26 septembre 2022 “Marielle nous a montré que c’était possible” : l’assassinat d’une femme politique brésilienne pousse une vague de candidat·e·s noir·e·s et queer à se présenter aux électionspar Mariana Fagundes Vous n’avez qu’une minute pour lire cette newsletter ? En voici le contenu en très – très – bref :
“Je ne serai pas interrompue!” criait la femme politique brésilienne Marielle Franco en mars 2018 lors d’un conseil municipal. L’homme qui faisait l’objet de son irritation demandait un retour de la dictature militaire au Brésil. Franco, une conseillère municipale noire, bisexuelle et élevée dans les favelas, représentait tout ce que l’ancienne dictature avait essayé de supprimer pendant des années. “Je ne tolère pas d’interruption des conseillers de cette chambre et je ne la supporterai pas de la part d’un citoyen qui vient ici et qui ne sait pas écouter la position d’une femme élue,“ Franco a continué, faisant face au public comme pour envoyer un message au pays tout entier. Moins d’une semaine plus tard, elle était retrouvée morte. Dans la nuit du 14 mars, des hommes armés criblaient la militante de quatre balles dans la tête dans sa voiture et tuaient aussi son chauffeur, Anderson Gomes. Elle sortait d’une réunion sur le rôle des femmes afro-brésiliennes dans le pays. L’enquête sur son assassinat est toujours en cours et aucune condamnation n’a été prononcée. Si sa mort brutale était destinée à mettre un terme à son militantisme, son message, lui, n’a pas été interrompu. La mémoire de Marielle Franco est devenue un symbole des luttes politiques pour l’inclusion des femmes, des Noir·e·s et des personnes queer au Brésil. Et a inspiré des centaines de femmes issues des minorités à se présenter comme candidates aux premières élections municipales depuis sa mort. A quelques semaines d’une élection présidentielle qui promet un duel sous haute tension entre le président sortant d’extrême droite Jair Bolsonaro et l’ancien président de gauche Lula da Silva, sa présence dans le paysage politique a laissé une marque indélébile. Collage par Mythili Sampathkumar “La voix de Marielle reste dans nos oreilles, nous poussant à aller de l’avant, comme si elle nous disait ‘n’abandonnez pas la lutte’. Et nous ne l’abandonnons pas,” a déclaré Dani Monteiro, l’ancienne assistante de Franco qui est aujourd’hui élue régionale dans l’Etat de Rio de Janeiro pour le Parti Socialisme et Liberté “Il n’y a pas d’autres Marielles. Ce qu’il y a, c’est une pléthore de femmes noires, des favelas et LGBTQIA+, prêtes à se battre pour une réalité que nous n’avons pas eue jusqu’à présent. Marielle nous a montré que c’était possible,” confiait Monteiro dans une interview avec IMPACT. Aux prochaines élections, qui inclueront des scrutins pour la présidence, le Congrès, ainsi que les parlements et gouverneur·e·s régionaux, un record de 33 % des candidat·e·s sont des femmes et 49 % sont noir·e·s. Il est plus difficile d’analyser la participation LGBTQIA+ en raison de lacunes importantes dans les données. Mais l’ONG VoteLGBT+ a recensé 304 candidat·e·s queers autoproclamé·e·s aux élections de 2022 – un chiffre qui, selon l’association, est également un record pour le pays. Il y a également eu 36 demandes pour se présenter sous un “nom d’usage”, une pratique généralement utilisée au Brésil par les candidat·e·s trans ou non-binaires. Dani Sanchez, est candidate pour devenir députée fédérale pour le parti PSOL, sous le slogan “les favelas votent pour les favelas”. Pour Sanchez, Franco représentait le pouvoir des femmes noires, pauvres et des favelas, et soulignait leur capacité à surmonter une histoire commune d’assujettissement due au racisme structurel, au machisme et à la LGBTphobie. “Je m’inspire de Marielle pour comprendre comment ma voix peut aller plus loin et toucher plus de cœurs : les femmes noires font bouger la communauté, maintenant, nous voulons faire bouger le Parlement,” a-t-elle déclaré à la newsletter Impact. En 2020, l’Institut Marielle Franco, créé par la famille de la conseillère après son décès, a lancé le Programme Marielle Franco : un ensemble d’engagements antiracistes, féministes et LGBTQIA+ inspirés des convictions politiques de la militante. Lors des élections municipales de 2020, plus de 700 candidat·e·s de 300 municipalités du Brésil se sont engagé·e·s dans le projet. Parmi ceux-ci, 81 ont été élu·e·s conseiller·e·s, maires et maires-adjoints dans leurs communes. Mais les prochaines élections nationales pourraient être plus difficiles pour les partisan·e·s du programme. Les données recueillies par l’institut montrent que si les femmes noires constituent le groupe démographique le plus important au Brésil, comprenant plus de 25 % de la population, elles représentent actuellement moins de 2 % des sièges au Congrès national. La politologue Letícia Medeiros a fondé l’ONG Elas no Poder (Elles sont au Pouvoir), qui milite pour accroître la participation des femmes en politique. Elle dit que, par rapport aux élections municipales où les maires, les adjoints au maire et les conseillers municipaux comme Franco sont choisis, les élections générales pour les député·e·s, les sénateur·rice·s, les gouverneur·e·s et le ou la président·e sont plus coûteuses et plus difficiles à gagner pour les candidat·e·s marginalisé·e·s. Le fait que les candidat·e·s sont tenu·e·s de faire campagne dans différentes villes lors d’une élection fédérale présente des obstacles financiers importants, dit Medeiros. A cela s’ajoute la menace grandissante de l’extrême droite. La présidence de Bolsonaro a vu une augmentation des discours de haine et le spectre de la violence politique. “Depuis un certain temps, les disputes autour des candidatures présidentielles ont rendu le débat politique violent, ce qui affecte principalement les femmes qui sont dans la rue pour défendre leurs drapeaux et leurs causes,” explique Medeiros. Image fournie par Dani Monteiro Mais celles et ceux qui suivent la piste tracée par Franco se disent prêt·e·s à relever le défi. “Marielle nous a montré que c’était possible. » Monteiro a déclaré à la newsletter Impact. « Je sais que c’est possible.” Au-delà des couloirs du pouvoir, la présence de Marielle Franco se fait toujours sentir au sein de la communauté qu’elle représentait. En juillet de cette année, le jour où elle aurait eu 43 ans, une statue en son honneur a été dévoilée à Rio de Janeiro, sur la même place où elle se rendait tous les vendredis pour rendre compte de sa performance en tant que conseillère à ses électeur·rice·s. “C’est un message à ceux qui pensent pouvoir effacer et interrompre la mémoire de Marielle. Non seulement nous ne laisserons pas oublier sa trajectoire et ses combats, mais nous continuerons à multiplier les initiatives en son honneur”, déclare la journaliste Anielle Franco, directrice exécutive de l’Institut Marielle Franco et sœur de Franco. Et la conseillère assassinée est honorée bien au-delà du Brésil, avec des rues, des plaques et des jardins portant son nom dans plus de 150 endroits différents à travers le monde, y compris à Paris, où jardin Marielle Franco a été inauguré. Interrogée sur ce que l’héritage de sa sœur devrait signifier pour les électrices au Brésil et dans le monde, Anielle Franco répond : “N’oubliez jamais que nous pouvons occuper tous les espaces de la société que nous voulons. Prenez soin les unes des autres. Essayez de prendre connaissance et de diffuser les histoires des femmes non-blanches qui vivent une autre expérience d’être une femme.” “Ils ont essayé de nous enterrer, ils ne savaient pas que nous étions des graines” : ce proverbe est devenu un symbole de la mémoire de Marielle Franco et un cri de ralliement pour les candidat·e·s qui suivent ses pas, surnommé·e·s les “graines de Marielle.” En septembre, quelques jours avant les élections, le printemps commencera dans l’hémisphère sud. Au Brésil, les urnes électroniques pourraient être un terrain fertile pour que ces graines germent et que la diversité s’épanouisse. — Mariana Fagundes est une journaliste brésilienne et doctorante à l’Université de Brasilia et à l’Université de Rennes 1. Elle fait des recherches sur le média et l’activisme féministe. Cet édition d’Impact a été préparé par Megan Clement et Anna Pujol-Mazzini. Impact est produite par Gloria Media et financée par New Venture Fund Abonnez-vous à nos newsletters : |
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