18 juillet 2022 “ Nous vous mettons en garde ” – la lutte féministe pour empêcher la violence sexuelle à l’occasion des élections au Kenya Interview par Megan Clement (suivre-moi sur Twitter) Nous sommes à la veille des élections au Kenya. Et lors des dernières semaines tumultueuses de la campagne entre le vice-président William Ruto et l’ancien premier ministre et leader de longue date de l’opposition Raila Odinga, les menaces de violences planent. En 2007 et 2017, la période post-électorale a été l’occasion d’épisodes de violences massives perpétrées par les forces de sécurité et les civils. Plus d’un millier de personnes ont été tuées lors du conflit qui a suivi l’élection de 2007, et il y a eu au moins 900 cas de violences sexuelles. Et nous pensons que le véritable bilan est beaucoup plus élevé. Ruto et le président actuel Uhuru Kenyatta ont été accusés de crimes contre l’humanité par la Cour Pénale Internationale pour leurs rôles. Les charges contre Kenyatta ont été retirées, et le procès de Ruto a été classé sans suite. Alors que le scrutin de 2022 se rapproche, des groupes de la société civile ont mis en garde contre le risque d’une nouvelle flambée de conflit au lendemain du jour de l’élection, le 9 août. Christine Alai est une avocate spécialisée dans les droits humains et dans la justice de transition. Au sein de l’ONG Physicians for Human Rights, elle a participé à un défi juridique visant à reconnaître et à fournir des réparations aux survivant·e·s de viols collectifs et de circoncisions forcées pendant les violences post-électorales de 2007 et 2008. Aujourd’hui, elle est cofondatrice et administratrice du Utu Wetu Trust, qui aide les survivant·e·s à obtenir justice par le biais d’affaires juridiques stratégiques, et elle est conseillère en justice de transition auprès de la Commission des Droits de l’Homme des Nations Unies au Sud-Soudan. La newsletter Impact s’est entretenue avec Alai sur la façon dont les féministes et les activistes s’efforcent d’empêcher que l’histoire ne se répète en 2022, et sur la quête de justice pour les survivant·e·s de violences sexuelles des années passées. Pour la clarté du propos, cette conversation a été éditée. Megan Clement : Comment vous en êtes venue à vous impliquer dans le travail que vous faites aujourd’hui ? Christine Alai : Lorsque j’ai commencé à travailler pour la Commission Nationale des Droits Humains du Kenya en 2006 et en 2007, les violences post-électorales ont commencé à avoir lieu. Je faisais partie des équipes qui ont été envoyées pour enquêter et documenter ce qui s’était passé. Je me souviens très bien des victimes qui ont été brûlées dans l’église de Kiambaa à Eldoret – l’un des incidents les plus macabres de la violence post-électorale. Notre équipe a été chargée de se rendre dans cette église et d’écrire les histoires, notamment en rendant visite aux enfants brûlés dans un hôpital. Et mon Dieu. J’étais très jeune, je n’avais jamais été confrontée à quelque chose comme ça de toute ma vie, parce que le Kenya n’avait jamais connu ce niveau de conflit. Cela a changé ma vie. Et je pense que cela a scellé ma décision d’utiliser mes compétences juridiques pour soutenir les victimes de violations flagrantes des droits humains. Après les violences post-électorales, nous avons eu un processus qui a donné lieu à un gouvernement de coalition, à une Commission Vérité, Justice et Réconciliation et à une enquête qui a finalement débouché sur des affaires devant la Cour Pénale Internationale. Et maintenant, un processus est en cours pour tenter d’obtenir des réparations. J’ai fait partie d’un groupe qui a commencé à conceptualiser un cas de litige pour rendre justice aux victimes de violences sexuelles et sexistes post-électorales. Il s’agissait de trouver un moyen de rendre le gouvernement lui-même responsable de ne pas avoir prévenu ces violences, de ne pas avoir réagi efficacement lorsque ces violences se sont produites, et de continuer à ne pas enquêter ou poursuivre les auteurs ni à fournir des réparations aux victimes. Nous avions huit victimes requérantes dans l’affaire, qui sont représentatives des diverses formes de violations que beaucoup d’autres ont subies – elles avaient été violées collectivement par des agents de la sécurité de l’État, ou par des civils, et il y a eu une circoncision forcée sur deux victimes masculines. Nous avons été au tribunal pendant sept ans, faisant des allers-retours devant six juges différents jusqu’à ce que finalement, une décision soit prise par la Haute Cour en décembre 2020. La cour a reconnu à tous égards que l’État est responsable de la prévention des violences sexuelles et sexistes liées aux conflits, de la protection de ses citoyen·enne·s contre cette violence et de l’efficacité des enquêtes, des poursuites et des réparations. Mais malheureusement, la cour n’a donné raison qu’à quatre des huit victimes, trois d’entre elles ont été victimes de viols collectifs par des policiers d’État. La cour a déterminé que l’État est responsable du fait d’autrui pour les violations qui ont été commises par ses propres agents. L’autre des quatre victimes a été violée collectivement par des civils. Mais la différence entre elle et les autres est qu’elle a signalé son cas à la police. Le juge a ordonné une compensation de quatre millions de shillings kényans (33500 € EUR) à chacune de ces quatre victimes. Pour les quatre autres, le juge a déclaré : « Je ne peux pas vous aider car vous ne nous avez pas dit qui étaient vos agresseurs ». Nous avons déposé un appel partiel en novembre de l’année dernière, et nous poursuivons maintenant cet appel pour les huit victimes. Megan Clement : Quel est l’historique des violences sexuelles liées aux élections au Kenya ? Christine Alai : La violence pendant les élections est un outil très courant pour déstabiliser les opposants depuis la réintroduction du système multipartite au Kenya dans les années 1990. Nous l’avons appelé différemment, comme « des conflits pour la terre » ou « des nettoyages ethniques » selon les périodes. Dans tous ces contextes, il y a eu des violences sexuelles et sexistes, qui étaient rarement signalées, en raison de la stigmatisation, du manque de sécurité et des obstacles structurels. En 2007, c’était la toute première fois qu’il y avait un effort délibéré [pour surveiller les violences sexuelles] étant donné l’ampleur des violences et la reconnaissance du fait qu’elles avaient déjà eu lieu mais n’avaient pas été correctement documentées. La commission d’enquête sur les violences post-électorales a engagé une personne spécialiste pour documenter les cas. En conséquence, il y a eu un chapitre entier consacré aux violences sexuelles et sexistes contre les femmes et les filles, ainsi qu’aux violations contre les hommes et les garçons. Malgré tous ces efforts, seules 30 victimes ont témoigné devant cette commission. Ce chiffre a été complété par les témoignages de médecin·e·s de divers hôpitaux où les victimes s’étaient présentées, et d’organisations de la société civile qui offraient un soutien à ces victimes. La commission a finalement rapporté qu’il y avait au moins 900 cas de violences sexuelles et sexistes et que cela ne représentait que le sommet de l’iceberg. En 2017, la violence s’est manifestée à un niveau inférieur. La Commission Nationale des Droits Humains du Kenya a commandé une étude qui a découvert 201 cas de violences sexuelles et sexistes dans 11 comtés. Encore une fois, ils ont souligné qu’il s’agissait d’un très faible chiffre par rapport à la réalité. Cette fois-ci, l’accent est clairement mis sur le fait que nous devons faire les choses correctement. Nous sommes maintenant bien mieux placé·e·s pour ne pas pouvoir dire « nous n’étions pas au courant ». Megan Clement : Un certain nombre d’ONG et de groupes de défense des droits humains avertissent que le climat tendu qui entoure les prochaines élections pourrait déclencher une nouvelle vague de violence au Kenya. Quelles sont les préoccupations spécifiques ? Christine Alai : Je pense que le plus important, c’est que nous avons deux candidats à la présidence, dont l’un [William Ruto], qui était au gouvernement en tant que vice-président et qui est apparemment dans l’opposition parce qu’il s’est embrouillé avec le président. Et puis on a [Raila Odinga], un ancien opposant farouche au président actuel, ainsi que sa vice-présidente [Martha Karua], qui se sont maintenant rangé·e·s du côté du président. Le président estime qu’il doit gagner avec Odinga pour l’honneur, et le vice-président estime qu’il doit gagner pour faire comprendre qu’il était vraiment le bon dirigeant. Il y a Sous-jacent à tout cela, il y a l’ethnicité, qui est quelque chose qui ne se perd jamais dans nos élections. Nous pouvons être les meilleur·e·s ami·e·s du monde n’importe quel autre jour, mais lorsqu’il s’agit d’élections, nous prenons parti politiquement et chaque camp fait un calcul ethnique et un calcul géographique. Ils et elles veulent gagner autant de groupes ethniques que possible en amenant les leaders ethniques de leur côté. Et cette année, le vote des Kikuyus est divisé. Ensuite, il y a la question économique. La frustration de voir à quel point les choses ont mal tourné sur le plan économique pourrait facilement être déclenchée pour provoquer la violence. Tout est cher, et les gens sont très en colère. On a l’impression qu’ils et elles ont juste besoin d’être poussés assez fort pour basculer. L’état de préparation de la Commission électorale est un autre problème. En parlant aux spécialistes des élections, tous et toutes disent qu’ils et elles ne sont pas préparé·e·s, qu’il y a une probabilité que le système de transmission électronique tombe en panne. Les déclencheurs immédiats sont bien présents. Enfin, le plus gros problème que je vois est que, cycle électoral après cycle électoral, il y a eu l’impunité pour la violence politique. Les doléances historiques n’ont pas été traitées. La Commission Vérité, Justice et Réconciliation a tenté de le faire, mais le rapport n’a jamais été mis en œuvre, de sorte que les plaintes sont restées intactes. Dans la majorité des cas, les victimes n’ont jamais obtenu réparation et les auteurs n’ont jamais été tenus pour responsables. Megan Clement : Comment les activistes et les groupes de la société civile s’organisent pour tenter d’empêcher une répétition de 2007 ou 2017 ? Christine Alai : Il y a déjà des observateur·trice·s sur le terrain qui surveillent toute forme de violences sexuelles et sexistes dans le pays, qui la documentent et qui s’assurent que les résultats peuvent alimenter les mesures d’atténuation. La police a travaillé en collaboration proche avec des institutions comme la nôtre. Elle dispose désormais de divers mécanismes pour s’engager auprès des communautés afin qu’elles puissent signaler tout type de malaise en temps voulu. La Commission Nationale de Cohésion et d’Intégration a publié un rapport qui répertorie divers points chauds présentant un potentiel de violence. Nous en sommes maintenant à l’étape où nous essayons de dessiner ce à quoi pourraient ressembler nos voies d’orientation, en particulier dans ces zones sensibles. Nous disons que dans l’établissement informel X, voici les activistes communautaires pour l’égalité des sexes que nous avons sur le terrain, voici les parajuristes, voici les personnes qui ont déjà la confiance de leurs communautés, et de mener ensuite des campagnes de sensibilisation pour que les victimes sachent qu’elles peuvent s’adresser à la personne X. Nous avons demandé que ce soit une condition non négociable que nous ayons les noms de tous les agents de police déployés. Ainsi, si une victime signale ensuite qu’elle a été violée par un agent du Service de Sécurité Générale, nous retournons voir le commandant pour nous assurer que nous faisons notre rapport en temps opportun. En bref, ce qu’on est en train de dire cette fois-ci, c’est : « Nous vous mettons en garde ». Nous disons que cette fois-ci, que les victimes portent plainte ou non – parce que les obstacles structurels existent toujours – que les victimes sachent ou non qui sont les auteurs du crime, quelqu’un sera tenu responsable. Megan Clement : En 2022, nous avons trois femmes qui se présentent au poste de vice-président et 47 postes de représentantes féminines sont à pourvoir. Une augmentation du nombre de femmes au gouvernement serait-elle utile ? Christine Alai : Absolument. Nous avions reconnu que le leadership des femmes était suffisamment important pour l’inscrire dans notre constitution, mais sa mise en œuvre a continué à poser problème. Nous n’avons pas démantelé cette façon de penser selon laquelle les femmes n’ont pas autant de valeur que les hommes. Nous devons désapprendre notre socialisation au point que lorsqu’un électeur verra un homme et une femme sur le bulletin de vote, il ne s’agira pas d’une question de genre, mais d’une question de capacités et de compétences. Telle est la tâche de notre génération. Les élections deviennent un lieu extrêmement important pour jouer ce rôle. Et les dirigeant·e·s et les partis politiques peuvent faire un choix très délibéré pour créer continuellement de la place. Plus nous avons de femmes qui se présentent, plus nous démontrons à nos enfants que nous pouvons tous être des leaders. Mais le travail le plus difficile ne se fait pas pendant les élections. Nous récoltons le résultat pendant les élections de ce que nous avons fait entre-temps. Le travail le plus difficile est de sensibiliser, de désapprendre et de démanteler toutes ces croyances négatives basées sur le genre, afin de créer un monde totalement égal et libre pour que chacun puisse se montrer et donner le meilleur de lui-même. Christine Alai : J’ai récemment eu 40 ans, et quand je réfléchissais à ce que je devais célébrer, j’ai pensé que je voulais avoir une cause – quelque chose qui va survivre à ces 40 années et aux 40 prochaines. J’ai fini par inviter ma famille et mes ami·e·s à soutenir les victimes de violences sexuelles et sexistes. Je pensais que ce serait quelque chose de différent parce que je me suis toujours dit : « Je veux séparer mon travail de ma vie personnelle ». Mais je me suis ensuite rendue compte que la chose qui me fait vraiment avancer est que ce n’est pas seulement un travail. Ce n’est pas seulement mon travail. En fait, je Le deuxième outil très puissant qui me donne de l’espoir est l’interaction avec les survivant·e·s. Notre travail est tellement axé sur les survivant·e·s qu’il devient inévitable de se rappeler à chaque fois que pour cette personne, il s’agit en fait d’une question de vie ou de mort. Ce n’est pas un gagne-pain. C’est très fatigant, et parfois nous nous décourageons. Mais nous regagnons notre force en travaillant main dans la main avec les survivant·e·s. Pour moi, quelle que soit la direction que cela prend, c’est une vocation. Cet édition d’Impact a été préparé par Megan Clement et Steph Williamson. Impact est produite par Gloria Media et financée par New Venture Fund Abonnez-vous à nos newsletters : Les Glorieuses / Économie / Les Petites Glo Soutenez un média féministe indépendant en rejoignant Le Club. |
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