2 mai 2022 Ceci n’est pas un retour de bâton : maintenir l’optimisme face au désespoir par Megan Clement (pour me suivre sur Twitter, c’est là) Ce mois-ci, pour des raisons évidentes, j’ai beaucoup réfléchi aux notions d’optimisme et de désespoir. Une des grandes motivations que nous avons lorsque nous faisons du journalisme féministe, est l’idée que les choses se passent mal et qu’il faut rectifier cela. Nous sommes confronté·e·s quotidiennement a des situations où les femmes sont harcelées, ciblées, torturées et tuées pour le simple fait d’être des femmes. Et nous le soulignons dans le but de montrer que les choses doivent changer. Notre objectif est utopique : l’émancipation des femmes de toute forme de discrimination, de violence, de domination masculine. Mais pour y parvenir, nous devons faire face aux histoires d’horreur que vivent les femmes au quotidien. Le mois dernier, j’ai passé du temps à discuter avec un couple vivant aux États-Unis – Andrea et Jay – qui sont partis en vacances pour célébrer la grossesse d’Andrea et qui se sont retrouvé·e·s dans un bourbier misogyne lorsqu’Andrea a faitune fausse couche. Malgré un risque de septicémie et d’hémorragie, Andrea s’est vu refuser un avortement nécessaire parce que le cœur du fœtus battait encore. En raison de l’interdiction de l’avortement à Malte, elle et Jay sont resté·e·s bloqué·e·s à l’hôpital, attendant que les battements de cœur s’arrêtent afin que les médecins puissent intervenir et lui sauver la vie. Pendant tout ce temps, le risque mortel augmentait. Jay m’a décrit cette expérience comme une « torture psychologique ». Andrea a dû être emmenée en Espagne par avion-ambulance pour mettre fin à sa grossesse en toute sécurité et avec dignité. Comme l’a décrit Catesby Holmes pour la newsletter Impact la semaine dernière, le cauchemar d’Andrea peut désormais devenir réalité dans son pays d’origine, les Etats-Unis. En plus de faire reculer le droit à l’avortement pour des millions de personnes aux États-Unis, la décision de la Cour suprême, dominée par les conservateurs, d’annuler Roe v Wade place également la fausse couche dans le collimateur. D’où le désespoir, qui ne vient pas seulement du fait d’être témoin de la persécution des femmes et des minorités de genre, mais aussi de voir l’horrible recul des modestes progrès que nous avons faits. Il est difficile de savoir quel autre sentiment que le désespoir nous pouvons ressentir orsque six juges conservateurs votent de priver les femmes de leur autonomie corporelle ; ou lorsque les talibans interdisent à nouveau l’accès des filles à l’école et obligent les femmes à se couvrir le visage ; ou lorsque des activistes féministes polonaises sont poursuivies pour avoir fourni des pilules abortives à des femmes en situation de crise ; lorsqu’un tribunal français déclare que les femmes ne peuvent Face à toutes ces pertes, il y a eu une avalanche d’articles déclarant que #MeToo, ou le féminisme lui-même, est soit terminé, soit en crise. Le réflexe est compréhensible, et aux États-Unis en particulier, car des décennies de progrès ont été perdues en raison de la domination des fondamentalistes. Mais ces déclarations peuvent surtout nous amener à oublier notre histoire. But these declarations of despair for feminism – which, like much journalism right now, often seem to be more of an attempt to identify a “vibe” than to actually interrogate structural questions – can lead us to forget our history. Comme l’a dit la philosophe Geneviève Fraisse à ma collègue Rebecca Amsellem récemment dans le podcast La Méthode, le concept d’un retour de bâton est « une image déshistoricisée ». Selon elle, nous devrions plutôt comprendre ces développements comme un déplacement de l’équilibre dans un rapport de force au cours d’une lutte continue qui n’est pas encore terminée. Sinon, nous ne faisons que repartir de zéro. Après avoir publié l’histoire d’Andrea, j’ai reçu un e-mail d’un « homme blanc qui nie l’existence des transsexuels » me disant qu’il s’adonnait à un « passe-temps bien hilarant » consistant à se faire passer en ligne pour un militant féministe qui peut fournir des pilules abotives aux personnes qui en ont besoin dans des pays aux lois restrictives, avant de donner leurs coordonnées à la police. « J’ESPÈRE QUE LA SEMAINE DE L’ANNULATION DE ROE SERA AUSSI EXCITANTE POUR VOUS QU’ELLE LE SERA POUR MOI », a-t-il écrit. Je n’ai aucune idée si cette personne est simplement en train de me troller, ou si elle passe effectivement son temps à dénoncer les personnes qui cherchent à se faire avorter à la police. Mais que peut-on faire, en recevant un message comme celui-ci, si ce n’est pas désespérer ? On peut faire ce que l’extrême-droite fait depuis des décennies pour retirer les droits aux femmes, aux personnes LGBTQIA+ et aux minorités raciales aujourd’hui : on peut s’organiser. Lorsque j’ai commencé à interviewer des activistes féministes pour la série d’interviews d’Impact au début de l’année, j’étais motivée par la colère. La colère de savoir que les femmes ne représentent que 4% des député·e·s à la chambre basse du parlement nigérian ; que les droits des personnes transgenres sont instrumentalisés dans le débat électoral australien ; que des féministes turques se font menacer devant les tribunaux pour le simple fait de compter les féminicides. Mais lorsque je parle aux femmes qui sont au cœur de ces luttes, elles sont rarement en colère. Elles ne désespèrent pas. Au contraire, elles sont optimistes. Avec un talent pour l’euphémisme, Melek Arı m’a dit ce mois-ci que les femmes ne vivaient « pas une très bonne période » en Turquie en ce moment. Mais malgré le retrait de son gouvernement de la Convention d’Istanbul sur la violence à l’égard des femmes, et malgré la fermeture de son organisation, elle n’a pas cédé. « Nous ne pouvons pas abandonner, car nous avons tant de choses à accomplir », a-t-elle déclaré. Voici également les propos de Ebere Ifendu, du Nigeria, à propos de la perte d’un vote visant àaugmenter la représentation des femmes au parlement : « Cela a donné aux femmes nigérianes l’occasion de se rassembler plus fortement en tant que mouvement … Cela a apporté une sorte de cohésion, une sorte de sororité. » Et Jackie Turner, sur la transphobie en Australie : « Nous savons que les personnes qui sont vraiment passionnées par ce sujet sont un petit groupe de lobbyistes anti-égalité. Nous savons également que les personnes qui connaissent bien quelqu’un trans, qui ont peut-être un frère ou une sœur trans, un·e collègue ou un·e ami·e, soutiennent massivement l’égalité des personnes trans. » Si ces activistes peuvent maintenir leur optimisme face à l’hostilité du gouvernement et aux attaques coordonnées de la droite, le moins que nous puissions faire est d’essayer de le partager. Je ne suis pas sûre de pouvoir un jour me débarrasser de la colère que je ressens face aux histoires comme celle d’Andrea ou face aux personnes qui font de la suppression des droits des femmes et des personnes LGBTQIA+ l’œuvre de leur vie. Je serai certainement en colère contre Brett Kavanaugh, Amy Coney Barrett, Samuel Alito, Clarence Thomas, Neil Gorsuch, John Roberts, Mitch McConnell et Donald Trump pour le reste de ma vie. Je vais essayer de renoncer au désespoir, car il ne me sert pas, il ne sert pas le féminisme, et il donne aux extrémistes exactement ce qu’ils cherchent. ![]() Violences sexuelles : quand les femmes journalistes se taisent – The Conversation (fr) Manon Garcia : « Le droit à l’avortement ne fait pas obstacle à la façon dont la misogynie s’exprime dans la culture française » – Le Monde (fr) Siri Hustvedt: « Is there a way out of the biases we all have? Time. » – The White Review (eng) We’re not going back to the time before Roe. We’re going somewhere worse – The New Yorker (eng) Has Liberia’s ‘feminist’ president forgotten his promise to tackle rape? – openDemocracy (eng) Cet édition d’Impact a été préparé par Megan Clement et Steph Williamson. Impact est produite par Gloria Media et financée par New Venture Fund. Abonnez-vous à nos newsletters Les Glorieuses / Économie / Les Petites Glo Soutenez un média féministe indépendant en rejoignant Le Club. |
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