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On peut vivre dans le monde tel qu’il est, mais cela n’empêche pas de tout faire pour créer le monde tel qu’il devrait être.
Michelle Obama
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“On ne peut pas dire aux jeunes qu’il n’y a pas d’espoir »
par Lila Paulou (vous pouvez me suivre sur Twitter)
Difficile de ne pas baisser les bras en ce moment. Certes, les actualités n’ont jamais été réjouissantes. Mais entre les guerres, les catastrophes naturelles liées au dérèglement climatique, ou la montée de l’extrême-droite dans de nombreux pays, tout semble s’accélérer. Des événements comme la réélection de Donald Trump à la présidence des États-Unis au début du mois laissent présager un basculement encore plus violent à l’avenir, tant l’on redoute l’impact de son idéologie raciste, sexiste, LGBTophobe et climato-sceptique sur la marche du monde. Mais, comme le rappelle l’autrice et activiste américaine Rebecca Solnit : “Vos adversaires adoreraient que vous croyiez que c’est sans espoir, que vous n’avez aucun pouvoir, qu’il n’y a aucune raison d’agir, que vous ne pouvez pas gagner.”
Cette citation introduit la préface ajoutée en 2015 à la troisième édition de son livre Hope in the Dark (Haymarket Books, 2004), hymne à l’espoir militant. “C’est une période extraordinaire, pleine de mouvements de transformation indispensables qu’on n’aurait pas pu prévoir. C’est aussi une période cauchemardesque. Pour s’engager pleinement, il faut être capable de percevoir les deux. (…) Avoir de l’espoir ne signifie pas nier ces réalités. Cela signifie les affronter et les considérer en se rappelant ce que le XXIe siècle a apporté d’autre, y compris les mouvements, les héros et les prises de conscience qui abordent ces questions aujourd’hui.”
Pour autant, les nouvelles sur l’état du monde nous impactent tous·tes : selon l’Association américaine de psychologie (APA), une surexposition aux actualités négatives est liée à des sentiments accrus d’anxiété, de colère ou de dépression. Chez les adolescent·es, cela se traduit à court terme par des peurs et de l’insécurité, comme l’explique la psychologue et formatrice canadienne Nathalie Parent aux Petites Glo. “À long terme, il y a un risque d’anxiété (et d’éco-anxiété), de découragement, de déprime et pessimisme face à la vie et l’avenir, surtout si l’ambiance familiale ‘baigne’ dans ces sentiments,” poursuit-elle.
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Prenons l’exemple de l’éco-anxiété – qui, comme le rappelle The Conversation, n’est pas une maladie mais “une réponse normale et adaptée” face à la crise climatique. En 2021, 59% des 10 000 jeunes de 16 à 25 ans interrogés pour une étude de The Lancet se disaient “extrêmement inquiétés” par le dérèglement climatique. Se sentant elle-même concernée, la psychologue et psychothérapeute Claire Wallez a créé en 2020 un site d’information pour les personnes atteintes d’éco-anxiété. “Le climat est souvent un amplificateur de peurs que la personne a déjà,” nous dit-elle. “Par exemple, la crainte de ne pouvoir compter sur personne pour faire face à l’adversité.”
Certains sentiments sont très communs, notamment l’impuissance et la culpabilité. “Il y a des personnes qui ont l’impression de ne jamais en faire assez, et qui ont vraiment peur que leurs enfants leur renvoient ça à la figure quand ils seront plus grands.” Claire Wallez suggère de redéfinir ce en quoi on a de l’espoir – garder le niveau de vie permis par la surconsommation en Occident étant devenu aussi viable que de s’accrocher à une branche pourrie. “C’est pour ça qu’il est intéressant de chercher des récits alternatifs qui font envie, de façon à pouvoir plus facilement quitter cette vieille branche.” De son côté, Rebecca Solnit voit l’espoir comme une acceptation de l’inconnu : “Espérer est dangereux, et pourtant c’est le contraire de la peur, car vivre c’est prendre des risques.”
Nathalie Parent rappelle que le stress “nous permet de fuir ou d’attaquer en cas de danger. Donc ‘attaquer’ le problème, c’est contribuer à faire quelque chose.” Parmi ces possibilités : faire du bénévolat ou occuper un travail pour contribuer à un monde meilleur. “Cela peut aussi être de petits gestes altruistes ou environnementaux au quotidien qui font la différence.” Claire Wallez propose elle aussi une liste d’actions individuelles et collectives, mais nous met en garde : se jeter corps et âme dans l’action risque de “brûler les ailes” de celleux qui trouvent qu’iels n’en font jamais assez. “Il faut aussi travailler sur ses valeurs : qu’est-ce qui est important ? Qui ai-je envie d’être à la fin de ma vie, ou dans 10 ans ? Cela peut aider à relativiser.”
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Enfin, pour celles et ceux qui se sentent trop démoralisé·es pour faire quoi que ce soit (et on vous comprend), sachez que la grande Toni Morrison est passée par là. Dans un article pour The Nation datant de 2015, l’autrice afro-américaine se remémore son désespoir suite à la réélection du président républicain George W. Bush fin 2004. Alors qu’elle confie à un ami artiste qu’elle n’arrive même plus à écrire, celui-ci s’écrie : “Non ! C’est précisément dans ces moments que les artistes doivent travailler – pas quand tout va bien, mais dans les temps difficiles. C’est notre travail !” Elle renchérit : “Je sais que le monde est meurtri et qu’il saigne, et s’il est important de ne pas ignorer sa douleur, il est également essentiel de refuser de succomber à sa malveillance.«
Ce mois-ci, une enquête réalisée par l’IFOP pour la plateforme de coaching IAMSTRONG a alerté sur la hausse inquiétante des épisodes dépressifs et des idées suicidaires chez les jeunes de 18-24 ans, et plus particulièrement chez les filles. Néanmoins, l’étude souligne que si 57 % des adolescent·es de 14-15 ans se disent ‘écœuré·es” par ce qu’iels voient autour d’elleux (contre 70 % en 1973), “seuls” 23 % ont envie de baisser les bras (37 % en 1973). Il est ainsi du devoir des adultes de donner un coup de pouce aux plus jeunes. En 1987, au crépuscule d’une longue vie de combats, l’écrivain et activiste afro-américain James Baldwin se faisait interviewer : “Le monde vous désespère-t-il toujours ?” Souriant, il répond : “Je n’ai jamais été désespéré par le monde. Il m’a mis en rage. Je ne pense pas être désespéré. Je ne peux pas me le permettre. Je ne peux pas dire ça à mon neveu et ma nièce. On ne peut pas dire aux enfants qu’il n’y a pas d’espoir.”
Le mental fitness des Petites Glo
Même dans des périodes moins sombres que celle-ci, les actualités peuvent vite devenir anxiogènes. La psychologue Claire Wallez recommande ainsi de réguler sa consommation d’actualités : “Il y a des périodes où on est capable de se confronter à des choses, et d’autres où il faut savoir prendre de la distance.” Pour certain·es, cela n’a rien d’évident : “Ce sont des personnes qui sont déjà très informées. Souvent, on fait une boulimie d’informations anxiogènes au début de sa prise de conscience. Mais après, à part nous convaincre que tout va très mal, on apprend peu de choses… » Ainsi, voici les conseils de l’Association Américaine de Psychologie pour vous éviter d’être trop stressé·es par les actualités.
On lit les récits d’activistes inspirant·es
Si on a plusieurs fois cité le génial Hope in the Dark de Rebecca Solnit (2004) dans cette newsletter, les écrits d’activistes sont multiples et inspirants. Récemment, on a vu paraître Résister de Salomé Saqué (2024), qui adresse la montée de l’extrême-droite, et Vivre avec l’éco-lucidité de Maxime Ollivier et Tanguy Descamps.
Pour les acheter, nous ne pouvons que vous recommander de passer par votre librairie indépendante (et féministe !) préférée, plutôt que par un grand groupe comme Amazon qui ne fait que contribuer aux systèmes contre lesquels nous luttons. Parmi celles-ci, vous nous avez conseillé : la Librairie à soi·e à Lyon, Un livre et une tasse de thé ou Majo à Paris, Arborescence à Massy, Zeugma à Montreuil, Divergences à Quimperlé et L’Affranchie librairie à Lille, le Tracteur Savant à Saint-Antonin-Noble-Val et le café-librairie Luna à Grenoble. Merci pour ces suggestions, et n’hésitez pas à nous contacter si vous souhaitez en signaler d’autres ! 🙂
On regarde : Moxie, film d’Amy Poehler (2021)
En s’insurgeant contre le sexisme ambiant de son lycée par le biais de Moxie, une publication féministe inspirée par sa mère (la fabuleuse Amy Poehler), la jeune Vivian lance une révolution féministe parmi ses camarades. S’inspirer du travail accompli par les activistes qui nous ont précédé·es, agir dans sa communauté… Dans la même veine que les enseignements de Rebecca Solnit, Moxie vous inspirera peut-être à initier les changements que vous souhaitez voir autour de vous !
On écoute : “Comment surmonter l’actualité anxiogène ?”, épisode du podcast Grand bien vous fasse de France Inter (2023)
Plusieurs personnalités se sont réunies dans cet excellent épisode de Grand bien vous fasse pour nous concocter une liste de recommandations littéraires, histoire de s’aérer la tête. Parmi les invités : Flavia Mazelin, Christilla Pellé-Douël, Laurence Devillairs, Thibaut de Saint-Maurice, Marie Laure Zonszain, et Christophe André. Il y a des suggestions de tous les genres et pour tous les goûts !
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