Cette newsletter vous a été transférée ? Et vous aimez tellement que vous souhaitez vous inscrire ? C’est ici ! Mercredi 5 juillet 2023 Les Bâtisseuses, l’horizon et Eva Nielsen – Rencontre Elle est une digne héritière de la peintre Geneviève Asse. Non pas parce que leurs peintures se ressemblent, elles ne se ressemblent pas. Même si la thématique de l’horizon est présente chez les deux, les deux femmes ont eu l’audace de s’attaquer à un sujet a priori interdit aux femmes artistes : l’extérieur, l’espace public, le paysage. L’horizon a cette faculté de nous rappeler le moment de tous les possibles. Je parlais avec Eva Nielsen de ce sentiment de fierté d’être une femme, sentiment irradiant lorsqu’on est une fille qui disparaît quand on grandit, souvent : c’est ce qui m’attire dans l’horizon, ces possibles. Eva Nielsen est née en 1983, elle a étudié aux Beaux-Arts de Paris et à Central Saint Martins. Son travail a été exposé dans nombre d’institutions comme le Mac/Val, France et de galeries comme Dominique Fiat, Paris ; The Pill, Istanbul. En 2023, elle est lauréate avec la commissaire d’exposition Marianne Derrien du prix BMW Art Makers. Dans ce cadre, elles exposent aux Rencontres d’Arles Insolare. // Concours // Cette rencontre a été réalisée dans le cadre du festival de photo Les Rencontres d’Arles. À cette occasion, nous faisons gagner 5 forfaits toutes expositions dans la newsletter et 5 sur nos réseaux sociaux. Pour participer, il suffit de répondre à cette newsletter. L’artiste Eva Nielsen dans son atelier à Paris, le jour de l’interview, le vendredi 23 juin dernier. Rebecca Amsellem – De quelle manière votre rapport à la création s’est-il construit ? Est-ce un rapport apaisé aujourd’hui ? Eva Nielsen – Je me rappelle qu’enfant, je me disais que j’étais ravie d’être une femme, d’être une fille. Je le prenais comme une force secrète. Je suis assez émue parce que ma fille, qui a 7 ans, m’a dit l’autre jour « Je suis tellement contente d’être une fille », je me suis dit « Elle a le petit moteur aussi ». Le fait que les femmes aient des corps empêchés m’énerve, me contrarie. Et en même temps, il y a cette joie secrète, profonde. C’est cette joie qui nous permet de faire face à toutes ces adversités. Une de mes amies libanaises me disait : « Quand on est libanaise, on nous dit souvent qu’on est courageux, mais on est courageux parce qu’on n’a pas le choix. » Je ressens la même chose par rapport au fait d’être une femme. On est courageuse parce qu’on n’a pas le choix. Rebecca Amsellem – Y a-t-il un moment dans votre vie où vous n’avez pas pu créer ? Eva Nielsen – J’ai eu très peur pendant ma première grossesse, je me suis dit « Je vais être empêchée ». J’ai passé mon temps à lire des biographies de femmes artistes pour savoir si elles avaient eu des enfants, comment elles avaient géré. Puis j’ai découvert que Barbara Hepworth avait eu des triplés. Ça m’a donné beaucoup de courage : je me suis dit alors que tout était possible. Eva Nielsen. Insolare I, acrylique sur papier et photographie numérique sur calque, 2023. Avec l’aimable autorisation de l’artiste / BMW ART MAKERS pour Les Rencontres d’Arles Rebecca Amsellem – À propos de l’artiste Anna-Eva Bergman, vous avez dit dans Le Quotidien de l’art : « Encore aujourd’hui, une femme est cantonnée aux sujets un peu intimistes. Anna-Eva Bergman s’est emparée de sujets traditionnellement pas du tout féminins comme le paysage, l’horizon. Les femmes en étaient exclues. Pour les saisir il fallait déjà un certain courage. Aller dans le paysage n’est pas une évidence. Et ça n’est pas anodin quand on est une femme. » Est-ce pour cela que vous avez choisi le thème du paysage ? Eva Nielsen – J’avais envie que mon acte de peindre soit lié à la déambulation du corps. Ce qui m’intéresse, c’est comment, en tant que femme, en tant qu’artiste, je vais pouvoir transférer ma vision dans mes peintures. J’ai commencé par m’intéresser au rapport au plein, au vide, aux contre-formes, à ce qui se passe dans le regard et plus précisément à ce qui se passe dans le regard quand on déambule, quand on va voir une percée, quand on va voir… Les petites percées sont d’ailleurs des formes que je trouve très liées au fait d’être femme. Par exemple, j’ai appris que certaines œuvres de Georgia O’Keeffe que je pensais être des paysages, des vignes étaient en fait des bassins, des pelvis. Elle le choisit très consciemment. Georgia O’Keeffe, comme Anna-Eva Bergman, fait partie de mes figures tutélaires. Elles font partie de ces femmes, quand j’ai des doutes et quand je ne sais plus, je regarde une de leurs œuvres et je sais. Rebecca Amsellem – C’était quand la dernière fois ? Eva Nielsen – Il y a trois jours. C’est toutes les semaines, c’est tout le temps. Le doute est omniprésent dans le parcours d’une femme artiste. Je regarde leurs œuvres et il n’y a plus de doute. C’est une évidence. Il faut que les peintures soient dans le monde. Rebecca Amsellem – Vos bâtisseuses sont mes Glorieuses. Eva Nielsen – J’adore. Rebecca Amsellem – Votre peinture porte beaucoup sur l’horizon, l’absence d’horizon, les repères et l’absence de repères – pourquoi est-ce un thème important pour vous ? Eva Nielsen – Complètement. Je suis partie d’un constat visuel venu de discussions avec des femmes artistes et critiques : la perception des espaces passe par notre corps, par nos yeux. Ça a commencé dans le RER que je prends quotidiennement : je me suis intéressée à tout ce qui se dresse entre ma perception et l’horizon. C’étaient des jeux d’enfants, puis des strates, des filtres. C’est ainsi que Rebecca Amsellem – J’ai peur un jour de ne plus pouvoir créer, de n’avoir plus aucune idée. Eva Nielsen – Je pense que toutes les femmes ont cette peur, de la même manière qu’on a nos petits moteurs, d’où la phrase très pragmatique de ma mère. Je suis vraiment reconnaissante qu’elle m’ait dit ça, ça m’a beaucoup rassurée. Rebecca Amsellem – Vous êtes danoise, je ne peux pas m’empêcher de parler Karen Blixen que j’adore. Elle a écrit par exemple cette phrase sublime, « Tous les chagrins sont supportables si on en fait une histoire ». Est-ce que tous les chagrins sont supportables si on en fait une œuvre ? Eva Nielsen – J’adore Karen Blixen. La peinture est-elle une consolation ? Je ne sais pas. J’ai l’impression qu’il y a dans tous les cas un élan vital dans le fait de la faire. Rebecca Amsellem – Pour continuer sur Bergman, elle a dit, « Je peins ma conception du monde. J’ai la curieuse impression que lorsque j’écris quelque chose, c’est en quelque sorte sous la dictée, ce qui fait que j’écris souvent des choses que je ne comprends pas, souvent avant longtemps, des mois, des années. Les phrases toutes faites me viennent ainsi et ne me lâchent pas avant d’avoir été écrites – et déchiffrées. Il en est de même, à un plus haut degré, en peinture. Ce que je peins actuellement dépasse de loin mon entendement. C’est comme si ce n’était pas moi qui peignais, je n’ai qu’à obéir. C’est difficile à définir » (Anna-Eva Bergman, Pistes / Stier, 22 septembre 1949). Est-ce ainsi que vous pourriez décrire votre rapport à la peinture ? Eva Nielsen – Complètement. C’est drôle, j’ai récemment dit à une amie qu’il existe des moments où je regarde mes peintures et je ne sais pas comment j’ai fait pour les faire. Ce n’est pas du tout prétentieux en mode « Comment j’ai fait cette peinture ? » C’est vraiment un détachement du corps qui fait qu’il y a eu la nécessité de les faire émerger. Rebecca Amsellem – Ma dernière question, je la pose à tout le monde : à quoi ressemblerait une utopie féministe ? Je demande aux personnes que j’interviewe soit un détail, soit un élément qui permettrait de comprendre qu’on vit dans cette société. À quoi ressemblerait la beauté dans une société féministe ? qui a une vision très masculine, très occidentale, très blanche de ce qui est considéré comme beau. Je pense que demain, ce sera complètement différent. Eva Nielsen – Il faudrait que ce soit différent, c’est une nécessité absolue. Cela pourrait être un chamboulement de la perception. J’ai cette image de carnaval quand on change les rôles : il faudrait que le monde change de point de vue. Est-ce que ce sont nos corps de femmes qui vont pouvoir imposer ce changement de perception ? Pour moi, il va naître comme ça ce changement. Je pense évidemment aux œuvres d’Anna-Eva Bergman ou Georgia O’Keeffe, elles permettent un déploiement permanent des possibles. « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question »Simone de Beauvoir Information de notre partenaire Nickel Le 13 juillet 1965, une loi a permis aux femmes d’ouvrir un compte bancaire toute seule, sans l’autorisation de leur mari. Et ce n’est que depuis la loi Rixain du 24 décembre 2021 qui vise à lutter contre les violences économiques que les salaires et prestations sociales doivent être virés sur un compte bancaire dont la femme est titulaire ou co-titulaire. L’histoire de l’émancipation financière des femmes en France n’est pas vieille. En 1804, les femmes sont considérées comme « incapables majeures » par le code napoléonien – « le mari doit protection à sa femme, la femme obéissance à son mari ». Depuis, la lutte pour l’émancipation financière est une lutte sans relâche. Rappelons-nous les mots de Simone de Beauvoir, « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question ». 1881 La loi autorise les femmes à ouvrir un livret d’épargne avec l’accord de leurs maris (faut pas déconner). 1885 Banco, il est désormais possible d’y effectuer des versements et retraits sans l’aval de leur mari. Elles peuvent aussi s’affilier à une caisse de retraite. 1895 Elles peuvent désormais disposer de l’argent qu’elles ont sur le livret d’épargne comme elles l’entendent. 1907 Les femmes peuvent disposer librement de leur salaire (mais est en réalité assez peu appliqué car les banquiers ne veulent pas se mettre les maris à dos). 1938 Youhou les femmes mariées sont désormais considérées comme « majeure » 1965 Une femme a la possibilité d’ouvrir un compte bancaire sans l’autorisation de son mari. Elle peut également gérer ses biens personnels, signer un chèque et travailler sans l’autorisation de son mari. Deux ans plus tard, les femmes pourront entrer à la Bourse de Paris. Etre indépendante financièrement, c’est préserver sa liberté et son autonomie. Sources pour réaliser ce texte : The Ladies Bank et Les Echos.
|
Inscrivez-vous à la newsletter gratuite Les Glorieuses pour accéder au reste de la page
(Si vous êtes déjà inscrit·e, entrez simplement le mail avec lequel vous recevez la newsletter pour faire apparaître la page)
Nous nous engageons à ne jamais vendre vos données.