Recommandez-nous à une amie | Lire la même chose en ligne Mercredi 27 octobre 2021 – Le mouvement pour l’égalité salariale aura lieu cette le #3Novembre9h22, retrouvez toutes les infos ici, dans une semaine ! Si vous souhaitez organiser un événement, une action, … envoyez-nous un email et nous relaierons sur nos réseaux sociaux. « C’était mon histoire », le récit d’une enfant cachée qui a dit oui à la vie, Flora Hogman est de celles qui ont un destin hors du commun. Lorsqu’elle était enfant, elle vécut cachée dans le sud de la France parce que juive. Sa mère n’eut pas la même « chance » et périt à Auschwitz. Flora Hogman vient de publier, Le récit d’Erica, enfant cachée dans la France occupée (Éd. Albin Michel), un manuscrit qu’elle écrivit dans les années 70 avant d’oublier complètement son récit. Elle y raconte l’histoire d’Erica, son histoire à elle. Rebecca Amsellem – Pendant ta conférence au Mémorial de la Shoah, tu as prononcé une phrase qui semble avoir été directement sortie de l’Ancien Testament. Elle est d’ailleurs dans le livre de la rabbine Delphine Horvilleur, Vivre avec nos morts (Éd. Grasset). Elle y cite un passage du Deutéronome dans lequel il est écrit : « J’ai placé devant toi la vie et la mort, dit l’Éternel, et toi, tu choisiras la vie. » C’est exactement ce que tu as dit, « j’ai choisi la vie ». Flora Hogman – Oui. Rebecca Amsellem – Connaissais-tu cette phrase ? Flora Hogman – Non, je ne suis pas du tout pratiquante. C’est juste que très souvent, avec les enfants qui ont survécu à la guerre, ils essayent de trouver un sens dans le fait d’avoir survécu. Ils ont choisi la vie plutôt que la mort. Rebecca Amsellem – Tu as étudié la psychanalyse : j’imagine qu’il y a quelque chose qui permet d’expliquer pourquoi on fait constamment le choix de la vie. Flora Hogman – C’est un choix. Il s’agit de quelque chose qu’on a en soi. Certains choisissent la colère, d’autres choisissent de vouloir vivre. Si on a quand même eu un moyen d’aimer, le choix de la vie est évident. Rebecca Amsellem – Dans « L’histoire d’Erica est la mienne. L’écrire à la troisième personne a permis de m’ouvrir un espace de liberté pour raconter et exprimer les sentiments de façon plus poétique, plus sensible et éloquente aussi ». Tu prends le parti d’utiliser la troisième personne du singulier et d’écrire l’histoire d’« Erica ». Erica c’est à la fois toi et pas toi. D’où venait ce besoin de se dissocier du « toi » de cette époque de ta vie ? Flora Hogman – J’ai écrit l’histoire il y a cinquante ans. À cette époque, je souffrais de trouble de stress post-traumatique. Pour résumer, j’oubliais tout, tout le temps. Cette perte de mémoire m’a accompagnée toute ma vie. Pour cela, j’écris toujours des choses à la dernière minute pour ne pas oublier. Je ne voulais donc pas oublier « ça ». Flora et moi-même photographiées par Nadine Racadot. Rebecca Amsellem – Si tu écrivais ce récit de nouveau aujourd’hui, utiliserais-tu le « je » ou continuerais-tu d’utiliser la troisième personne ? Flora Hogman – J’ai décidé de ne pas relire le texte avant que cela soit publié. Aujourd’hui, ce n’est pas du tout pareil. Rebecca Amsellem – Dans ton intervention à the Moth, tu racontes que ton oncle t’a rapporté que ta mère était pourrie gâtée. Et tu as adoré car, soudain, elle est réelle, elle était vraie. Ta mère t’est de nouveau apparue lorsque tu as retrouvé vos cousins. T’est-elle apparue une troisième fois avec cet ouvrage ? Flora Hogman – Lorsque mon oncle m’a dit ça, j’étais contente, mais je ne sentais pas vraiment ma mère avec moi. L’autre jour, parce que j’ai vraiment étudié l’histoire, parce que j’avais peur de l’oublier de nouveau, j’ai pensé à elle comme quelqu’un qui était là, près de moi. Rebecca Amsellem – Ta mère t’a laissé à son ami pour t’emmener au couvent et te cacher, elle t’a dit qu’elle reviendrait te chercher une semaine plus tard. Or, c’est la dernière fois que tu l’as revue. Est-ce pour cela que tu as refusé de grandir pendant si longtemps ? Pour rester pendant cette semaine au couvent où tu pensais que ta mère n’allait pas tarder à venir te chercher ? Flora Hogman – Pendant un moment, je ne pensais même pas à grandir, mais à m’adapter à chaque endroit. Le moment où j’ai commencé à refuser de grandir, était le jour où nous sommes allés à Nice. Le jour où j’ai su que ma mère était morte. Ma mère adoptive, qui n’a rien compris, m’a juste dit : « Tu n’as même pas pleuré. » C’était comme si personne ne me comprenait. J’ai tout rejeté en bloc. Et ça m’a empêché de grandir. Cela m’a mise en colère car évidemment je voulais grandir. J’ai eu de la chance car mon cousin m’a retrouvée. J’avais des amis, je faisais des choses, mais c’était pas vraiment… Je ne me sentais pas vraiment moi. Je me sentais seule, à devoir mentir, tout le temps Oeuvre réalisée par Flora Hogman Rebecca Amsellem – Tu as développé une forme de colère avec ta mère adoptive. Mais quand on se met en colère, c’est qu’on doit forcément se sentir aimé. Lorsqu’on a peur de ne pas être aimé, au contraire, on est une petite fille sage. Flora Hogman – Au début, j’étais très sage, parce que je me rendais compte qu’elle m’avait sauvée. Et puis je suis devenue très conflictuelle, car je me sentais coupable. Rebecca Amsellem – Coupable de quoi ? Flora Hogman – Coupable de ne pas l’aimer. Je me sentais coupable parce que je voulais être loin d’elle. Rebecca Amsellem – Te souviens-tu de ce que tu as vécu, quand tu relis le livre ou quand tu relis le texte ? Flora Hogman – Je me souviens qu’on a changé mon nom. C’était absolument horrible. J’étais Flora et je suis devenue Erica. Je me rappelle désormais de Joseph, que j’ai beaucoup aimé. Quand j’ai relu, je me suis dit : « Qu’est-ce qui lui est arrivé ? » Rebecca Amsellem – Et que lui est-il arrivé ? Flora Hogman – Je n’en ai aucune idée. Rebecca Amsellem – Et Suzie ? [Suzie est une autre enfant juive avec qui Flora s’est liée d’amitié pendant ces années.] Flora Hogman – Suzy, non plus, je ne sais pas. Rebecca Amsellem – Je comprends la nécessité d’oublier quand on ne peut pas connaître la vérité. C’est un moyen de survie. Flora Hogman – Il fallait que j’oublie pour pouvoir avancer dans la vie. Mais, paradoxalement, pour avancer dans la vie, il fallait aussi que je me rappelle du passé, d’une façon plus complète, où je comprenais ce qui était arrivé au lieu de juste le regarder d’une façon terrifiée. Rebecca Amsellem – Quand est-ce que tu as repris ton vrai prénom, celui de Flora ? Flora Hogman – À la fin de la guerre. C’est une très bonne question, parce que c’est pour ça que je suis toujours confuse. On m’appelait toujours Flora et parfois Erica. Je n’y comprenais rien du tout. Quand l’agent de police était venu, il a fallu que je me souvienne de mon nom, Erica Hamon. Alors qu’au début, on m’appelait Marie Hamon. Je l’ai gardé, même après la guerre, ce Marie Hamon, j’étais ensuite devenue Flora Hamon. Mon nom de naissance est Florie Hillel. Je pense que ma mère m’appelait Flora, c’est pour cela. Lorsque j’ai été adoptée, je suis devenue Flora Hogman. Rebecca Amsellem – Ton rapport à la « vérité » et au « mensonge » semble avoir été complètement bouleversé pendant cette période. Tu n’es plus juive, tu es catholique, ta mère va revenir dans une semaine, ta mère est en Corse, ton nom est Erica et j’en passe tant cela semble être le fil conducteur de ton témoignage. Monsieur Pair, une des personnes chez qui tu es restée cachée, disait d’ailleurs « le mensonge est une chose vilaine et complètement inutile » : alors que pour toi le mensonge était vital. Comment se construit-on lorsque notre rapport à la vérité et au mensonge est bousculé de manière si forte ? Flora Hogman – C’est pour ça que je suis devenue psychologue, pour comprendre. Bien des années après la guerre, je suis allée rendre visite à une amie de ma mère. Elle me dit : « Tu sais, Flora, c’est quand même étrange, les enfants, ils ne sentent rien. Vraiment, tu avais l’air si heureuse pendant la guerre, tout le temps, je me disais : “Elle se débrouille très bien”. » La pauvre, je me suis mise à hurler pendant une heure. Elle me dit : « Oui, je suis désolée, les adultes ne comprennent pas les enfants. » Je dis : « Oui. » C’était un peu ça. J’avais cette façade. Je crois que je l’ai eue pendant longtemps, cette façade. Et puis, je savais rigoler, j’avais ça aussi. Rebecca Amsellem – Tu ne parles pas dans le livre de ce qui est arrivé après. Flora Hogman – Je me suis mariée tard. Avant, j’étais perdue, j’avais besoin de comprendre ma vie. J’en parlais un petit peu, j’ai commencé à interviewer des gens, des enfants cachés. J’ai Rebecca Amsellem – Tu n’as jamais voulu avoir des enfants ? Flora Hogman – Parfois, cela me manque. Mais je me sentais trop confuse. Pour les jeunes enfants, oui j’aurais pu le faire mais une fois adolescents, je ne m’en sentais pas capable. Parce que je ne me comprenais pas moi-même. Je pense que je comprends un peu mieux maintenant, mais je suis quelqu’un qui n’a jamais su exactement qui elle était. Rebecca Amsellem – Aujourd’hui, as-tu l’impression de savoir qui tu es ? Flora Hogman – Oui, un petit peu plus. Rebecca Amsellem – Grâce au livre ? Flora Hogman – Ce qui m’a complètement aidée, c’est d’écrire et de faire mes photos. La psychanalyse, je racontais mon rêve tout le temps, mais ils ne savaient pas quoi dire. Les Glorieuses est une newsletter produite par Gloria Media. |