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Un des meilleurs conseils pour savoir comment s’aimer soi est de se donner l’amour qu’on rêve recevoir de la part d’autrui.
bell hooks
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Du self-care à en devenir “selfish” ?
par Lila Paulou (vous pouvez me suivre sur Twitter)
Bonne année, les Petites Glo ! Nous vous souhaitons plein de bonheur pour 2025 : que tous vos vœux se réalisent, que vous soyez bien entouré·es, que vous preniez du temps pour aimer et créer. Et la santé, évidemment ! Physique, bien sûr, et mentale — comme c’est le sujet de cette newsletter, nous ne rappellerons jamais assez son importance. Mais pour commencer janvier du bon pied, nous insisterons sur le besoin de parler avec un·e professionnel·le si vous vous sentez concerné·e par ce que vous lisez ici ou ailleurs. En tête des conseils que vous pouvez souvent voir revenir : prendre soin de soi, le fameux “self-care”. Une idée fabuleuse, mais qui, comme toutes les bonnes choses, peut être utilisée à mauvais escient.
Je me décommande à la dernière minute de l’anniversaire de ma copine parce que je dois prendre soin de moi, j’arrête de parler à un ami parce qu’il se plaint beaucoup en ce moment… Carolina Bandinelli, professeure associée en médias à l’Université de Warwick, où elle étudie l’amour digital, nous dit regretter que le concept de limites soit parfois détourné en auto-justification. Également interviewée, la Dr Jessi Gold, psychiatre et directrice du bien-être de l’Université du Tennessee, insiste : “Le lexique de la santé mentale ne devrait pas être utilisé comme une arme contre les gens.”
Aussi longtemps que les contenus prônant la santé mentale ont existé sur les réseaux sociaux, des utilisateurices ont mis en garde contre le risque de basculer vers le “selfish care” : “selfish” voulant bien sûr dire “égoïste”. “Le psy de la personne la plus égoïste que tu connaisses lui dit que c’est OK d’être un peu égoïste parfois,” pouvait-on lire sur Twitter. Dans le même esprit que ce rappel sur TikTok : “Tous les gens que vous détestez ne sont pas narcissiques. Toutes les expériences désagréables ne sont pas des traumatismes. (…) Avoir des besoins et vouloir être aimé·e ne fait pas de vous quelqu’un de codépendant·e. Soyez clément·e envers vous-même et les autres, vous êtes humain·es.”
Carolina Bandinelli voit ces contenus comme un pharmakon, à la fois remède et poison. “Le terme ‘toxique’ peut aider à appréhender certaines situations,” notamment dans le cadre de dynamiques d’oppression genrée qui ont été normalisées pendant des siècles. “Mais à partir du moment où ‘toxique’ est utilisé comme une étiquette que l’on attribue aux gens et aux choses plutôt que comme un outil de réflexion, alors cela ne nous aide pas.”
Qui parmi nous n’a jamais un peu trop facilement taxé une relation de “toxique”, voire quelqu’un qu’on ne peut pas piffrer de “pervers narcissique” ? Qu’en est-il du fait de se faire passer en priorité et de fixer ses limites ?
Vous n’avez qu’une minute pour lire cette newsletter ? Zappez la lecture et prenez dix secondes pour admirer ces vagues qui s’échouent sur la plage à l’aube. Un nouveau commencement prometteur, comme ce début d’année !
Jessi Gold rappelle que l’utilisation incorrecte du vocabulaire lié à la santé mentale ne date pas d’hier, des termes comme “dépression” ou “bipolaire” ayant régulièrement été employés à tort et à travers. “Mais son utilisation grandissante est à situer dans le contexte des réseaux sociaux et leur normalisation de la santé mentale. Cela semble aussi s’être accentué pendant la pandémie, où nous exprimions plus ouvertement notre vulnérabilité, tout en étant constamment en ligne.” De son côté, si Carolina Bandinelli note que “les réseaux sociaux reproduisent nos normes culturelles,” elle y décèle cependant une omniprésence du “therapy speak”, comme le disent les anglophones.
D’après une étude menée par la plateforme de téléconsultations médicales PlushCare sur 500 vidéos TikTok sous le #mentalhealth en 2022, 83,7% de ces vidéos proposaient des conseils trompeurs. 31% d’entre elles propageaient même des informations inexactes. Enfin, seul·es 9% des créateurices de contenus analysé·es étaient accrédité·es d’une formation appropriée.
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Comme l’explique cet article de Health, les personnes qui utilisent à tort le jargon des psychologues ne le font pas forcément avec une mauvaise intention. Cela peut provenir d’un besoin d’appliquer ce qu’on a appris en thérapie. “Ces mots ne devraient pas être utilisés pour nous coller des étiquettes, mais servir de point de départ pour rechercher plus d’information et/ou consulter un·e professionnel·le,” conseille Jessi Gold. Quand nous nous reconnaissons nous-mêmes dans ces termes, Carolina Bandinelli nous encourage à les analyser, à questionner ce qu’ils veulent dire de nous plutôt que de les voir comme des diagnostics définitifs.
“Le risque est de pathologiser chaque sentiment, chaque état d’âme qui n’est pas parfait. Nous risquons de limiter notre existence. L’existence est aussi faite de douleur, d’angoisse, de peur. On ne peut pas la réduire à une pathologie.” Il en va de même pour les relations, poursuit-elle : “Le therapy speak traduit aussi la volonté d’éviter de souffrir. C’est une tentative de trouver les outils pour épurer les relations du danger d’être blessé·e,” en identifiant des “red flags” par exemple. Mais nous protéger à tout prix, imposer nos besoins doit-il obligatoirement se faire aux dépens de l’autre ? Bien sûr, il existe des situations où se choisir soi va forcément blesser l’autre personne, comme lors d’une rupture.
“Ce n’est pas une question d’égoïsme, c’est une question d’honnêteté,” tranche Carolina Bandinelli. Elle nous invite à être honnêtes envers nous-mêmes et les autres personnes, réduisant la barrière entre soi et elles et ainsi une distinction entre générosité et égoïsme qui n’a pas lieu d’être. “Nous sommes tous·tes très lié·es. En prenant soin de soi, on est en meilleure condition pour prendre soin des autres.” Pour sa part, Jessi Gold nous conseille de réfléchir à la capacité émotionnelle nécessaire avant de répondre positivement à la demande de quelqu’un, ainsi que les bons moments que nous pourrions manquer en disant non. “Il ne s’agit pas de dire oui ou non à tout, mais d’avoir de bonnes raisons de donner cette réponse, en pensant à soi.”
Le mental fitness des Petites Glo
Vous l’aurez compris en lisant cette newsletter, il n’y a pas de façon simple de prendre soi tout en étant là pour les autres autant qu’iels le souhaiteraient. C’est d’autant plus dur à l’adolescence, explique Jessi Gold, puisque apprendre à fixer ses limites ne s’improvise pas. “Les ados ne savent pas encore quelles sont leurs limites, ils n’en savent peut-être pas encore assez sur eux-mêmes, car l’adolescence est propice à notre développement social et émotionnel. Ils essaient aussi de se faire des amis et d’être appréciés, et peuvent par conséquent penser que dire non vous rendra impopulaire.”
La psychiatre en connaît un rayon sur le fait de ne pas savoir quand mettre ses limites : elle a écrit un mémoire sur l’impact émotionnel et physique de toujours prendre soin des autres en tant que soignante dans How Do You Feel? (Simon & Schuster, 2024). Voici ses conseils :
On regarde ces films qui ont mis en lumière la santé mentale cette année
2024 a été riche en sorties cinématographiques, et de nombreuses pépites ont évoqué avec brio le sujet de la santé mentale. Pour n’en citer que quelques-uns : Vampire humaniste cherche suicidaire consentant (sorti en 2023 au Québec, mais en 2024 en France), The Outrun (avec Saoirse Ronan) ou Sans jamais nous connaître (avec Paul Mescal et Andrew Garfield), ou Vice-Versa 2. Si vous êtes encore dans l’esprit des fêtes, on peut aussi penser à Winter Break (The Holdovers en anglais, sorti fin 2023). Et niveau séries, les intemporelles Normal People ou Sex Education.
On lit, sur papier ou sur écran, tant que ça nous fait du bien !
Après cette newsletter, vous serez peut-être inspiré·e de lire le dernier essai de la brillante Mona Chollet, Résister à la culpabilisation. Si vous êtes plutôt d’humeur à lire une BD drôle et poignante, vous adorerez Dans mon cerveau comme à la maison de cht.am. Tout son travail est aussi à retrouver sur son compte Instagram, où vous pouvez aussi suivre les contenus sur la santé mentale de Lauren Bastide (ainsi que ses très chouettes newsletter et podcast Folie Douce) et du média mūsae (qui propose aussi une super newsletter et des podcasts selon vos goûts !).
Pour ce qui est des livres, n’oubliez pas de les acheter dans votre librairie féministe de proximité préférée. Parmi celles que vous nous avez conseillées : la Librairie à soi·e à Lyon, Un livre et une tasse de thé ou Majo à Paris, Arborescence à Massy, Zeugma à Montreuil, Divergences à Quimperlé et L’Affranchie librairie à Lille, le Tracteur Savant à Saint-Antonin-Noble-Val et le café-librairie Luna à Grenoble. Merci pour ces suggestions, et n’hésitez pas à nous contacter si vous souhaitez en signaler d’autres ! 🙂
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