La deuxième vague #MeToo peut enfin commencer, par Rebecca AmsellemMercredi 13 février 2019 Ces derniers jours ont été compliqués. Un mélange – pas du tout équilibré – entre l’horreur ressentie devant les détails des harcèlements qu’avaient subi nos consœurs et amies pendant des années et le frétillement que nous sommes en train de vivre quelque chose d’historique. Nous avons appris que des groupes d’hommes journalistes blancs s’étaient formés – sur Facebook pour la « Ligue du LOL », sur Slack pour la « Radio Bière Foot, sur un groupe de messagerie en ligne pour « Les darons » puis « Townhall » et au sein desquels ils se moquaient de collègues. Ça allait plus loin puisqu’ils y décidaient de harceler de manière coordonnée et organisée des femmes, des hommes, qui avaient moins de pouvoir qu’eux. Cette affaire s’ajoute à toutes les affaires de harcèlement dans les médias (Haziza, Monnier) qu’on a lu pendant la première vague #MeToo. Or, les médias ne sont pas un secteur neutre. C’est là qu’on légitime les politiques, les paroles des activistes. C’est là que se défont les pouvoirs et que se font les contre-pouvoirs. Or ces harcèlements et ces systèmes de cooptation montrent que les logiques patriarcales sont bien ancrées dans ce secteur. Après la publication d’un premier article de CheckNews sur le site internet de Libération, les protagonistes ont, au compte goutte, publié des excuses. Toutes ont révélé un sentiment certain d’impunité au moment des faits (pierre angulaire de la construction de la masculinité toxique, comme je l’écrivais dans la newsletter de la semaine dernière). Toutes sont des exemples éloquents des logiques de « Boys’ Club », sorte de lieu physique ou virtuel où seuls les hommes hétérosexuels sont admis et où les décisions sont prises. Ces clubs consacrent les attributs des masculinités toxiques et délégitiment ceux qui relèvent d’une féminité qui ne leur conviendrait pas. Ils font « que le masculin l’emporte sur le féminin, le blanc sur le racialisé, le riche sur le pauvre, l’hétérosexuel sur le queer, etc. » nous éclaire Martine Delvaux. Les « Boys’ Club » permettent de reproduire, de génération en génération, les logiques de domination des hommes blancs sur le reste de la société. Ces clubs ont été créé à Londres à la fin du XIXème siècle par des hommes riches, puissants, qui souhaitaient fuir le foyer domestique dominé par leur conjointe (Valérie Capdeville, « Clubbability » : A Revolution in London Sociability ?). On se souvient aisément du personnage fictif Philéas Fogg qui se rendait quotidiennement au Reform Club et où il fait le pari qu’il peut faire le tour du monde en 80 jours. Le Reform Club, immortalisé par Jules Verne, existait bel et bien. C’était un cercle politique où les députés britanniques débattaient des idées les plus progressistes. A croire qu’être féministe était conservateur puisqu’il a fallu attendre 1981 pour que l’admission des femmes y soit autorisée. Mais, me direz-vous, ces lieux qui n’acceptent plus les femmes où les décisions importantes sont prises n’existent plus. Ces affaires ne sont l’œuvre que de “mecs immatures” comme on l’a entendu. Oh wait. Saviez-vous qu’il existe un endroit à Paris où de grandes décisions économiques sont prises chaque jour et où il est légalement interdit aux femmes d’entrer ? Je ne parle pas des groupes formés sur des plateformes virtuelles ou dans des écoles mais de l’Automobile Club de France à Paris où il est toujours interdit, en 2019, aux femmes d’y être membre et d’y déjeuner. Ces clubs, tout comme La Ligue du LOL, Les Darons, les autres, permettent d’entretenir des rapports de domination via des techniques de harcèlement ciblé, de cooptation (ils s’embauchent les uns les autres et ont aujourd’hui des postes à hautes responsabilités). Et ce sont ces relations qui renforcent et perpétuent les logiques de domination. « Le pouvoir, ça n’existe pas disait Michel Foucault. Je veux dire ceci : l’idée qu’il y a, à un endroit donné, ou émanant d’un point donné, quelque chose qui est un pouvoir, me paraît reposer sur une analyse truquée, et qui, en tout cas, ne rend pas compte d’un nombre considérable de phénomènes. Le pouvoir, c’est en réalité des relations, un faisceau plus ou moins organisé, plus ou moins pyramidalisé, plus ou moins coordonné, de relations. » (Dits et écrits, 1954-1988). La bonne nouvelle, c’est qu’il n’existe pas de « pouvoir », sans l’existence de « contre-pouvoirs ». Si le système patriarcal tient – en partie – à l’existence d’une cooptation fondée sur l’existence d’une masculinité toxique, ce système peut s’ébranler grâce aux femmes. Et aujourd’hui, elles sont plus puissantes que jamais. Elles s’appellent Daria, Florence, Mélanie, Léa, Lucile et elles sont amorcées, grâce à leurs témoignages, grâce à leurs activismes, le démantèlement des groupes qui contribuaient à perpétuer la précarité des femmes journalistes dans les médias. A l’heure où j’écris, six journalistes ont été mis à pied, une procédure de licenciement a été engagée, deux médias ont arrêté leur collaboration avec les protagonistes. D’autres sont à venir. Ce contre-pouvoir est renforcé par une logique de solidarité entre les femmes, une sororité, qui a longtemps été refusée aux femmes. Ainsi, la newsletter « Women Who Do Stuff » a listé des femmes qui font des choses (comme son nom l’indique) incroyables. Des journalistes (femmes, inutile de le préciser) ont partagé des comptes de « queens » qui réalisent des enquêtes formidables. La sororité, pendant féminin de la fraternité, célèbre la solidarité entre les femmes. C’est la capacité de toutes les femmes à s’entraider et à reconnaître que chacune vit différemment sa condition de femme selon leur milieu social, leur religion, leur origine, son assignation… Car la sororité est l’antidote certaine aux solidarités toxiques.
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