Je ne suis pas née féministe, je le suis devenue. Et j’ai appris qu’être féministe, c’est également savoir dire « je » même quand on veut dire « on ».
Je me souviens de la première newsletter écrite pour Les Glorieuses, j’y ai parlé de sororité, d’engagement, d’estime de soi, c’était en octobre 2015. Je ne la retranscrirais pas ici, elle était assez mauvaise. Pauvres quarante premières inscrites à la newsletter (je dois avouer ici que la moitié des adresses emails appartenait à ma mère, merci maman).
En deux ans et demi, je n’ai cessé de me demander ce qu’ « être féministe » signifiait. J’ai commencé par un classique « c’est vouloir l’égalité entre les hommes et les femmes » (oui, « hommes » était prononcé avant « femmes »), en passant par « c’est vouloir l’égalité entre toutes les femmes ». Tous les deux mois, je trouvais la précédente obsolète. Encore aujourd’hui, je n’ai pas la définition absolue. Mais une chose est restée assez semblable dans mon engagement : je sais qu’être féministe ce n’est être parfaite dans son féminisme. C’est croire en un idéal atteignable, en une utopie réaliste, et s’accommoder des tâtonnements qui accompagnent cette quête.
Lorsque j’écris les newsletters, je n’utilise jamais le « je ». Pour mille raisons. La principale est que ce projet est l’œuvre de nombre de femmes et d’hommes, pas d’une seule personne. Ainsi, le « on » se réfère aux Glorieuses. Et les Glorieuses, ce n’est pas moi, c’est vous. Les Glorieuses, ce sont aussi toutes les femmes de mon imaginaire. C’est Maya Angelou, c’est Simone Veil, c’est Nora Ephron, c’est Anaïs Nin, c’est Nina Simone, c’est Hannah, c’est Mila, c’est Eva, c’est Christelle, c’est Lauren, c’est Fanny, c’est ma mère. Parce que derrière chacune d’entre nous, il y a une armée de femmes qui nous soutient et nous encourage. Les Glorieuses, ce sont toutes celles qui sont mères et celles qui ne le sont pas. Toutes celles qui ont choisi de s’engager pour les autres et toutes celles qui s’engagent simplement à vivre. Les Glorieuses, ce sont les femmes, toutes les femmes. Si nous sommes une communauté de 120,000 personnes aujourd’hui, c’est parce que nous sommes un « nous » et pas un « je ».
Pour la première fois, j’ai néanmoins décidé d’utiliser le « je ». Pourquoi ? Car le « je » est politique, le « je » est engagement et en cela il est salutaire. Longtemps, les femmes ont été invisibilisées car elles ont été amenées à penser que le « on » était plus « juste » que le « je », que le « je » était trop égoïste, que cela les mettaient trop en avant. Je ne vous parle pas d’un temps si lointain que cela, je vous parle d’il y a quelques dizaines d’années.
J’ai utilisé le « je » dans un livre, « Les Glorieuses, chroniques d’une féministe ». Il parait le 12 avril, demain. J’y ai écrit une vingtaine de chroniques inédites qui mêlent plus ou moins judicieusement expériences personnelles et réflexions féministes. Ces chroniques ont-elles un lien entre elles? Pas vraiment. Si ce n’est que les expériences sont arrivées à une même femme, moi. Peuvent-elles se lire dans le désordre? Peut-être, je n’ai pas essayé.
Je commence ce livre par un épigraphe, une citation de Marguerite Yourcenar tiré de son discours de réception à l’Académie française (22 janvier 1981). « Vous m’avez accueillie, disais-je. Ce moi incertain et flottant, cette entité dont j’ai contesté moi-même l’existence, et que je ne sens vraiment délimité que par les quelques ouvrages qu’il m’est arrivé d’écrire, le voici, tel qu’il est, entouré, accompagné d’une troupe invisible de femmes qui auraient dû, peut-être, recevoir beaucoup plus tôt cet honneur, au point que je suis tentée de m’effacer pour laisser passer leurs ombres. » Utiliser « Je » pour une femme est politique. Il incarne la légitimité d’être soi, de reconnaître l’existence du « moi incertain et flottant » évoqué par Yourcenar.
La démarche de ce livre est la même que celle de ma newsletter Les Glorieuses: déculpabiliser les femmes. De la même manière que Les Glorieuses m’a déculpabilisée de ne pas être une femme parfaite ou une féministe parfaite. Je suis devenue féministe grâce, en partie, à ces expériences et grâce à celles que j’appelle les Glorieuses.
Merci les Glorieuses, ce livre est pour vous.
Crédits photo : Francesca Montavoni ; Les Glorieuses