Cette newsletter vous a été transférée ? Et vous aimez tellement que vous souhaitez vous inscrire ? C’est ici ! Mercredi 19 octobre 2022 La culpabilité, les boîtes de conserve, et la banalité du quotidien : Cette semaine, nous poursuivons notre enquête. A quoi ressemblera le « beau » dans une société féministe et inclusive ? Si le sujet vous intéresse aussi, voici quelques newsletters qui en parlent : « Il faut casser la figure du génie », une conversation avec Isabelle Alfonsi, l’histoire du premier immeuble qui résista à un tremblement de terre… et de la femme qui l’a construit : Julia Morgan, ou Si la conversation vous plaît, vous pouvez toujours gagner le livre de Elaine Castillo en répondant à cet email. Il n’y a toujours pas de message particulier à mettre mais si vous voulez en profitez pour me suggérer une personne incroyablement intelligente (et drôle aussi pourquoi pas) que je pourrais interviewer sur la question du beau dans une société féministe, je ne suis pas contre 🙂 Elaine Castillo est notre invitée de la semaine. Elaine Castillo est une Rebecca Amsellem – Dans votre livre, vous présentez certaines choses comme universelles, alors que généralement, ce sont des sentiments qui sont réservés à certaines catégories de personnes, comme des personnes blanches ou hétérosexuelles ou riches. Je parle d’émotions ou de sentiments très basiques. Elaine Castillo – Je suis l’héritière d’une lignée d’écrivain·e·s, non seulement philippin·e·s mais également d’écrivain.e.s de couleur, qui rejette cette idée qu’on devrait traiter les faits basiques comme des fétiches. C’est ce qui arrive pourtant dans la littérature blanche. Rebecca Amsellem – Dans une interview que vous avez donnée au journal britannique The Guardian, vous affirmez qu’être une femme, Elaine Castillo – Dans la tradition conservatrice du discours littéraire, oui, il y a des présomptions qu’on doit être « juste » un.e écrivain.e, « juste » un.e artiste. Qu’on ne doit pas être politiquement influencés. Cela signifie qu’on doit faire comme si nous avions le privilège d’être dans un corps considéré comme universel, à savoir un homme, cis, blanc, hétérosexuel. Les gens qui n’ont pas ce privilège savent que la politique n’est pas un choix mais c’est quelque chose qui est inscrit sur nos corps, sur nos livres, nos vies. Finalement, les gens qui pensent qu’ils n’écrivent pas de manière politique, c’est souvent eux qui écrivent de manière politique. Rebecca Amsellem – Ne pas considérer certains écrits ou certaines pensées comme politiques et les présenter comme universelles ou neutres fait partie du champ lexical utilisé par la droite conservatrice. Il s’agit en effet d’un outil pour maintenir en place la hiérarchie des classes ou la hiérarchie des races dans notre société. Elaine Castillo – J’ai commencé par écrire le premier chapitre, et il y avait toute une période où je pensais que j’allais écrire le roman avec la perspective de Roni, de la petite fille. Car, biographiquement parlant, nous partageons le plus de choses : nous avons toutes les deux grandi à Milpitas, nous avons toutes les deux de l’eczéma, nous étions toutes les deux féroces en tant qu’enfant, etc. J’ai écrit à peu près 200 pages de la perspective de Ronie, mais chaque mot me semblait mort. C’est une preuve que ce n’est pas si facile d’écrire de la perspective d’un personnage qui a une biographie à peu près similaire. J’ai donc choisi d’écrire avec la perspective du personnage de Hero, cette femme qui était en exil et qui avait fait partie de la New People’s Army, l’armée populiste guerrière aux Philippines. Le personnage est basé sur l’existence d’une de mes cousines, que je n’ai jamais rencontrée même si elle était dans une position hiérarchique bien plus importante. J’ai introduit son personnage comme la cousine de Ronie alors que je n’avais pas forcément l’envie d’écrire le roman avec la perspective d’un personnage qui était une petite fille riche. Le résultat était finalement libérateur. Ne pas être à l’aise avec l’idée de cette perspective, ne pas me sentir confortable, a libéré mon écriture. Sans doute parce que je ne voulais pas forcément la protéger. Rebecca Amsellem – Un thème récurrent dans votre livre est la culpabilité et sa conséquence : l’obligation d’en faire encore plus – Hero envers Paz. L’obligation envers nos parents et notre famille semble être un sentiment courant lorsque vous venez d’une famille qui n’est pas entièrement née dans le pays où vous avez été élevé. Cette culpabilité et cette obligation de faire des choses ou d’avoir un devoir de loyauté extrême envers sa famille ou ses parents, étaient-ce des choses que vous avez ressenties personnellement et que vous avez décidé d’infuser à vos personnages ? Elaine Castillo – La culpabilité est une grande source de conflit entre moi et moi-même et c’est quelque chose que je réalise généralement quand j’ai un peu bu (rire). J’ai passé une grande partie de ma vie à refuser la culpabilité. Il y a deux mois, j’ai réalisé que la culpabilité était ce conflit entre ma loyauté et mon désir de rejeter certains aspects de nos familles, de nos communautés qui peuvent être oppressifs. Rebecca Amsellem – La nourriture, sous toutes ses formes, est omniprésente dans votre roman. Des scènes se passent dans un restaurant, qui appartient aux grands-parents d’un des personnages, le père de la jeune fille qui a de l’eczéma pense que la nourriture en est la cause (parce qu’elle n’a pas été nourrie au lait maternel). Il y a également Rosalyn, qui a des troubles alimentaires et on comprend en filigrane qu’un autre personnage fait semblant de manger. Ce rapport à la nourriture semble très imbriqué avec l’histoire des différents personnages et le fait qu’on demande constamment aux personnages de choisir un endroit ou une culture, et donc de rejeter l’autre partie. Elaine Castillo – Je ne me suis pas rendu compte à quel point la nourriture était aussi présente dans le roman avant qu’on me le fasse remarquer. Chez nous, « ça va ? » peut se traduire par « est-ce que t’as bien mangé ? », donc la présence de la nourriture était évidente. La nourriture fait partie de la construction des personnages, oui. Je voulais parler de la nourriture en conserve car cela fait partie de l’histoire coloniale et américaine aux Philippines et la présence de ces conserves fait partie de l’histoire coloniale. Moi, je mange des sardines trois fois par semaine par exemple. Manger fait partie des faits de la vie. Et moi ce qui m’intéresse, c’est la banalité, les choses de tous les jours. Ce ne sont pas les plus beaux ou les plus sophistiqués, mais les plats de tous les jours. Il y avait aussi une envie de regarder cet aspect de certaines cultures, de penser que la nourriture, c’est l’amour : ça peut aussi être toxique. Le désir de nourrir, de remplir un trou qui ne sera jamais rempli… ce sont des gestes que je vois dans ma famille. Personnellement, je ne peux pas avoir un frigo vide. Ça m’agace. Je n’ai jamais vécu le genre de pauvreté que ma mère a vécu mais nous sommes les héritières de ces gestes, de ces tendances, de l’expérience des personnes de nos vies. Avoir une relation plutôt normale avec la nourriture, c’est une réussite. Rebecca Amsellem – Avez-vous vu le film The Life of Words, d’une réalisatrice espagnole Isabel Coixet ? C’est un film sur l’histoire d’une femme infirmière, qui se rend sur une plate-forme pétrolière pour soigner un homme blessé. Et on comprend que l’infirmière a survécu à la guerre des Balkans. Je retrouve dans votre roman le rapport au fait de remplir qui existe aussi dans ce film. Se remplir soi-même avec de la nourriture, remplir les autres, remplir sa vie de choses à faire, de travail ou autre… tout ça en somme pour se sentir vivant.e. Cette idée-là ne s’estompe jamais ou alors de manière très éphémère quand on est rassasié. Elaine Castillo – Oui, c’est une façon de s’évader aussi. Rebecca Amsellem Ma dernière question est celle que je pose à toutes les personnes que je rencontre, elle parle d’utopie féministe. Si nous vivions dans cette société féministe inclusive dont nous aspirons et que cela se produit, et quel est le détail que vous voyez qui vous fait réaliser que nous avons atteint notre but ? Elaine Castillo – Je pense à un sentiment, celui de vivre sans peur. Si je pouvais passer toute une vie comme ça, ce serait incroyable. Ce que je recommande cette semaineEnvie de recevoir les dernières news sur les politiques publiques et les femmes dans le monde PRESQUE en temps réel, vous pouvez désormais vous abonner à l’Instagram de la newsletter IMPACT et son compte Twitter. En parlant d’IMPACT, avez-vous lu l’interview de cette semaine ? Vous y ferez la connaissance de Lara Dimitrijevic, l’avocate qui poursuit Malte en justice. Oui, oui le pays. La raison ? L’avortement y est interdit. En Europe, donc. Toujours l’Académie des Futurs Leaders est un programme de formation immersif pour des personnalités engagées sur des causes de justice environnementale et sociale, désireuses d’incarner une nouvelle génération politique : inspirante, empathique et guidée par des valeurs progressistes. Vous connaissez quelqu’un qui aurait toute sa place dans le programme ? Vous pouvez la nommer ici jusqu’au 23 octobre. Cette semaine, on relancé la newsletter Les Petites Glo. L’avez-vous vu lue ? Qu’en avez-vous pensé ? Avez-vous des sujets que vous souhaiteriez voir traités. RDV ici pour la lire et envoyez un mail à [email protected] pour envoyer vos suggestions. Les ouvrages de la collection dirigée par Claire Marin aux Editions Gallimard ET ceux écrits par la philosophe aux Editions de l’Observatoire peuvent toujours être gagnés sur l’Instagram des Glorieuses. A l’occasion de la journée internationale de la ménopause, Agustina Ordoqui – journaliste qui travaille entre autres pour la newsletter IMPACT a réuni plusieurs initiatives qui encouragent à lever le tabou des règles. C’est à retrouver sur Linkedin ici ou sur Instagram là. J’ai découvert cette semaine la série Catastrophe sur Canal + de et avec Sharon Horgan et Rob Delaney. C’est drôle, c’est mignon, c’est chou, c’est romantique. C’est l’équivalent d’un dragibus en version série. |
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