelle est la solution ?” et honnêtement je n’ai pas la solution… je ne sais pas comment résoudre le racisme… En tant que personne vivant dans le monde, je m’intéresse aux intentions parce que ça me fait me sentir mieux. Si vous m’offensez, mais que vous n’en n’aviez pas l’intention, ca me fait me sentir mieux que si vous étiez méchants dans le but d’être juste cruel. Mais en même temps le résultat est toujours le même. A quel point ça compte réellement que vous vouliez bien faire ? Du coup je sais pas
trop… Le fait que l’essai continue de rendre certaines personnes inconfortables, c’est positif. J’ai souvent publié des choses sur Internet, mais quand on lit des choses sur internet, ce sont bien souvent des propos avec lesquels nous sommes d’accord, et qu’on repost parce qu’ils correspondent à notre état d’esprit. Cette personne dit exactement ce que je pense, donc je repost. Moi je voulais pas être consensuelle, je voulais écrire quelque chose qui mette mal à l’aise, qui vous challenge, avec lequel vous êtes d’accord ou non, mais qui commence une conversation.
Rebecca Amsellem : Ça me rappelle cette anecdote que vous avez écrit, à propos de Beloved, le roman de Toni Morrison, et le choix des Blancs de détourner le regard.
Brit Bennett : C’est une question de privilège : qui a le choix de penser à la race et qui a le choix de ne pas le faire, qui a à apprendre l’histoire de l’esclavage et qui peut fermer les yeux… Il y a ceux pour qui c’est un sujet auquel il n’ont jamais besoin de penser, ils estiment que c’était horrible mais qu’ils n’auront jamais
plus à y repenser ; et les autres pour lesquels c’est une expérience vécue au quotidien. Comme je l’écris dans le livre, il y a tellement d’expériences raciales différentes. Il y a des personnes qui grandissent dans des communautés assez multiculturelles, d’autres dans des communautés noires… les expériences sont différentes.
Rebecca Amsellem : Un des buts de l’activisme est d’inverser le récit, comme l’a fait Gabrielle Blair, en disant que les grossesses non désirées n’étaient pas la faute des femmes mais des
hommes, et exactement comme vous l’avez fait en déclarant que les histoires de violences raciales pointent toujours la personne noire comme se faisant lyncher, sans jamais vraiment prendre l’histoire sous l’angle de l’agresseur blanc. Pensez-vous qu’on devrait se concentrer à inverser les formes de récits collectifs qui sont énoncés aujourd’hui pour dire les choses selon un autre point de vue?
Brit Bennett : La blancheur fonctionne de façon invisible. Les gens ne sont pas habitué·e·s à le remarquer, à le voir. Tous les privilèges
fonctionnent de la sorte, c’est pareil pour l’hétérosexualité, c’est pareil pour la domination masculine. C’est invisible, et tu ne le vois pas, jusqu’à ce que tu sois obligée de le reconnaître, jusqu’à ce que tu y sois confrontée. En tant qu’autrice, mon devoir est de rendre l’invisible visible. Ce que j’aime bien faire quand j’écris, lorsque je parle d’un personnage blanc, je le décris. Ça semble très basique, mais en fait, si vous ne précisez pas, si vous dites par exemple “le docteur rentre dans la pièce”, dans la tête des gens, ce docteur est blanc et c’est un homme. Parce que les choses sont tellement codifiées dans notre culture. Pour moi c’est très important de dire “le docteur blanc rentre dans la
salle”. Et on me dit “pourquoi c’est important de dire qu’il est blanc ? “ Ça n’est pas qu’il soit blanc qui m’importe, ou que ce soit un homme. Ce qui compte c’est vraiment de souligner l’invisible. Sinon on le prend pour quelque chose de naturel et normal. Ce que j’adore quand je voyage, c’est que je me rends vraiment compte que tout ce qui me semble naturel et normal relève du choix. Rien n’est inévitable.
Rebecca Amsellem : Dans un de vos ouvrages, vous dites que le mouvement social Black Lives Matter a été créé quasiment que par des femmes, et qu’il mettait en exergue la violence exercée sur les hommes. Quelle place ont les femmes noires dans cette lutte ?
Brit Bennett : Je pense que c’est quelque chose de très frustrant pour moi, en
tant que femme noire. Parce que nous on est prêtes à se rallier, à protéger et à défendre les hommes noirs, sans que ce soit vraiment réciproque. On en parle si peu que je suis incapable de me souvenir des noms des femmes transgenres noires assassinées cette année. C’est un fait : la mort d’une femme noire trans ou cis n’a pas le même écho que celle d’un homme noir. Ca peut se révéler très frustrant. Surtout considérant le fait que beaucoup d’activistes qui se battent contre les violences sont des femmes noires. Quand on réfléchit à ce que ça signifie d’être une femme noire, le meilleur exemple reste Serena Williams lors de l’US OPEN et la façon dont elle était vue, comme une sorte d’animal agressif. Toute la situation était
tellement représentative des codes raciaux et des codes genrés. C’était tellement frustrant pour moi, les gens n’arrêtaient pas de simplifier la situation en disant que c’était l’un ou l’autre, et moi je répondais : non. C’est les deux, et c’est important de le reconnaître. Elle est à la fois pénalisée parce que sa voix ne compte pas en tant que femme, et en même temps elle est vue comme cette monstresse, agressive, presque animale parce que c’est une femme noire. Cette intersection, fait que les deux discriminations s’influencent et contribuent à la manière dont cette femme est perçue.
Rebecca Amsellem : En France, on voit naître une forme de nouveau féminisme politique, quelque chose qu’on pourrait nommer du “light feminism” ( féministe léger). Instrumentalisé par nos dirigeants (comme par exemple notre Président Emmanuel Macron) qui aiment crier “JE SUIS FEMINISTE”, mais quand ils sont au pouvoir et qu’ils ont la possibilité de changer les choses, deviennent soudainement tout timides et ne font rien. En fait c’est pire que ça. Les lois qui passent en ce moment sont menaçantes pour les femmes, spécifiquement pour les femmes de couleur, et les minorités en général.
Brit Bennett : C’est bien facile de crier sur tous les toits qu’on aime et qu’on supporte les femmes. Mais quand ça devient au détriment du pouvoir masculin, les gens sont là “wohh, ca va trop loin”. Mais oui, ils vont porter des t-shirts roses, mais ils ne feront rien pour nous permettre d’avoir accès au même type de pouvoirs qu’eux. Ca me rappelle les slogans “Girl Power” super populaires dans les années 2000…
Rebecca Amsellem : J’ai un peu honte mais nous c’est à la mode maintenant… donc vingt ans après.
Brit Bennett : C’est déjà ça, vous en faites pas. C’est facile pour les hommes. C’est la même chose avec les “gentils blancs”. On se dit “Je ne suis pas Trump, cette personne est tellement clairement misogyne et tout ce qu’il y a de pire, donc est-ce que ce n’est pas suffisant que je ne sois pas ça ?” Parler du pouvoir des femmes dans la société, ca met les gens mal à
l’aise. Et les gens ne veulent pas se sentir mal à l’aise, ils veulent pouvoir arborer tranquillement Girl Power sur leurs t-shirts, c’est plus simple. Avez-vous déjà regardé Bojack Horseman sur Netflix?
Rebecca Amsellem : Non pas encore, mais tout le monde me dit de la regarder.
Brit Bennett : Oh oui, c’est
vraiment incroyable. Il y a cet épisode dans lequel Bojack Horseman essaie de devenir super féministe, et il déclare que le problème des féministes c’est qu’il y a que des femmes dans leur mouvement, donc elles ont besoin d’hommes, et il porte des t-shirts avec des slogans improbables “feminism is bae”, et il essaie de convaincre les autres puisque personne ne veut écouter les femmes en parler. Ca m’a fait penser à votre question, dans l’idée d’être performatif. Les hommes ont tendance à oublier que le féminisme c’est à propos de l’égalité, mais aussi à propos du pouvoir. Les gens n’aiment pas trop qu’on essaie de changer les codes et de questionner ceux qui ont le pouvoir, c’est très inconfortable pour eux. Et je ne
pense pas qu’il y ait une féministe qui ne les rendent pas inconfortable.
Rebecca Amsellem : J’ai lu récemment que 99% des biens et propriétés appartiennent à des hommes, quand 1% appartient aux femmes… Ça montre à quel point le pouvoir économique est totalement distordu. Est-ce que si on veut vraiment changer les choses il faut qu’on organise une révolution économique?
Brit Bennett : Je sais
qu’on utilise souvent Beyonce ou Oprah pour montrer que ces femmes noires ont beaucoup d’argent, et tout ce qui va avec. Selon moi c’est pas elles le problème, le problème c’est le capitalisme, la culture, la société. Le fait qu’Oprah ou Beyonce soit plus privilégiées ne change pas le fond du problème, ne rend pas les choses plus équitables. Le problème c’est que le pouvoir économique et le pouvoir politique sont gardés dans les mains des mêmes personnes, qui sont en très petit nombre. Et il est compliqué de penser que les choses peuvent changer si ça reste dans cette même configuration. Je ne sais pas comment ça arrivera, ni si ça arrivera.
Rebecca Amsellem : Vous n’avez pas le mini sentiment que ça va arriver ?
Brit Bennett : Je ne sais pas … vous savez aux USA, les gens ne veulent pas de révolution, le problème c’est qu’ils ont envie d’être le 1% qui décide. C’est pour ça qu’ils ont voté pour Donald Trump. Le capitalisme vous fait croire que vous pouvez atteindre les 1%, et c’est super séduisant, cette idée que cet homme est
compétent pour gérer un pays parce que c’est le PDG d’une grosse entreprise , c’est vraiment Américain. Le problème c’est : qu’est-ce qui te fait penser que ton patron sera sympa avec toi ? Les Américains sont inspirés par Donald Trump. Je comprendrais plus si il venait vraiment de nul part et qu’il s’était “fait” tout seul comme Oprah, mais là il n’y a rien d’inspirant. Le problème, c’est vraiment la séduction de l’individualisme capitalistique, et la méritocratie “ si tu travailles dur, tu vas y arriver”. Je l’ai entendu toute ma vie, mes parents sont issus de familles très pauvres, ils sont tous les deux devenus “les premiers” de leur famille à faire des études supérieures, moi j’ai
été la première à pouvoir aller à Standford, dans une certaine mesure le rêve américain fait vraiment partie de l’histoire de ma vie. Et c’est tout le danger. Certaines personnes me disent : tu sais Donald Trump est riche, donc il doit forcément être intelligent. Mais enfin ! Ils ne se rendent pas compte à quel point c’est facile de faire de l’argent quand tu en as déjà. Tu n’as pas besoin d’être intelligent dans ces cas là.
Rebecca Amsellem : Trump a tout hérité (et dépensé) de son père, c’est
ça ?
Brit Bennett : Exactement ! Et aussi les lois sont faites pour les gens riches, ils payent moins de taxes … du coup forcément, tout ça contribue à cette atmosphère. En Amérique en plus il y a cette question de l’implication morale. Les bonnes personnes travaillent dur et gagnent de l’argent. Les mauvaises personnes sont pauvres. Beaucoup de personnes croient ça, parce qu’elles veulent penser qu’elles contrôlent leur destin même si elles n’ont pas grand chose. Le problème c’est que les déterminismes persistent. En fonction de ta
classe sociale, de l’endroit ou tu es né·e, tu iras dans telle ou telle école. Mes parents ont réussi à s’en sortir , mais ça ne veut pas dire qu’ils sont meilleurs que d’autres personnes… Vous savez, tout le monde veut croire à ce mythe “si je travaille bien, de bonnes choses vont m’arriver”, mais ce n’est pas ce qu’il se passe dans le monde. Bref, vous l’aurez compris, je n’ai pas trop d’espoir pour une révolution économique . J’ai l’impression que la colère populiste tourne autour de gens qui sont en colères contre les migrants, les réfugiés, les noirs, les métisses, les femmes… ils ne sont pas en colère contre les bonnes personnes. Ils ne sont pas en colère contre ceux qui détiennent les entreprises
et les usines qui organisent des plans sociaux parce qu’ils pensent qu’ils peuvent être un jour cette personne. Par contre ils ne s’identifient pas dans la figure du migrant.
Rebecca Amsellem : Vous disiez que c’était un choix de perpétuer les codes culturels.
Brit Bennett : Oui, c’est un choix selon moi. On peut
très bien rencontrer des personnes différentes et se dire “oh ces personnes sont différentes, et ça ne me fait pas peur” (ça me semble assez basique comme sentiment). Mais un bon Américain ne vit pas loin de là où il a grandi. Vous vivez que parmi ce que vous connaissez depuis toujours. Dans cette mesure ça ne vous effraie pas. Je ne suis pas en train de dire tout le monde devrait voyager, j’ai bien conscience que tout le monde n’en n’a pas les moyens. Mais au moins aller à la rencontre de ceux qui sont différents. Ceux qui s’habillent différemment, ceux qui mangent d’autres choses. Je sais que j’ai eu une chance énorme de rencontrer la différence, quand j’étais à l’Université, et qu’ensuite j’ai eu l’occasion de voyager,
et de vivre un peu à l’étranger… C’est devenu tellement important pour moi comme expérience. D’être là, de ne pas comprendre le langage… ça développe l’empathie, la curiosité, et ça vous fait vraiment réaliser que ce qui est différent ne fait pas peur.
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