Chez Impact, nous sommes de grandes fans de The Persistent : une plateforme journalistique dirigée par des femmes, dont la newsletter bihebdomadaire examine la politique, l’économie, les affaires, l’art et la culture à travers le prisme du genre. Aujourd’hui, nous sommes ravies de vous partager un article important de The Persistent, qui explique pourquoi l’éducation sexuelle laisse souvent de côté les femmes et les filles en situation de handicap, et montre qu’une approche inclusive au consentement et à la sexualité nous sera bénéfique à tous·tes. Bonne lecture, et n’oubliez pas de vous abonner à The Persistent. Vous pouvez lire la newsletter en ligne ici – https://lesglorieuses.fr/education-sexuelle-inclusive/ Nous sommes en 2010, et dans une école pour filles du nord de Londres, une vingtaine de jeunes filles sont en train d’être éduquées à la question de la sexualité. On a donné à chaque élève un morceau de feuille sur lequel gribouiller une question, J’ai moi aussi reçu un papier et un stylo. Mais je ne peux pas l’utiliser. Je suis handicapée et, entre autres, je ne peux pas tenir un crayon, et encore moins écrire mes questions les plus intimes sur un bout de feuille. Je me déplace en fauteuil roulant et, à l’école, je fais tache. Pendant ce cours d’éducation sexuelle, personne ne pense à me donner un ordinateur portable comme celui que j’utilise pour mes autres cours. La femme qui m’aide à me déplacer et à participer en classe (très gentille, deux fois plus âgée que moi), me fait signe qu’elle pourrait être mon scribe. Je secoue la tête. Non seulement je n’ai pas envie de lui dire mes millions de questions, mais le silence qui règne dans la salle signifie que je les annoncerais à toute la classe. Elle hausse un sourcil comme pour me dire : “Je t’écoute…” “Je n’ai pas de question,” je lui réponds en marmonnant. Elle me prend au mot. Quinze ans se sont écoulés depuis ce cours, mais j’y repense souvent, que ce soit dans ma vie personnelle ou dans mon travail en tant que militante anti-validisme. La marginalisation sexuelle des femmes handicapées est un problème persistant qui revient sans cesse. Pour beaucoup d’entre nous, cela commence par un manque d’éducation pertinente, adaptée et accessible pendant l’adolescence. Il est vrai que bien trop souvent, les cours d’éducation sexuelle occultent les choses vraiment importantes et se concentrent sur ce qu’on sait déjà. (Oui, bien sûr qu’on sait comment sont faits les bébés, on a 14 ans, merci !) Mais l’éducation sexuelle à l’école permet d’avoir des conservations qui pourraient ne pas avoir lieu autrement, entre les jeunes et leurs parents, ou même avec leurs camarades. Cela nous donne aussi une partie du vocabulaire dont nous pourrions avoir besoin pour parler de sexualité à l’âge adulte. Ainsi, quand l’éducation sexuelle n’inclut pas les personnes handicapées, nous sommes privées non seulement de connaissances de base, mais aussi de la possibilité de demander des informations des années plus tard. Avec le recul, je me souviens de quelques discussions (certes brèves et terriblement gênantes) sur les différentes orientations sexuelles. Mais il n’a jamais été question de capacités ou de besoins différents. Beaucoup des femmes handicapées auxquelles je parle – aujourd’hui dans leur vingtaine, trentaine ou quarantaine – témoignent d’expériences similaires. Jennie Williams, la directrice de Enhance the UK, une association caritative spécialisée dans le handicap et la sexualité, m’a expliqué que si l’éducation sexuelle est désormais obligatoire dans les écoles britanniques pour les enfants en situation de handicap (alors qu’elle était historiquement presque totalement inexistante), le fait que ces leçons ne soient pas inclusives conduit certain·es adolescent·es handicapé·es, en particulier celles et ceux qui fréquentent des écoles classiques, à se décourager et à conclure que la sexualité n’est pas faite pour elleux. [Ndlr : En France, l’éducation à la Nous sommes en 2024. Je suis dans un bar avec des ami·es. Nous sommes à la fin de notre vingtaine, et je découvre tardivement les joies de la vie nocturne queer. Enhardie par la confiance acquise lorsque j’ai enfin fait mon coming-out, je bavarde avec une fille adorable et très jolie pendant que mes potes font la queue pour notre prochaine tournée de boissons. L’un·e d’entre elles et eux attire mon attention et me sourit, m’envoyant par télépathie quelques encouragements. Mais déjà, je sens la panique monter dans ma poitrine. Parce que je n’ai aucune idée de ce que je fais. J’ai passé la fin de mon adolescence et le début de ma vingtaine à essayer en vain d’avoir une vie affective, retenue par le validisme de notre société mais aussi, parfois, par mes propres craintes de ce à quoi ressembleraient la sexualité et les relations amoureuses pour un corps comme le mien. Les questions se bousculaient dans ma tête. Est-ce que quelqu’un m’aimerait un jour ? Comment étais-je censée flirter, alors que l’utilisation du langage corporel est exclue ? Est-ce que j’irais à un rendez-vous avec un·e aide-soignant·e remorqué·e à mon fauteuil ? À quoi pouvait bien ressembler un date accessible ? Et si j’avais un ou deux rendez-vous réussis, que se passerait-il ensuite ? Ma nouvelle copine saurait-elle comment me déshabiller ? Comment pourrais-je assurer ma sécurité, moi qui suis incapable de me déplacer une fois sortie de mon fauteuil roulant ? Au fond, qui est-ce que j’aimais bien de toute façon ? (C’est peut-être pour cette raison qu’il m’a fallu attendre l’âge de 28 ans pour me rendre compte que j’étais gay.) Aucune des séances d’éducation sexuelle que j’ai suivies à l’école n’a abordé ces questions, pas plus que mes recherches paniquées sur Google. Il était souvent plus simple de nier que j’avais la moindre envie de sortir avec quelqu’un plutôt que de chercher des réponses à ces questions. Mais cela voulait dire qu’en plus de demeurer résolument célibataire, je me sentais de plus en plus à l’écart, même avec mes ami·es les plus proches. J’avais l’impression d’être une éternelle préadolescente, piégée dans un monde qui refusait de me voir comme une personne ayant une sexualité, alors que mes ami·es s’aventuraient dans l’âge adulte. Mais l’isolement social découlant de la mauvaise éducation sexuelle dont j’ai fait l’expérience n’est que la partie émergée de l’iceberg pour de nombreuses femmes et jeunes filles handicapées. Un article universitaire datant de 2020 a révélé que l’éducation sexuelle non inclusive contribuait à des taux nettement plus élevés de grossesses non désirées et de maladies sexuellement transmissibles chez les femmes handicapées. L’étude a également établi un lien évident entre le manque de connaissances et les taux alarmants de violences sexuelles, que ce soit au domicile des femmes handicapées ou dans les établissements de soins. Certaines femmes handicapées endurent des expériences sexuelles physiquement douloureuses parce qu’elles ne savent pas que le sexe Jennie Williams m’a dit que l’absence d’une éducation sexuelle adéquate peut entraîner des problèmes complexes en matière de consentement. “On ne peut consentir que si l’on sait à quoi l’on consent”, explique-t-elle, mais il peut y avoir des difficultés lorsqu’un·e adulte semble (et a évidemment le droit) de consentir à quelque chose qu’elle ou il ne comprend pas parce qu’elle ou il n’a eu pas accès à ces informations. Cette situation peut exposer les personnes à des abus, mais peut aussi, à l’inverse, conduire les soignant·es à refuser à leurs client·es la possibilité d’explorer leur sexualité parce qu’elles et ils ne considèrent pas que leur consentement est fondé. Une grande partie du travail de Williams consiste à faciliter les conversations entre personnes handicapées et soignant·es afin de permettre une exploration en toute sécurité. À plusieurs reprises pendant notre conversation, Williams a insisté sur le fait que, bien que nous ayons désespéramment besoin d’une éducation sexuelle inclusive et accessible dans les écoles, il faut faire davantage pour dispenser ce type d’éducation sexuelle tout au long de la vie, par le personnel médical et les soignant·es, mais aussi par les groupes de défense des droits et les médias. “Le corps des gens, en particulier celui des femmes, change avec l’âge,” explique-t-elle, “et tout le monde peut devenir handicapé à tout moment, c’est pourquoi nous avons besoin d’une éducation continue.” En d’autres termes, rendre quelque chose accessible et inclusif pour les femmes handicapées profitera presque toujours aux femmes valides. Non seulement parce qu’elles pourraient devenir handicapées plus tard, mais parce que nous sommes toutes confrontées à des idées préconçues et à des problèmes semblables. Handicapées ou non, nous vivons toutes différemment notre corps, notre sexualité et le sexe lui-même. Nous sommes toutes soumises à des normes sexistes et validistes qui influencent tout, de notre perception de nous-mêmes à la manière dont nous sortons avec des gens puis nouons des relations. Une éducation sexuelle qui mettrait l’accent sur la normalité et la valeur des corps handicapés, voire qui reconnaîtrait leur sexualité, profiterait à toutes les personnes dont le corps ne correspond pas à l’idéal commun. Et, en réalité, n’est pas notre cas à toutes et tous? Le programme « Handicap et alors ? » du Planning Familial vise à faire reconnaître et à promouvoir la vie relationnelle, affective et sexuelle des personnes en situation de handicap et à changer le regard social sur leur sexualité. Pour en savoir plus, cliquez ici. Lucy Webster est une journaliste, autrice et militante anti-validisme. Son travail se concentre sur la démystification du handicap et le démantèlement du validisme. Son premier livre, The View From Down Here (en anglais), est un mémoire sur ce à quoi ressemble le quotidien vécu à l’intersection du validisme et du sexisme. Cet article est originellement paru dans The Persistent À propos de nousImpact est une newsletter hebdomadaire dédiée aux droits des femmes et des minorités de genre dans le monde entier. Vous aimez la newsletter ? Pensez à faire un don. Votre soutien nous permettra de financer cette newsletter et de lancer des nouveaux projets.
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