Cette semaine, le format proposé est un peu différent des autres. C’est un entretien avec Deborah Feldman, l’autrice américaine connue pour son autobiographie, adaptée par Netflix en mini-série, UNORTHODOX qui raconte sa fuite de la communauté hassidique Satmar. Nous avons parlé de la place de l’amour lorsqu’on essaie de faire partie d’une révolution. Nous avons échangé sur les obstacles empêchant aujourd’hui des relations hétérosexuelles réellement intimes, sur le « bechert », mot yiddish pour définir le concept d’âme soeur. L’entretien est également disponible dans sa version originale, en anglais, en bas de cette
newsletter. La version française, réalisée admirablement par Hinde Bouratoua, est disponible ci-dessous.
Rebecca
« L’intimité entre un homme et une femme sera possible seulement lorsque le patriarcat sera renversé », entretien avec Deborah Feldman.
Deborah Feldman, née en 1986, est une autrice américaine qui vit actuellement à Berlin. Dès toute petite, Feldman qui a grandi élevée par ses grands-parents, rejetaient les règles strictes de sa communauté. A 17 ans, elle est mariée à un autre membre et elle devient maman à 19 ans. Elle décide de tout quitter pour étudier la littérature à Sarah Lawrence. Feldman a commencé à écrire son histoire sur un blog puis dans une autobiographie, aujourd’hui best-seller. Elle a depuis déménagé à Berlin où elle continue son travail d’auteur.
Son livre à paraître en français sort le 26 juillet et s’intitule UNORTHODOX – comme la série.
Rebecca Amsellem: C’est un honneur pour moi de m’entretenir avec vous aujourd’hui. Le but de cette discussion est de parler de ce à quoi l’amour pourrait ressembler dans une société féministe. Pour ce projet, mon domaine de recherche est “l’utopie”. Ce dont nous avons besoin, aujourd’hui, c’est de créer de l’espace pour que les gens puissent s’imaginer un monde meilleur, et se dire qu’il possible d’atteindre cet idéal. J’y parle d’argent, de sexualité, et aujourd’hui nous parlerons d’amour. Pour commencer, que vous a-t-on appris sur l’amour pendant votre enfance ?
Deborah Feldman: On ne m’a rien appris du tout. J’ai lu quelque chose de très intéressant dans un livre écrit par Aaron Appelfeld, dans lequel il évoque la différence entre l’ancien hébreu et l’hébreu moderne. Il explique l’étonnante manière dont un mot comme “sécurité” en hébreu moderne signifie “foi” en Ancien Hébreu. Il montre comment les mots changent de sens, même s’ils restent identiques. “Amour” en ancien hébreu est ahava. Ce mot existe aussi en yiddish, mais il signifiait “l’amour de Dieu”. A mon sens, il s’agit de la parfaite illustration du fait que dans mon enfance, certaines terminologies n’étaient utilisées que dans des contextes religieux. Jamais vous n’entendrez quelqu’un avouer son amour à une autre personne. Le concept d’amour romantique n’était jamais discuté. L’amour entre une mère et son enfant l’était, mais pas avec des mots ni avec des gestes. Cet amour n’était jamais exprimé sous la forme de parents qui embrassent et enlacent leurs enfants en leur disant qu’ils les aiment.
Il y a des choses qui n’ont pas besoin d’être dites pour être comprises. Vous pouvez ressentir l’amour sans avoir de mots pour le décrire. Etant petite, j’avais conscience que ma grand-mère m’aimait, à sa manière. Le yiddish avec lequel j’ai grandi, qui n’est ni celui enseigné à l’université ni celui de la littérature mais plutôt celui de l’espace religieux et par conséquent le plus censuré, n’inclut pas de mot pour dire “je t’aime”. En allemand, la phrase Ich habe dich lieb est utilisée pour décrire l’affection portée à une personne. Au sein de ma communauté, elle est utilisée pour décrire des choses qu’on aime, comme “j’aime la glace”. Je n’ai jamais entendu quelqu’un le dire à une autre personne. En hébreu, ces mots sont utilisés pour décrire l’amour de Dieu.
C’est intéressant de voir que dans une religion qui interdit d’idolâtrer des objets, les seuls mots que vous connaissez pour dire “je t’aime” étaient pour des choses inanimées.
C’est ironique : en tant qu’enfant, j’interprétais la phrase pour dire “j’aime beaucoup”, mais j’ai commencé à prendre ce recul lorsque j’ai adapté mon yiddish à l’allemand. En effet, j’ai réalisé que l’allemand avait deux manières distinctes d’articuler un amour pour une chose ou une personne : Ich mag dich gerne ou Ich habe dich lieb, qui décrit un amour plus fort, ce qui m’a permis de faire la distinction entre quelque chose qu’on aime bien et quelque chose de plus spécial. Pendant mon enfance, Ich hub lieb était utilisé de manière assez libre. Ainsi, on pouvait entendre quelqu’un dire “j’aime la glace” sans que cette phrase ne relève d’une profondeur particulière. On pouvait donc dire “j’aime beaucoup cette personne”, sans que la phrase n’ait de conséquence. Je n’ai malgré tout jamais entendu deux personnes se le dire.
Maintenant que vous vivez loin de votre communauté, comment la percevez-vous ?
Il est dur de m’identifier à mon passé. Je sais qu’il s’agit de mon histoire. J’ai écrit un livre dessus. Je l’ai commencé alors que j’étais encore membre de la communauté et je l’ai terminé lorsque j’en suis partie. C’était très instantané. J’ai écrit pour prendre du recul. Aujourd’hui, le seul rappel que ceci fut ma vie est ce livre. Beaucoup de personnes qui me connaissent aujourd’hui ont du mal à lier mon identité actuelle avec celle de la personne décrite dans l’histoire. Quand vous vous réinventez de la sorte, vous donnez naissance à un autre soi qui n’a pas grand chose à voir avec l’ancien, à part le fait que vous avez utilisé les mêmes matériaux. Prenez le système périodique des éléments : vous avez en votre possession un set d’élément et vous pouvez les réarranger pour former un nouveau produit. Si je comprends bien que j’ai du utiliser des éléments de mon passé pour forger mon identité actuelle, ces derniers ont été si bien réorganisés que parfois, il m’est dur de les reconnaître.
Pensez-vous qu’il s’agit d’une manière de vous protéger ?
C’est possible. Ma psy n’aime pas les explications simples alors que j’ai parfois tendance à m’en contenter. Dans un sens, nous emportons notre subconscient avec nous dans la transition vers la nouvelle identité. Pourtant, je pense avoir su le protéger lorsque je vivais au sein de la communauté. J’ai appris dès mon plus jeune âge à prendre conscience du fait que je possédais un “moi intérieur” que je pouvais rendre inaccessible aux yeux du monde extérieur afin de me protéger de mon environnement. Cette partie que j’ai protégée est au centre de ce que je suis aujourd’hui. Vous me demandez si je ressens le besoin de me protéger du passé ? Mes écrits sont la réponse à votre question. J’ai passé dix ans à travailler sur le passé. Une personne qui voudrait se protéger ne le ferait pas. Me créer une nouvelle identité m’a permis de créer des possibilités qui n’existaient pas, de m’ouvrir un champs des possibles que je n’aurais jamais pu imaginer quand j’étais enfant. J’ai dû repartir de zéro.
Dans la tradition ashkénaze, avec laquelle je suis moins familière étant moi-même séfarade, il existe ce concept de beshert, qui pourrait se traduire en “destinée”, ou “âme soeur”.
J’ai une nouvelle approche de ce mot depuis mon premier Noël en Allemagne. Dans leur langue, l’action de donner un cadeau pourrait se dire bescherung, qui est le nom dérivé du verbe bescheren signifiant “donner un cadeau”. Le mot bashert vient de cette idée que Dieu nous a donné son cadeau. C’est un mot qui traduit notre impossibilité de choisir ce que l’on veut accomplir, mais notre attente passive du moment où Dieu nous donnera ce cadeau. Le bashert est la personne que Dieu nous a donnée, qu’Il a choisie pour nous. Pourtant, nous avons cette expression en yiddish qui peut être dite quand quelque chose de bien, ou de mal s’est passé : “c’est beshert”: ceci nous est accordé. Ce concept va à l’encontre de la notion de libre arbitre car le beshert exprime notre passivité, notre renonciation consciente à notre liberté de choisir.
Ce qui est intéressant dans l’idée du beshert, c’est qu’il s’agit d’un des seul concept qui nous encourage à être passif. Et je ne parle pas seulement de la communauté hassidique, mais plus largement dans le judaïsme.
Ou dans le monde en général, avec l’idée des âmes soeurs.
Exactement. Est-ce que vous croyez en l’âme soeur ? Existent-elles dans la société féministe dans laquelle vous aimeriez vivre ?
Je n’y crois déjà pas dans notre société actuelle, étant donné que cela va à l’encontre du libre arbitre. Et le libre arbitre, est selon moi, très féministe : c’est quelque chose que j’emploie consciemment dans ma vie de tous les jours. Donc si je croyais en ce concept occidental des âmes soeurs, des connections magiques et naturelles qui ne peuvent s’expliquer, je devrais alors abandonner mon libre arbitre. Je devrais abandonner mes chances de construire des relations qui ne sont pas données, pas évidentes, ni simples, mais maintenues par du travail, de la tolérance, une ouverture d’esprit, et qui sont par conséquent plus gratifiantes. L’aspect du beshert qui peut, à mon avis, être étendu au monde occidental, est la pensée qu’une personne est faite pour vous si elle vous ressemble, si elle a des idées et des désirs, un passé même, qui sont les mêmes que les vôtres. Ca peut nous isoler de la différence et du conflit et nous tenir à l’écart du progrès que nous pourrions faire si nous nous exposons un peu plus à ces choses. Par conséquent, cela nous maintient dans notre zone de confort.
Heloisa Marques (c) Les Glorieuses
L’amour n’est pas quelque chose qu’on évoque souvent lorsqu’on pense à la révolution féministe. Alexandra Kallontaï, une socialiste russe du début du XXe siècle, a écrit une série de conférences à ce sujet. Elle les a données à ses étudiant·e·s qui faisaient la révolution et qui ne savaient pas quelle place accorder à l’amour. Elle écrit : “Devant le visage sombre de la grande révoltée — la révolution, le tendre Éros (« dieu de l’amour ») dut disparaître précipitamment. On n’avait ni le temps, ni l’excédent nécessaire de forces psychiques pour s’adonner aux « joies » et aux « tortures » de l’amour. Telle est la loi de conservation de l’énergie sociale et psychique de l’humanité. Cette énergie est toujours appliquée à poursuivre le but essentiel et immédiat du moment historique” (Place à l’Eros ailé – lettre à la jeunesse laborieuse). Quand on pense aux relations de domination dans notre société, on ne peut imaginer les conséquences de la révolution sur le plus intime de nos sentiments : l’amour. Pensez-vous qu’il y aura des conséquences de la lutte contre l’inégalité des genres dans la sphère de l’intime, dans les relations hétérosexuelles ?
Le mythe selon lequel l’amour existerait au sein du patriarcat et qu’il serait dépendant de lui est propagé pour mener les femmes à penser que renverser le système patriarcal reviendrait à perdre les relations intimes et la confiance entre les hommes et les femmes. Il s’agit d’un mensonge. Il n’existe pas d’intimité entre hommes et femmes au sein du patriarcat. Nous ne connaîtrons pas ce qu’elle est tant que ce dernier sera en place ; nous ne pouvons même pas imaginer à quoi elle ressemblerait. Il s’agit là d’un concept intéressant qui peut être retrouvé dans le domaine de la spiritualité : on ne peut s’imaginer l’amour de Dieu. Il est tellement puissant et au-delà de notre capacité émotionnelle d’être humain, que nous ne pourrons le ressentir qu’à notre arrivée au paradis. De la même manière, l’idée d’amour, d’intimité au delà du patriarcat est quelque chose que nous ne pouvons imaginer, quelque chose qui ne rentre pas dans notre cadre de compréhension actuel et par conséquent, nous redoutons le néant de la même manière que certains peuvent craindre que Dieu n’existent pas. Ceci est une peur typique de l’être humain : si nous nous débarrassons de ce qui est en place, il n’y aura rien après. Je pense sincèrement que l’intimité entre un homme et une femme sera possible seulement lorsque le patriarcat sera renversé : à ce moment là nous pourrons ressentir un amour comme nous ne l’avons jamais expérimenté. Avant cela, il n’aura jamais été sincère, digne de confiance, honnête.
L’envers de ce que vous dites est que les relations heterosexuelles sont problématiques par défaut. On apprend aux femmes qu’elles doivent se détester dès leur plus jeune âge : elles sont soit trop grosses, soit trop maigres, trop ambitieuses, etc. Ceci maintient le mythe de la femme parfaite, qui pousse les femmes à se dévouer totalement à atteindre un idéal, afin de les détourner de la révolution. La conclusion étant la suivante : les femmes entrent dans une relation hétérosexuelle déséquilibrée en terme de pouvoir. Les femmes auront tendance à se sentir submergées lorsqu’elles recevront une touche d’amour de la part d’un homme étant donné qu’on leur aura appris qu’il s’agit d’un miracle si un homme l’aime un jour, alors qu’un homme aura des attentes très hautes, car on lui aura enseigné qu’il mérite qu’on lui décroche la lune.
Je me souviens d’avoir lu un article à propos d’un scientifique expert des animaux dans un magazine allemand. Il y explique qu’au sein de toutes les espèces animales, exception faite de l’être humain, ce sont les femelles qui décident quels mâles sont dignes de la reproduction. Si cette observation devait être transposée au cas des individus, les hommes seraient dans l’obligation de d’adapter aux attentes des femmes afin de pouvoir se reproduire. Par conséquent j’ai commencé à percevoir les choses autrement : si les femmes commencent à demander des choses aux hommes, ils n’auront pas d’autre choix que d’obtempérer. Le problème réside dans le fait que nous n’osons pas demander car nous avons été entraînées à penser dans l’autre sens. Vous avez raison lorsque vous dites que la façon dont les femmes ont été éduquées les pousse à demander moins et à attendre moins. Il existe malgré tout ce désir inéluctable, ce besoin de demander plus, d’être heureux, d’être bien entouré. L’éducation ne peut éteindre ces désirs, et même si les femmes ont été habituées à ce que presque rien soit assez, elles ressentent viscéralement le contraire. La tension vient de ce paradoxe et la vrai question repose sur cela : combien de temps avant que la majorité des femmes commencent à demander plus en sachant que si les hommes ne respectent pas ces demandes ils n’obtiendront ni le temps, ni l’attention des femmes ?
Tant que nous vivons dans une société qui nous enseigne que nous ne pouvons pas demander plus, nous resterons passives dans nos relations. Une chose que j’ai apprise récemment concerne la biologie de la procréation. On m’a dit toute ma vie que l’ovaire est statique et qu’il est fécondé par le spermatozoïde : en réalité, l’ovaire bouge également et il s’agit plus d’une danse entre les deux cellules, l’une s’approchant de l’autre. Les femmes sont éduquées pour être passives. A moins qu’il n’y ait une révolution qui ne fasse écho dans toutes les sphères de la société, nos sentiments les plus intimes ne sont pas prêts de changer.
En terme de reproduction, je pense qu’à partir du moment où on ne parle pas d’un viol (qu’il soit physique ou psychologique), on parle encore de femmes qui font leurs propres choix, même si ces choix sont souvent faits sur la base de l’entraînement et de l’endoctrinement, ils ne sont donc pas gratuits car nous avons été programmés pour les faire. Ma solution à ce problème a été de vivre dans un système de relations non conventionnelles. À Berlin, les gens trouvent du réconfort dans les structures et dans les relations familiales non conventionnelles. Dans cette ville, vous avez beaucoup de mères célibataires, des unités familiales complexes, différentes familles qui fusionnent, beaucoup de personnes vivant de manière indépendante tout en partageant l’éducation des enfants, beaucoup de relations fluides et fluctuantes, à la fois platoniques et romantiques. Au sein de ce système, qui, je crois, est un mécanisme d’adaptation au système dans lequel nous vivons actuellement, nous trouvons le sentiment de proximité que nous cherchons dans une relation. C’est la raison pour laquelle nous sommes prêts à tant sacrifier, car nous dépendons de ce sentiment de proximité. Ma solution a toujours été de trouver des moyens de construire un réseau de connexions afin que ces relations soient plus flexibles, que subsiste une certaine stabilité malgré les allées et venues, tout en garantissant que le besoin de connexions soit satisfait mais sans jamais laisser une des personnes vulnérable et dépendante d’un seul partenaire. Je ne vois pas cela comme l’objectif final, mais comme un moyen pour de nombreuses femmes, souvent malheureuses dans des relations traditionnellement structurées, de retrouver à la fois leur liberté et les joies de la proximité dans notre société actuelle. Cela pourrait être notre transition vers une nouvelle façon de nouer des relations, il se pourrait que nous construisions des réseaux relationnels plutôt que des relations individuelles.
Eva Illouz, sociologue israélienne, dit que nous nous reposons sur un amour conventionnel qui nous fait tout attendre d’une seule personne : sécurité financière, amitié, plaisir sexuel… il s’agit d’un phénomène assez récent. Ce que vous dites, et ce avec quoi je suis d’accord, c’est qu’on ne peut s’attendre à ce que quelqu’un réponde à tous nos désirs, ce n’est pas faisable.
J’ai lu plusieurs de ses livres, mais j’ai également lu nombreuses de ses interviews dans des journaux israéliens, qui sonnent souvent différemment de celles qu’elle pourrait donner à l’étranger. Ce qui m’a frappé à son sujet, étant donné qu’elle vit une vie plutôt traditionnelle au sein d’une structure familiale orthodoxe , c’est qu’elle soutient du point de vue conservateur qu’il s’agit d’un problème de modernité. Son rejet des maux de la modernité conduit à l’inévitable mise sur piédestal des valeurs traditionnelles. C’est du moins ce que j’ai compris des nombreuses interviews que j’ai lues où elle parlait de sa vie personnelle et de ses opinions sur l’orthodoxie. Je ne la décrirais pas comme une orthodoxe ultra-conservatrice, mais elle décrit sa vie comme respectant diverses traditions
orthodoxes de la façon dont elles sont vécues dans la société israélienne et Israël est, même dans sa communauté laïque, très influencé par les traditions religieuses. Il y a certainement un forte valeur placée dans les familles nombreuses et les communautés centrées sur la famille. J’ai eu l’impression que c’est très important pour elle et qu’il s’agit de traditions qu’elle souhaite inculquer à ses enfants, mais il est vrai qu’elle fait un très bon travail en gardant cela hors de ses écrits académiques. Une partie d’elle est prête à réformer le conservatisme, mais elle perçoit la modernité comme un problème et ne comprend pas qu’il s’agit en fait d’une transition, d’un processus de changement qui peut venir avec ses douleurs et ses peines, qui inclut la perte et peut se trouver écrasant, un processus lors duquel nous pouvons faire des erreurs et qui peut prendre du temps. Bien que je sois d’accord avec nombreux de ses dires, je rejette l’idée sous-jacente selon laquelle la modernité elle-même fut l’erreur. Dans un sens, ce qu’elle trouve précieux dans la structure familiale traditionnelle peut être créé indépendamment de la religion et des traditions religieuses. J’ai tendance à me méfier des analyses sociologiques des relations modernes en raison de leur réticence à reconnaître que lorsqu’on veut changer radicalement le monde, le changement ne pourra pas s’opérer instantanément, mais cela ne doit pas signifier qu’il serait bon de revenir à en arrière.
James Baldwin a dit à propos de l’évidence de l’amour : « Malheureusement, nous ne pouvons pas inventer nos amarres, nos amants, ni nos amis, pas plus que nous ne pouvons inventer nos parents. La vie nous les donne et nous les prend. Et la grande difficulté est de dire oui à la vie. » On pourrait penser que l’argument de Baldwin portent sur notre capacité à nous ouvrir aux opportunités qui s’offrent à nous. Il a également déclaré que « L’amour ne commence ni ne se termine comme nous le croyons. L’amour est une bataille, l’amour est une guerre, l’amour grandit. » C’est une sorte de paradoxe : le premier paragraphe nous pousse à penser que le coup de foudre existe mais le deuxième nous incite à nous battre pour cet amour.
Être aimant ne signifie pas forcément avoir un objet d’amour ; vous pouvez être une personne aimante sans avoir quelqu’un vers qui diriger cet amour. Nous aimons ou non, nous sommes soit ouvert à l’idée d’aimer indépendamment des opinions, des antécédents, des identités de l’autre, soit nous essayons activement d’être aimés. Dans ce cas, nous performons l’amour, à la recherche d’êtres aimés. Ce sont des états d’être qui sont très différents. Le premier nous dit : je suis un être à part entière et j’aime. L’autre est : je suis incomplet, j’ai besoin d’amour : je ferais tout pour l’obtenir, je ferais n’importe quel sacrifice, je me blesserais, j’accomplirais tout pour pouvoir ressentir l’amour de l’autre. C’est un état qui ne peut jamais vraiment être corrigé ; une personne se trouvant dans cet état ne peut être sauvée par l’amour. Rien ne pourra retenir cet amour. Pour être aimé, il faut avoir le sentiment qu’il y a quelque chose en soi qui est digne d’amour. Je sais que cela semble très abstrait, mais personnellement, je trouve l’amour en aimant. Je trouve que ce type d’amour résonne et se reflète : en aimant, vous recevrez une partie de cet amour que vous diffusez. Il devient à la fois amour-propre et amour actif. Il est important de savoir que l’amour que vous ressentez ne dépend pas de la personne ou des différentes personnes que vous aimez en ce moment. Alors quand les objets, ou l’objet de votre amour disparaissent, l’amour ne disparaît pas. De même que lorsque vous êtes absolument seul·e, vous êtes toujours dans cet
état d’amour. Cela semble spirituel et c’est probablement inspiré de mes origines, mais je crois que l’amour est quelque chose que nous pouvons réaliser par nous-mêmes. Dans ma vie personnelle, chaque fois que je veux faire l’expérience de l’amour, j’ai tendance à en donner aux autres. Je le fais de manière à ne pas avoir l’impression de devoir me sacrifier ni de devoir renoncer à moi-même, et j’ai tendance à pouvoir me concentrer sur des personnes qui sont également capables de cela. J’ai 33 ans, presque 34 ans, et je ne réfléchissais pas comme ça il y a six ou sept ans. C’est quelque chose que j’ai appris au fil du temps. Mon histoire m’a rendue très sensible et je suis aujourd’hui capable de réaliser très vite lorsque j’ai besoin de me sacrifier pour une personne. Quand j’ai quitté la communauté et que je me suis mise en couple, j’ai très vite réalisé que ces premières relations dépendaient de mon renoncement. J’ai donc trouvé un moyen d’arrêter de le faire. Ce qui vous libère de ce piège est, entre autre, un sentiment de plénitude sans l’autre. C’est quelque chose dont nous parlons beaucoup dans la culture du bien-être et pourtant, très peu de gens le ressentent. Ce que dit la sociologue, c’est que nous avons des besoins divers et qu’ils peuvent être satisfaits par différentes personnes, mais je crois en revanche que nous sommes équipés pour répondre à la plupart d’entre eux nous-mêmes.
Cela me fait penser à un film, Kadosh d’Amos Gitaï. C’est l’histoire de ce couple hassidique qui ne peut pas avoir d’enfants. La femme va chez le médecin et ils lui disent qu’elle est en parfait santé, et que le mari est probablement stérile. Peu importe, c’est elle qui est rejetée par sa communauté pour cette raison. A la fin du film, elle meurt d’amour, seule. Cela m’a rappelé ce que vous disiez. Dans beaucoup de communautés, pas seulement juives, vous ne vous sentez complet que lorsque vous rencontrez quelqu’un, et ce, même dans une société moderne. J’ai une dernière question pour vous. En tant que féministes, nous luttons contre les inégalités systémiques, nous luttons donc contre le système (pas contre les hommes, les féministes ne détestent pas les hommes) dans lequel les hommes ont le pouvoir et ne sont pas nécessairement prompts à changer les choses. Ma question, assez provocatrice, est la suivante : est-il possible pour une féministe de tomber amoureuse d’un homme ?
Personnellement je ne pourrais pas dire car même si j’ai aimé les hommes et j’aime les hommes en tant qu’individus, je ne tombe pas amoureuse d’eux. Je n’apprécie pas particulièrement l’expression « tomber amoureux » car tomber implique l’impuissance et je n’aime pas être impuissante. Je ne ferais pas confiance à ce genre d’amour impliquant l’impuissance d’un ou des protagonistes. J’aime consciemment et je pense qu’il est très possible pour les femmes d’aimer les hommes consciemment car lorsque nous aimons, nous aimons un individu, nous n’aimons pas un sexe, nous n’aimons pas une société entière, nous aimons simplement une personne affectée, probablement différemment, par le même système que nous. Mais dans la rencontre de deux esprits individuels, il est possible de négocier les conditions de vie d’une manière très claire, ce qui ne serait pas possible sur le plan social. Techniquement, les problèmes entre un homme et une femme peuvent être résolus mais les problèmes entre les hommes et les femmes ne le sont pas encore. Dans un sens, nous pouvons toutes être des féministes, changer le monde, un homme et une femme à la fois, et peut-être que la somme de toutes ces interactions individuelles conduira finalement au changement de tout le système. Ainsi, vous pouvez avoir un problème avec un système et être en mesure de résoudre ces problèmes avec un individu, au niveau individuel.
RDV LE CLUB // Jeudi 27 août 2020 de 19h à 20h30
Le Club sera l’occasion d’un temps d’échange entre plusieurs des autrices de l’édition d’été et Rebecca Amsellem, fondatrice des Glorieuses, autour du thème « L’Amour dans l’utopie féministe ». Lieu : Le Lab de Créatis, 15 rue de la Fontaine au Roi, 75011 Paris. Inscriptions ici (places limitées) : Le Club des Glorieuses
Comme d’habitude, c’est gratuit pour les membres du Club et 15 euros pour celles qui veulent le découvrir.
UN MESSAGE DE NOTRE PARTENAIRE BUMBLE
App de dating et féminisme : ces deux univers n’ont pas toujours été compatibles. Et puis, Bumble est née. Bumble, c’est une application de rencontres créée par une femme qui souhaite renverser les codes de séduction sexistes et dépassés, et injecter un maximum de valeurs dans les rencontres en ligne.
D’abord en imposant une charte qui prône égalité, bienveillance, ouverture et respect, et crée ainsi un climat sain, sécurisé et inclusif. Ensuite en créant un système où ce sont les femmes qui envoient le premier message dans les matchs hétéro.
Enfin en s’engageant concrètement contre le sexisme, le racisme, l’homophobie, la transphobie, la grossophobie et toutes les discriminations. Ça change des autres apps ? Tant mieux, c’est l’idée. Bienvenue sur Bumble !
» True intimacy between a man and a woman will only be possible once we topple patriarchy « , a talk with Deborah Feldman.
Rebecca Amsellem : It is an honor to talk to you today. The idea of this interview is to talk about what love would look like in a feminist society. My field of research is “utopia”. What we need to do right now is to create space for people to imagine what it could look like, and to say that it’s possible to attain this goal. I talk about money, I talk about sexuality, and today we are talking about love. To start it off, here is the first question: as a kid, what were you taught about love ?
Deborah Feldman : Well, I was not. I read something very interesting in a book written by Aaron Appelfeld in which he talks about the difference between ancient Hebrew and Modern Hebrew. He explains how astonishing it is for him that a word would mean “security” in Modern Hebrew and “faith” in Ancient Hebrew, the way it was used by religious Jews. He talks about how words change their meaning even though they are the same. The word for “love” in modern Hebrew is ahava. We have that word in Yiddish too, but it meant “love of God”. That explains best that certain terminologies in my childhood were only used in religious contexts. You would never hear someone say to another person that they loved them. The concept of romantic love was never discussed. The love between a mother and her child was expressed, but not with words nor gestures. It was not expressed the way you would see parents kiss or hug their children and tell them they love them.
There are some things we can feel without needing words for them, you can feel love without maybe knowing what love is. As a child I was aware that my grandmother loved me, in her own way. The Yiddish I grew up with, which is not the one you learn in University nor the one of literature, but it is the Yiddish that is more religious and censored, there is no phrase for “I love you”. There is a phrase that goes like the German “Ich habe dich lieb”, which is used to describe your love for someone in a non-sexual, non-romantic sense. It means “I have you dear”, but in my community, we would say that phrase for things we like, like “I like ice cream”. But I never heard someone say that to an individual; it was directed at objects. And the word in Hebrew was solely used in relation to God.
What is interesting is that in a religion that forbids you to worship objects, the only way you are taught to say “I love you” was for objects.
I find it ironic because as I child I interpreted that phrase to say “I like something a lot”, but I only had this hindsight on it once I started adapting my Yiddish to German, because I realized that German had two ways of saying this which were “ich mag dich gerne” or they say “Ich habe dich lieb” which is stronger, which helped me make the distinction between something that you just like and something that means more. But in my childhood, the term “Ich hub lieb” was used liberally so someone could say I love ice cream, and the phrase didn’t have much meaning, so you could say I like that person a lot but it was harmless , it didn’t sound special, and yet, I never heard someone say it about a person.
Now you live a life far away from your childhood community, how do you perceive it?
It is difficult to identify with my past. I know it is my past. I wrote a book about it. I started it when I was still in the community and I finished it after I left. It was very immediate. But I used writing to disconnect myself from the story. Today the only reminder that this is my life story is the book. Many people who know me currently struggle to connect this person they know now with the person depicted in the story. When you reinvent yourself in this way, you essentially give birth to a new self that doesn’t really have much to do with the old one, apart from the fact that you have to use the same materials. It is like the periodic system of elements, you have a set of elements and you rearrange them in order to make a new sum and while I understand that what went into the making of the new self was in the old self, is has been so reorganized that is hard, at times, to recognize it in the new self.
Is it also a way to protect yourself from the life you used to have?
It is possible. My therapist does not like simple explanations for things. The thing is I tend to grasp for simple explanations so she always tries to put up resistance. There is a sense in which the subconscious is something we take with us and yet, in a way, I protected my subconscious effectively when living with my community. I learned from a young age to be conscious of the fact that I have an inner self that I could render inaccessible to others, so I was protected from my surroundings, and now this part of my older self is at the core of my current self. You ask me if I feel the need to protect myself from my past? My work answers your question. I worked nearly a decade writing about the past, talking about the past. A person who would want to protect themselves from the past would not do that. So, the creation of a new self speaks more to the difficulty of making the self out of the circumstances that were giving to me as a kid. I could not make much out of it, so I had to start over.
In the Ashkenazi tradition, which I am not familiar with as I am Sephardi, you have this concept called the beshert, which can be translated in destiny, soulmate.
I have a new perspective on this word since my first Christmas in Germany. In German, the action of gift giving is “Bescherung” which is the new word now in place of the verb form “bescheren” meaning to bestow a gift. The word “bashert” comes from this idea that that god bestowed upon us gifts. It is a word that means that we do not chose what we do, we just wait passively until God bestows upon us his gift. And the “bashert” is the person who is bestowed upon us. God has chosen this person as a gift for us and gave us this predestined partner. And yet we have a saying in Yiddish that says, whenever something bad happens, or when anything happens at all really: it’s “beshert”, it’s bestowed upon us. This concept of free will, which theoretically is so important in Judaism because there is this idea that until the very end we have free will and that is why God created earth and humankind goes against that concept of “beshert” as it expresses our passivity, it’s almost a willful renunciation of freewill.
What is interesting about the beshert is that, regarding love, it is one of the only theme where they encourage you to be passive a, and I am not only talking about the Hasidic community, it is even more common in Judaism.
Or in the world in general, with the concept of the one.
Exactly. Do you believe in this concept? Do you think it would exist in the feminist society that you would want to be living in?
I don’t believe in this concept in my current life as it goes against the principle of free will and free will to me is very feminist, and it is something that I employ consciously in my day to day life. So if I believed in this western concept of soulmates, of magical chemical connections which are natural and can’t be explained, I would give up on my free will and by that I mean abdicating the chance to find connections that are not given, immediate, or easy, but are sustained by work, tolerance and openness and are therefore more rewarding. The interesting aspect of beshert which I think can be applied to the western world is the belief that a person who fits you is a person who is like you, who has similar ideas about the world, similar background, similar desires. Essentially it insulates us from difference and from conflict and shuts us off from the progress we make when we work through differences and conflict. Therefore, it keeps everything the same, it keeps everything stagnant.
I was talking to a friend of mine the other day who told me that the person you want to have children with or/and spend the rest of your life with should meet three criteria: first you should have good sex with this person, so that when everything is falling apart at least you have one good thing. The second thing is choosing someone who is not scared of conflict and is willing to work past them. And the third one would be about someone who has the same values regarding kindness.
I certainly agree with the last two principles. Maybe I would phrase them differently, but I completely agree. I enjoy being in a relationship with people who are not afraid to work through conflict and I learned strategies in how to make conflict work for my relationship and for myself. The last part about values and free will is also very important as it allows us to be entire people within the relationship and does not require for us to sacrifice a part of us to merge into the other person. But I would disagree with the first one as I do believe that having good sex is not about your partner but about you. If someone is capable of feeling pleasure and of indulging that and totally ok with their body experiences and having a good relationship with one’s body and one’s body’s relationship to pleasure, I think that in the end you’re going to end up having pretty good sex with a lot of partners. It is not that hard. Yes of course every partner is different as all of them are different human beings. But sexual relationships are not that complicated. It is only everything else that we think we need to attach to it. But if you look at the sexual relationship on its own, there are only a few pre-requisites to make it work. Obviously you want to not hate the person, you want them not to smell bad, you maybe want them to be as interested in you as you are in them and so on, But if you have that set of basic principles, you can make sex work with a lot of people. It is also easy for sex not to work with a lot of people and you can find someone, have great sex with that person, then attach a relationship to it, and then the sex starts becoming really bad. So, finding someone with whom you have great sex at first is not a guarantee because in a year from now you can have bad sex with that person.
Love is not something that we first think about when we evoke a feminist revolution and I wanted to tell you a quote from someone you might be familiar with. Alexandra Kallontaï , a Russian socialist from the early 20th century, actually wrote a book about what love could look like in a feminist society. It is more a series of speeches. She gave them to her students who were doing the Russian revolution and did not have any time for love.”In front of the dark face of the great rebellion – the revolution, the tender Eros (“god of love”) had to disappear quickly. There was neither the time nor the necessary excess of psychic forces to indulge in the “joys and tortures” of love. This is the glow of the conversation of the social and psychic energy of humanity: this energy always applied to why the essential and immediate goal of the historical moment” (“Place to the winged Eros! Letter to the working youth “, 1923). And yet when we think about the relationships of domination in our society, we cannot help imagining the consequences that a revolution would have on the most intimate feeling there is: love. Would you say there are going to be consequences of the fight for gender inequality in the sphere of the intimate, for heterosexual relationships?
The myth of love existing within patriarchy and depending on patriarchy is propagated to lead women to believe that with the toppling of patriarchy comes the loss of intimacy between men and women, the loss of trust between women and men. This is a lie. There is no intimacy between men and women within patriarchy. We will not know what intimacy between men and women is until we have no patriarchy, we cannot even imagine how it is like. This is an interesting concept that we can also find in spirituality, we cannot imagine god’s love as it is so powerful and beyond our human understanding of things, so we will only get to experience his love once we arrive in paradise. So in the same way the idea of love, of intimacy, beyond patriarchy is something we cannot imagine, something that doesn’t fit the framework of understanding that we have right now, and so there is necessarily this fear of nothingness just like there is this fear that god does not exist, so “what if we just die and all of this was for nothing”. This is a typical human fear, that if we get rid of what we have now, there is nothing that is coming. I believe sincerely that true intimacy between a man and a woman will only be possible once we topple patriarchy, and we will feel the love like we have never felt it before. Because it has never been genuine, it has never been honest or trustworthy.
There is another aspect to what you are saying and it is that heterosexual relationships are inherently problematic. Women are taught to hate themselves and each other since they were little: they are either too big or too thin, too ambitious and it maintains the very principle of the myth of the perfect woman. This myth pushes women to devote themselves to an unattainable ideal, to exhaust themselves to reach it and not to use this time to make the revolution. The conclusion is that we enter a heterosexual relationship with a completely unequal balance of power: the woman will be overwhelmed when we bring her an ounce of love : so much we taught her that it is a miracle if she is loved, while a man will ask for the moon because he was taught that he deserved the moon.
I remember reading this article about an animal scientist in a German magazine which explains that in all animal species, except for the humankind, the females decide which males get to reproduce, which character aspects are valuable, who are the males who are allowed to become fathers. The scientist was able to point out that only in humankind do women not make the decisions about which men are worthy of reproducing. And if that were to become the case, he says that what would happen to human beings would be the same as what would happen with animals, the males would adapt to women’s expectations in order to compete for the prize of reproduction. So my understanding has always been that as soon as women demand things from men, men will always deliver, it is simply that we don’t make the demands because we have been trained to see it the other way around. But I find in my everyday life that as soon as women demand things these demands are met. We just do not make them. And you are right in saying that we are trained to expect less and demand less and yet there is a very human urge to want more and regardless of how we are trained, we can’t extinguish this very basic human lust and desire for joy and happiness and successful family. These are things you cannot extinguish through social training. While women are taught that the peanut is enough, in her body she knows that it is not, and that is where the tension is coming from, the question being how long before a majority of women make the jump from that tension to demanding more, and knowing that if men don’t deliver, they are not going to get a woman’s time or attention.
One of the answers to what you’re saying is that as long as we live in a system that teaches us that we can not ask for more, we are going to keep being passive in our relationship. One thing that I’ve been learning about very recently is regarding the biology of procreation: we are taught that the ovary waits for the sperm to fertilize them whereas in reality it is more of a dance between the two of them, one getting to the other one. Even in biology we are taught we should be passive, and it is not even true! Unless there is a revolution that reaches all parts of society, our most intimate feelings are not going to change.
Certainly in matters of reproduction, I believe, that as long as we’re not talking about rape, whether physical or psychological, we’re still talking about women making choices, even if these choices are often made based on training and indoctrination, so they are not free because we have been programmed to make them. My solution to that problem has been to live in a system of unconventional relationships. In Berlin there is a lot of comfort in unconventional family structures and relationships, partly because Berlin has always been a little out there. In this city you have a lot of single mothers, complex family units, different families merging together, a lot of people living independently while sharing the raising of children and a lot of fluid, fluctuating relationships both platonic and romantic.
Within this system, that I believe is a coping mechanism to the system we currently live under, we get the sense of closeness we desire from relationships, which is the reason we are willing to sacrifice so much, because we depend on that feeling of closeness and connection. My solution has always been to find ways to build a network of connections so they are flexible and can handle comings and goings, and yet ensures that the need for connections is met without leaving one vulnerable and dependent on only one partner. I do not see this as the end goal, but as a way for many women, who are unhappy in traditionally structured relationships, to find both freedom and the joy of closeness in the current society. And that might be our transition to a new way of relating, it might be that we build relationship networks rather than individual relationships.
Eva Illouz, an Israeli sociologist says that we created a conventional love which makes us expect everything from one person: financial security, friendship, sexual pleasure… this is quite recent. What you are saying, which is so true, is that you cannot expect someone to fulfill all your desires, it is not feasible.
I read several of her books, but I also read many interviews with her in Israeli newspapers, which often sound different than the ones she might give abroad, and what struck me about her, considering she lives a rather traditional life within an orthodox family structure, is that she is arguing from the conservative perspective that this is a problem of modernity. Her rejection of the ills of modernity leads to the inevitable privileging of traditional values. At least this is what I understood from the many interviews I read where she would talk about her personal life, and her views on orthodoxy. I would not describe her as ultra-conservative orthodox but she certainly describes her life as ascribing to various orthodox traditions the way they are lived in Israeli society because Israel is, even in its secular community, highly influenced by religious traditions and there is certainly a strong value placed in large families and family centered communities. My impressions from her interviews is that this is very important to her, that it is also something she wants for her children, but admittedly she does a really good job of keeping this out of her work. There is part of her that is ready to reform conservatism, but she is seeing modernity as a problem and not understanding that modernity is a transition, that is part of the pain of change, and that change includes loss, can be overwhelming, and we can make mistakes along the way and it is a process that can take a long time. While there are many parts of her theory that I enjoy, I reject the underlying idea that modernity itself has been the mistake. In a sense, what she finds valuable in the traditional family structure can be created independently of religion and religious traditions. We can chose to have communal and family structures that are drawn out from the best of traditions but are disconnected from class identity, and ideas surrounding religious and ethnic identities… this is the part about traditions that I reject and yet we can still take something good from it. I am very careful of sociological analysis of modern relationships because of their unwillingness to acknowledge that when you drastically change the world, the change will not be complete right away, and that does not mean we need to go back to the way things were.
James Baldwin said once about the obvious in love: “Unfortunately, we cannot invent our moorings, our lovers, nor our friends, any more than we can invent our parents. Life gives them to us and takes them from us. And the great difficulty is to say yes to life.” One would think that Baldwin’s evidence is about an attitude of openness to the opportunities that are open to us. But I understand it more like love is the fruit of work, sometimes long-term. It is the fruit of a work of communication between several beings. He also said that “Love does not begin or end as we believe. Love is a battle, love is a war, love grows.” It is kind of a paradox, first he tells you that love at first sight exists, but at the same time society tells you to fight for that love. What do you think about this paradox?
To be loving does not equal needing an object of love. You can be a loving person without having someone to direct that love towards. We are either loving or not. Either open to the idea of loving regardless of someone else’s views, background, identities and so on, or we were actively trying to be loved, but in that case, we perform lovingness, in search of being loved. Those are very different states of being. The first one is a state of being that says: I am complete, and I love. The other one is: I am incomplete, and I need love, I would do everything to get it, will make any sacrifice, I will hurt myself, everything for the sake of being filled with the love of the other. And it is a state of being that can never really be fixed. A person who is in it cannot be saved by love. There is no vessel of the self to hold the love. To be loved, one really has to have the sense that there is something within oneself worthy of love, so this desire to make every sacrifice for love is misdirected because only after we achieve the state of lovingness do we have any sense of having a vessel to receive any of this love. I know it sounds very abstract, but I find love in loving. I find that there is almost a sort of resonance in putting love out there: you receive a part of this love back. It becomes both self-love and active love. It is important to know that the love that you feel is not dependent on the person or the various people you may love in the moment. So that when they disappear, the love does not disappear. There is also this idea that even when you are absolutely alone, you are still in that state of loving. It sounds spiritual and probably it is inspired by where I come from, but I do believe that love is something that we can achieve on our own. In my personal life, whenever I want to experience love, I tend to give other people love but I do it in a way where I don’t feel like I need to sacrifice or abnegate myself. I do it in a way where I feel comfortable with the conditions and I tend to be able to focus on people who are equally capable of this. But obviously, I am 33, almost 34, and it was not like that 6 or 7 years ago. It is something that I learned overtime. But having the story that I have, that made me who I am, have made me very sensitive to realizations about when I might be sacrificing myself. When I left the community and ended up in relationships, I was very quick to realize that these early relationships were dependent on me abnegating myself so at some point I figured out a way to stop doing that. Part of what makes you free from that trap is a feeling of wholeness without the other. It is something that we talk a lot about in self-help culture and yet something very few people have. What the sociologist says, that we have various needs, and they can be met by various people, but I believe that while we do have many needs, we are equipped to fulfill most of them ourselves.
It does remind me of a movie, called Kadosh by Amos Gitaï. The main character has the same name that I have, which made me identify even more with her. It is the story of this Hasidic couple who cannot have kids. The woman goes to the doctor and they tell her that there is nothing wrong with her, and it is probably the husband who is infertile. But she is the one getting rejected for it by her community. And at the end of the movie she dies of love, alone. It reminded me of what you were saying, in a lot of community, not only the Jewish one, you are not complete until you meet someone. Even when you are living in a very modern society. I have one last question for you. As feminists we fight against systemic inequalities, so we fight against the system (not men, feminists do not hate men) in which men have the power and are not necessarily active about changing things. My question, quite a provocative one is: is it possible for a feminist to fall in love with a man?
I do not know, personally, because even though I have loved men and I love men as individuals I do not fall in love with them. I do not really like the phrase “falling in love” because falling implies powerlessness and I do not ever like to be powerless and I would not trust that kind of love. I love consciously and it is very possible for women to love men consciously because when we love we love an individual, we don’t love a gender, we don’t love an entire society, we just love a person who’s affected by the same system as we are, probably differently. But in the meeting of two individual minds there is a possibility to negotiate conditions in a very clear way that would not be possible on a social level. So technically, problems between a man and a woman can be solved but problems between men and women are not, yet. In a sense we can all be feminists, changing the world one man and one woman at a time, and maybe the sum of all the one-on-one interactions will eventually lead to the changing of the entire system. But you can have a problem with a system and be able to fix those problems with an individual, on an individual level.
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