Cette newsletter vous a été transférée ? Et vous aimez tellement que vous souhaitez vous inscrire ? C’est ici ! 23 janvier 2023 “Je suis une survivante” : les rescapées de l’État islamique racontent leurs traumatismes en peinture Par Megan Clement Vous n’avez qu’une minute pour lire cette newsletter ? En voici le contenu en très – très – bref :
Lisez la suite pour en savoir plus. Et si vous voulez rester à jour sur les mobilisations féministes dans le monde, suivez-nous sur Twitter et Instagram. Speak English ? La newsletter est aussi disponible en anglais : Voici un chiffre que je partage avec mes étudiant·e·s en journalisme chaque année : lorsque 26 femmes yézidies exilées dans les camps du Kurdistan irakien ont été sondées, 85% d’entre elles ont rapporté avoir fait face à des pratiques problématiques de la part des journalistes qui les interviewaient. Quand les militants de l’Etat islamique ont pris le contrôle d’une partie de l’Irak en 2014, la minorité ethnique et religieuse yézidie était dans leur viseur. Pendant des mois, le groupuscule armé a mis en place une campagne d’extermination, massacrant les hommes et les garçons et réduisant les femmes et les fillettes à l’esclavage sexuel. Aujourd’hui, on estime que plus de 2 700 femmes et enfants yézidis sont toujours portés disparus, dont certains seraient encore entre les mains de ses ravisseurs. Plus de 200 000 personnes vivent toujours dans la précarité des camps de déplacés. Les terres ancestrales de la communauté yézidie sont jonchées de fosses communes, rendant le retour traumatisant et le deuil difficile. À ce jour, seuls deux membres de l’Etat Islamique ont été condamnés pour génocide. J’enseigne ce chiffre, 85%, parce que ce chiffre me hante. Il représente toutes les erreurs que les journalistes commettent en couvrant les violences sexuelles. Il montre le fossé entre l’idéal de notre profession et la réalité. Il montre que, bien souvent, le désir de relayer l’information passe au-dessus de la nécessité de protéger certaines des personnes les plus vulnérables qu’un·e journaliste peut rencontrer au long de sa carrière. J’enseigne ce chiffre en espérant que la prochaine génération de journalistes n’entrera pas dans un camp de réfugié·e·s, dans un espace réservé aux survivant·e·s de violences sexuelles, en criant “y a-t-il des personnes ici qui ont été violé·e·s?”, comme on rapporte qu’un·e collègue l’a fait au Bangladesh. C’est ce chiffre qui m’est venu en tête quand j’ai entendu parler de l’Archive Culturelle Yézidie : une série d’expositions digitales hébergées par la plateforme Arts et Culture de Google et qui présente les oeuvres de 16 femmes qui ont survécu à l’occupation de l’Etat islamique. Si les premiers témoignages à nous arriver du district de Sinjar par le biais des journalistes n’ont pas toujours été obtenus de manière éthique, ce projet, lui, présentait une opportunité d’entendre directement les voix des survivantes à travers la peinture, la photographie ou la vidéo. Image fournie par Yazda: Global Yazidi Organization. Le projet est une collaboration entre plusieurs ONGs, dont l’association yézidie Yazda, ainsi que les Nations Unies. Une évaluation est en cours par le programme Arts & Santé à l’Université de New York pour déterminer l’impact potentiel sur la santé des participantes. Le projet remplit une autre fonction cruciale : celle de préservation d’un héritage culturel. Le nettoyage ethnique ne se réduit pas seulement au meurtre ou à la mise en esclavage d’une population. Les génocidaires cherchent aussi à détruire les pratiques culturelles qui lient une communauté et à détruire leur héritage commun. L’archive sert donc de preuve que l’Etat islamique a échoué à anéantir la culture yézidie. Trois survivant·e·s ont partagé avec la newsletter Impact leurs expériences de reconstruction par l’art, par le biais d’une agence qui travaille sur l’archive. Amsha Ali Ravo. Image fournie par Yazidi Cultural Archive. ”En tant que survivantes, il est généralement impossible de décrire ce qui nous est arrivé et ce que nous avons traversé, donc l’art et le dessin étaient mes moyens d’expression”, a déclaré Amsha Ali Ravo, 22 ans, du village de Kocho à Sinjar. Kocho a été le site de l’un des pires massacres de l’État islamique ; 16 fosses communes ont été découvertes dans le village. Amsha Ali Ravo vit maintenant dans la ville de Zakho, dans le Kurdistan irakien. Sa peinture montre une colombe blanche que deux mains levées laissent s’envoler. D’après elle, cela représente le sentiment d’être libérée de l’État islamique. ”Dessiner m’a aidée à m’exprimer”, a-t-elle déclaré à la newsletter Impact. Pour Feryal Saeed Talal, 21 ans, l’art ”m’a appris à être forte, à vivre de nouvelles expériences et à savoir comment envisager l’avenir”. Sa peinture représente une femme habillée en rouge, ses mains dans les airs. Elle aussi y a représenté son évasion de l’État islamique. Dans son témoignage aux archives, elle dit avoir été ”torturée d’une manière qui ne peut être justifiée” et ”forcée à me retirer dans mon imagination” par ses ravisseurs. ”J’ai participé aux ateliers de dessin pour montrer au monde ce que les survivant·e·s ont vécu lorsqu’elles ont été capturées par l’Etat islamique et ce qui s’est passé ensuite”, a-t-elle affirmé. Feryal Saeed Talal. Image fournie par Yazidi Cultural Archive. Ibtihaj Ameen Barakat, 18 ans, a confié à Impact : ”Je suis une survivante yézidie. Daech [ndlr : État islamique] a voulu exterminer ma religion, mais je ne laisserai pas cela se produire. Je veux que mon art, nos traditions et nos coutumes servent à la protéger… Le dessin m’a aidée à exprimer la liberté et la paix que j’ai trouvées dans notre religion yézidie après la défaite de Daech, en particulier pour les droits des femmes.” Ceci n’est pas une tentative de substituer l’art-thérapie ou la création d’archives culturelles au journalisme de terrain dans la couverture médiatique des crimes de masse. Le sondage des femmes yézidies déplacées apportait d’ailleurs une lueur d’espoir : malgré la difficulté de mettre des mots sur leurs expériences auprès de journalistes et les pratiques problématiques qu’elles ont rencontré, 75% des femmes interviewées estimaient que raconter leurs expériences à des reporters avait valu la peine. J’ai le plus grand respect pour mes collègues qui se mettent en danger pour rendre compte de guerres et d’autres crises humanitaires. Mais j’espère que collectivement, en tant que profession, nous améliorerons notre façon d’approcher les survivant·e·s afin qu’elles puissent raconter leurs histoires en toute sécurité, et que nous réfléchirons à de nouvelles manières de raconter leurs vécus, par le biais de l’art par exemple. Les rescapé·e·s d’événements traumatisants sont souvent tiraillé·e·s entre deux impératifs : le désir d’empêcher que ce qu’elles ont vécu n’arrive à d’autres, et la souffrance que chaque prise de parole, afin de raconter les événements les plus douloureux de leur vie, leur engendre. Nadia Murad, une rescapée yézidie qui a reçu le Prix Nobel de la Paix en 2018 pour son travail de lutte contre les violences sexuelles en temps de guerre, connaît bien ce déchirement. “Raconter son histoire ne devient jamais facile,” elle écrivait dans son mémoire, Pour que je sois la dernière. “Chaque fois que l’on la raconte, on la revit.” Nadia Murad a raconté son parcours aux Nations Unies, au Parlement européen et au Comité Nobel. Et elle livre quelques conseils à celles et ceux qui veulent rendre compte de l’expérience yézidie. ”Lorsque vous demandez à une yézidie de répéter son triste témoignage, vous devez prendre en compte le coût émotionnel que cela exige”, a-t-elle imploré dans une tribune pour le New York Times. ”Et quand vous racontez ce qui nous est arrivé, s’il vous plaît, n’utilisez pas cette expression dégradante – ‘esclaves sexuelles’ – pour nous désigner. Nous sommes des survivantes.” Première fois par ici ? Impact est une newsletter hebdomadaire de journalisme féministe, dédié aux droits des femmes et des minorités de genre dans le monde entier. Chaque mois, nous publions un bulletin d’actualité sur les droits des femmes et des personnes LGBTQIA+, un entretien, un reportage et un essai de notre rédactrice en chef. Ceci est la version française de la newsletter ; vous pouvez lire la version anglaise ici. Megan Clement est la rédactrice-en-chef de la newsletter Impact. Anna Pujol-Mazzini est la traductrice. Agustina Ordoqui prépare le bulletin mensuel et rédige les posts d’actualité sur les réseaux sociaux. La newsletter est financée par New Venture Fund et produite par Gloria Media, basée à Paris. Gloria Media est dirigée par sa fondatrice, Rebecca Amsellem. Gloria Media remercie ses partenaires pour leur soutien. Pour sponsoriser une newsletter, vous pouvez envoyer un mail ici. Le sponsoring n’a aucune influence sur le contenu de la newsletter. Abonnez-vous à nos autres newsletters : Les Glorieuses / Économie / Les Petites Glo |