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On écrit pour sentir la vie deux fois : sur le moment et de manière rétrospective.
Anaïs Nin
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Écrire pour soi et pour elles
par Lila Paulou (vous pouvez me suivre sur Twitter)
Très contente de vous retrouver, les Petites Glo ! J’espère que ce début d’année vous a apporté plein de bonnes choses et qu’il continuera d’en être ainsi. J’espère aussi que vous n’avez pas trop subi les injonctions à devenir une meilleure personne que l’année dernière en adoptant de nouveaux rituels en 2024 : on vous souhaite juste de vous sentir bien ! Toutefois, s’il y a bien une pratique que j’aimerais vous recommander à titre personnel, c’est de tenir un journal intime.
Vous en avez peut-être tenu un quand vous étiez enfant – c’était mon cas. Je m’y suis remise à la fin de mon adolescence, et je n’ai jamais vraiment
arrêté depuis. Si tenir un journal intime ne vaudra jamais une thérapie, il existe un certain réconfort à coucher ses pensées sur le papier, surtout celles qu’on ne sait pas trop à qui d’autre confier, ou à se relire pour constater comme les choses ont évolué.
Pour reprendre les mots de l’écrivain américain James Baldwin : “On pense que notre douleur et notre chagrin sont sans précédent dans l’histoire du monde, mais ensuite on lit. Ce sont les livres qui m’ont appris que les choses qui me tourmentent au plus haut degré sont justement celles qui me lient à tous les êtres vivants, à tous les êtres qui ont vécu.”
Vous n’avez qu’une minute pour lire cette newsletter ? Zappez la lecture et prenez dix secondes pour vous imaginer en train d’écrire dans l’herbe par un beau soleil, les cheveux au vent (à ne SURTOUT pas reproduire par ce temps).
L’une des grandes figures du journal intime est Anaïs Nin, autrice franco-américaine et cubaine. Elle documenta extensivement son quotidien et ses pensées de son adolescence à la fin de sa vie, y mêlant parfois réalité et fiction. Adepte de la psychanalyse, elle explore ses émotions tout en abordant nombre de sujets alors tabous tels que ses relations extra-conjugales ou l’inceste qu’elle subit par son père. « Le journal est mon kif, mon haschish, ma pipe d’opium,” écrit-elle dans son Journal de 1931-1934 (Livre de Poche, 1996). “Au lieu d’écrire un roman je m’allonge avec un stylo et ce cahier, et je rêve, je me laisse aller aux reflets brisés, je quitte la réalité pour les images et les rêves qu’elle projette.”
“Les mots que l’on écrit ne sont pas du tout les mots que l’on prononce : l’écriture a ce pouvoir de surprendre celle ou celui qui écrit,” nous explique Emmanuelle Jay, psychanalyste et spécialiste de l’écriture thérapeutique. “Avec l’écriture, il y a une dimension qui permet de s’explorer. On prend le temps, on fait des pauses. Dans la parole, au contraire, le flux est continu, les mots sont volatiles.” Le journal intime va encore plus loin dans l’analyse de soi : “D’une certaine manière, c’est une aide à penser : une possibilité d’explorer ses ressentis, de prendre du recul sur ce qu’on a vécu – parfois même de se consoler.”
L’autrice britannique Virginia Woolf garda un journal axé sur sa vie et son écriture pendant 27 ans. Dans une entrée datée du 18 mars 1925, elle se félicite de cette prise de recul : « Je ne peux constater qu’après coup que le passé est beau parce qu’on ne se rend jamais compte de ses émotions sur le moment. Elles se développent plus tard, et donc nous ne ressentons pas d’émotions complètes à propos du présent, mais seulement à propos du passé. » (Journal d’un écrivain, 10/18, 1999)
“Si vous craignez que quelqu’un lise votre journal, il vous sera difficile de vous exprimer librement,” signale d’ailleurs Lori L. Cangilla, psychologue et membre de l’International Association for Journal Writing. Une fois l’émotion extériorisée, autant la laisser là où elle est : “Vous n’avez pas besoin de vous relire. Si vous utilisez votre journal pour évacuer vos émotions, vous n’aurez peut-être pas envie d’y retourner et de vous exposer à tous ces sentiments forts une fois qu’ils ne seront plus en vous.”
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Ces confrontations avec son soi passé peuvent bien sûr aussi être positives. “Écrire dans un journal intime permet de laisser une trace de soi qu’on va pouvoir relire et retrouver, qu’on s’écrit peut-être à soi-même pour plus tard,” souligne Emmanuelle Jay. Ainsi, le 19 août 1952, l’autrice et poétesse américaine Sylvia Plath se donne “une tape dans le dos” pour ses prouesses sociales et littéraires : “Dis donc, petite, tu en as fait d’énormes progrès. Tu n’es peut-être pas Elizabeth Taylor, ni une mini Hemingway, mais la vache, tu as grandi. Tu n’es plus la fille laide et introvertie d’il y a cinq ans.” (The Unabridged Journals of Sylvia Plath, Anchor Books, 2000)
Ces journaux nous font donc entrer dans l’intimité des autrices, leurs joies et leurs peines se lisant comme des confidences. Cette proximité rend d’autant plus tragiques pour nous lecteurices les suicides de Virginia Woolf et Sylvia Plath, en 1941 et 1963. “La lecture de ces journaux intimes honore les voix de personnes qui, si souvent, n’ont pas été entendues (ou pas appréciées) de leur vivant. Je considère que c’est un privilège d’être témoin de leurs histoires,” témoigne Lori L. Cangilla.
Avant nous, ces autrices se sont inspirées mutuellement. Dans l’article “Diamonds of the dustheap »: A quoi servent les journaux des femmes ?”, Valérie Baisnée raconte comment Sylvia Plath s’est sentie consolée de lire que, comme elle, Virginia Woolf peinait à concilier son rôle d’épouse avec l’écriture. “Les journaux ne sont pas ce qui permet de ‘sauver’ le moi de la femme qui l’écrit, mais ils inspireront d’autres femmes à écrire. (…) En effet, les journaux ne sont pas seulement un dialogue de soi à soi. Chez les écrivaines, c’est aussi un dialogue avec les autres.” À vos plumes, les Petites Glo !
Le mental fitness des Petites Glo
Emmanuelle Jay voit l’écriture comme un sport : “Plus on écrit, mieux on écrit (…) Écrire tous les jours, c’est extrême, mais faire preuve de régularité est intéressant pour pouvoir faire grandir ses capacités à écrire.” Avant chacun de ses ateliers et au début de son livre Ateliers d’écriture créative (Pyramyd, 2022), elle propose une série d’échauffements avant de se lancer dans de longs textes. L’exercice suivant s’inspire des Notes de chevet de Sei Shônagon.
On lit : Lou ! « Tome 1 : Journal infime », bande dessinée de Julien Neel (2004)
Les dix tomes de la BD Lou ! suivent le personnage éponyme, âgée de 12 ans au début de l’histoire. Comme l’indique le titre, les journaux intimes prennent une place importante dans la vie de la jeune fille — mais aussi de sa mère, tout aussi créative ! On s’attache très vite aux personnages de cette BD très sympathique.
On regarde : Journal d’une ado hors norme (“My Mad Fat Diary”), série de Tom Bidwell avec Sharon Rooney et Jodie Comer (2015)
Cette série britannique est adaptée du roman du même nom de Rae Earl. La brillante protagoniste Rae raconte sous forme d’un journal intime son quotidien suite à un séjour en hôpital psychiatrique. Elle nous montre avec honnêteté ses problèmes de santé mentale, d’image corporelle, et de relation avec sa mère et son entourage. C’est une série hilarante et touchante mais attention, des thèmes difficiles comme le suicide et l’auto-mutilation y sont abordés.
On consulte : Les comptes d’inspiration sur TikTok
Cette newsletter vous a donné envie de commencer un journal intime ? Plusieurs comptes TikTok se dédient avec brio au “journaling”. Il n’est pas ici question de se comparer (tout le monde a commencé avec un carnet pas très jojo) mais de s’inspirer de ces jolis agencements. Parmi ces comptes, je pourrais suggérer @livebrave2 qui livre une série d’épisodes “tenez votre journal avec moi”, @epistolaine qui raconte son quotidien sous forme d’illustrations, et @hexgirlnick.
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