Mercredi 28 août 2019 Qui est l’autrice de la newsletter de la semaine ? Le jour d’après par Caroline De Haas Le réveil sonna. Ariane ouvrit un œil. 6h30. Un mal de crâne lui fissura la tête en deux. Elle n’avait dormi que 4 heures. La veille s’était tenu le premier conseil des ministres. Andrea Gardin était officiellement devenue présidente de la République française. Et Ariane sa conseillère. Tandis que l’eau lui coulait sur la tête, Ariane repensa à la campagne. Celle-ci avait été épuisante. Comme toutes les campagnes, se dit-elle. Peut-être pas. Faire élire une présidente féministe en France avait été un tour de force. Peu de journalistes avaient prédit la victoire Gardin avait fait campagne sur la fin de l’impunité. Celle des politiques corrompus, celles des entreprises polluantes, celle des exilés fiscaux. Et surtout, celle des agresseurs. Et cela avait fonctionné. Sur cette promesse qu’un monde sans violence était possible, des milliers de femmes s’étaient engagées dans la campagne. Et elles avaient gagné. Ariane avala un comprimé de paracétamol et sortit de chez elle avec son thermos de café. C’est en tournant avec son vélo au coin de la rue Saint Honoré qu’elle repéra quelque chose d’inhabituel. Plusieurs Elle accéléra le pas. Au moment où elle sortait son téléphone pour envoyer un message, ce dernier vibra. « URGENT – Réunion de crise. RDV dans 10 minutes dans le salon Pompadour ». Lorsqu’elle entra dans la pièce, plusieurs personnes étaient déjà installées. La ministre de l’Intérieur discutait avec celui de la Justice et celle des droits des femmes. Un monsieur en uniforme était assis. « C’est le directeur central de la sécurité publique, le DCSP », lui murmura une collègue. La présidente entra quelques instants après Ariane. Elle salua tout le monde et donna la parole au directeur. Celui-ci expliqua que depuis tôt ce matin, devant tous les commissariats de France, des dizaines de femmes attendaient l’ouverture pour porter plainte contre les hommes qui les Il y eu un silence dans la salle. Il fallut quelques secondes aux personnes présentes pour intégrer l’information. L’élection de Gardin à la présidence de la République avait eu une conséquence que personne n’avait prévu. Les femmes l’avaient prise au mot : c’en était fini de l’impunité. Ariane pensa à ses amies. A Emma, qui s’était entendue dire à la gendarmerie : « Mais enfin, pourquoi portiez-vous cette jupe ? ». A Sihame, qui avait dû faire 3 commissariats avant qu’on accepte de l’écouter. « Ça sera juste une main courante, y’a pas mort d’homme, Mademoiselle ». A Inès, qui avait porté plainte pour viol et dont la justice avait classé l’affaire malgré plusieurs éléments de preuves. Elle repensa à la lettre qu’elle avait reçu après sa plainte pour menace de mort et de viol sur les réseaux sociaux : « Classement sans suite ». Ils n’avaient pu retrouver les auteurs. Les avaient-ils seulement cherché ? Ariane secoua la tête pour chasser l’image de ce courrier. Le conseiller en communication entra dans la salle. L’Agence France Presse allait sortir l’information dans les prochaines minutes. Elle serait reprise par tous les journaux. « Ils attendent notre réaction ». « Les services attendent les instructions », dit le directeur de la sécurité. Les commissariats devraient ouvrir dans 30 minutes. La présidente se tourna vers Ariane. « Je pense qu’il est temps de nous parler de ton idée Tous les visages se tournèrent vers elle. Ariane savait que ce moment arriverait. Elles en avaient parlé plusieurs fois pendant la campagne avec la candidate. Décréter la fin de l’impunité ne pouvait être sans conséquences. En France, comme partout dans le monde, des centaines de milliers de femmes étaient violentées chaque année. Bon nombre d’associations féministes parlaient d’une « guerre contre les femmes ». Les enquêtes le confirmaient les unes après les autres : plus de la moitié des femmes dans le pays avaient été harcelées, agressées ou Ariane en était convaincue : le jour où on déciderait d’en finir pour de bon avec les violences sexistes et sexuelles, le pays devrait affronter cette question. Peut-on condamner des personnes lorsque près d’un tiers de la population est concernée ? A l’époque, la candidate avait balayé ses questionnements : « Tu as raison. Mais on se posera la question lorsque le problème se posera ». Pour Ariane, il fallait se préparer. Inventer un dispositif permettant de faire face lorsque la société voudrait en finir avec ces violences. Elle avait travaillé, le soir, tard, sur des exemples « On se posera la question lorsque le problème se posera ». On y était, se dit Ariane. En plein dedans. Elle prit la parole : « Les femmes sont déjà des milliers devant les commissariats. Demain, elles seront des millions. Nous avons un problème : il est matériellement impossible de traiter toutes les plaintes et de sanctionner tous les auteurs de violences. Ils sont trop nombreux.». Les quelques personnes autour de la table qui avaient gardé leur téléphone dans la main le posèrent. « Nous devons engager le pays dans un processus de justice transitionnelle ». Tous les processus de ce type reposaient sur le droit à la vérité, à la justice, à la réparation et – c’était « Nous allons créer une commission nationale de vérité et de réconciliation ». Ariane détailla son idée. Cette commission serait chargée de traiter la question des violences sexistes et sexuelles. D’entendre les victimes, de proposer des réparations. Et surtout, d’établir la vérité des faits. Chaque auteur de violence sexiste pourrait venir témoigner devant cette commission des délits ou crimes commis. En échange, il obtiendrait une amnistie complète. Ariane sentit la salle réagir. « Personne n’acceptera ça », dit le ministre de la Ariane continua : « Nous pouvons convaincre que c’est l’unique moyen d’en finir pour de bon avec ces violences sexistes et sexuelles. Ce processus durera sans doute plusieurs mois. Il doit permettre à la fois de reconnaître qu’elles ont existé, de prévoir des mécanismes de réparation tout en permettant aux victimes et aux agresseurs de continuer à vivre ensemble ». Ariane continua, encouragée par un regard de la présidente : « Nous ne pourrons pas condamner tout le monde. Il y a trop de coupables. Reconnaissons la réalité de ces violences, créons des Les yeux étaient encore fixés sur elle. Ariane Les ministres hochèrent la tête. On n’entendait pas un bruit dans la salle. Tout le monde avait conscience que se décidait, en cet instant, un changement radical. La France allait s’engager vers la fin des violences sexistes et sexuelles. La présidente se tourna vers son conseiller en communication : « Envoie un communiqué. Je fais une conférence de presse dans une heure. C’est le temps dont vous disposez pour me mettre ce plan par écrit ». Caroline de Haas Les utopies précédentes 1. « Le féminisme a sauvé mon cul » par Mauvaise fille. L’autrice raconte qu’une révolution sexuelle a rendu les cours d’éducation sexuelle obligatoire dans les écoles. Et 20 ans plus tard, tout a changé. 5. « L’égalité des mots » par Ouafa Mameche. L’autrice propose une nouvelle écriture des trajectoires des femmes dans le monde du rap. 6. « Après la chute » par Julie Bernier. L’autrice écrit du futur à la personne qu’elle était à 20 ans, et lui décrit l’évolution écologique de la société qui a mené à la destruction des inégalités de genre. 7. « Ceci n’est pas une utopie » par Lauren Bastide. L’autrice développe la réponse possible d’une femme à la violence du patriarcat.
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