26 juillet 2022 Kazakhstan : un nouveau mouvement féministe prêt à changer le pays par Aigerim Toleukhanova Note de la rédaction : Ceci est la dernière édition d’Impact avant que la newsletter prenne une courte pause estivale. Nous serons de retour dans vos boîtes mail le 5 septembre avec les dernières actualités, idées et analyses sur les féminismes et les politiques publiques dans le monde. Au Kazakhstan, on se souviendra de 2022 en tant qu’une année de révolte et de répression brutale. Les manifestations de masse de janvier ont donné lieu à la période la plus sanglante depuis que le pays est devenu le dernier à déclarer son indépendance de l’Union Soviétique en 1991. Elles ont également donné un nouvel élan au mouvement féministe clandestin dans sa lutte pour améliorer la vie des femmes au sein d’une nation où toute critique du statu quo est réprimée. Les manifestations ont été initialement déclenchées par une forte augmentation des prix du gaz liquéfié. Mais cette protestation s’est transformée en un mouvement de masse exigeant la fin de l’implication de l’ancien président Nursultan Nazarbayev dans la politique kazakhe. En quelques jours, la situation est devenue violente et chaotique. Le gouvernement a coupé l’Internet et des forces de maintien de la paix dirigées par la Russie sont entrées dans le pays pour « stabiliser » la situation. Dans la répression qui a suivi, plus de 220 personnes sont mortes en moins d’une semaine. Des féministes et des militantes kazakhes figuraient parmi elles. Un groupe de mères réclamant de meilleures Les troubles du mois de janvier étaient la dernière étape de la transition du pouvoir qui a commencé en 2019 lorsque Nazarbayev a démissionné après près de 30 ans au pouvoir et a été remplacé par Kassym-Jomart Tokayev. Six mois plus tard, de nombreuses questions restent sans réponse quant à ce qui s’est passé précisément. Les autorités ont fourni peu de détails et de nombreux activistes affirment que justice n’a pas été rendue aux personnes tuées et blessées lors de la répression. Le combat continue, même si les conséquences d’être politiquement active ou actif dans ce pays autoritaire peuvent conduire directement en prison. La chercheuse et activiste pour les droits humains Khalida Azhigulova affirme que l’activisme féministe s’est développé « Je peux juger à partir de mon propre exemple », dit-elle. « Juste après les événements de janvier, j’ai créé un projet sur la façon de changer la mise en œuvre de la politique de genre avec des suggestions pour le gouvernement. » Mythili Sampathkumar Les militantes féministes enhardies par les manifestations de janvier s’appuient sur un bilan de succès récents dans l’ère post-Nazarbayev. En octobre 2021, le gouvernement kazakh a finalement levé une interdiction datant de l’ère soviétique qui interdisait aux femmes d’exercer 200 catégories d’emploi différentes pour « protéger » leur système reproductif. L’experte en genre et consultante en droit international des droits humains, Aigerim Kamidola, qui a commencé le travail d’abrogation de la liste des emplois interdits aux femmes en 2018, a déclaré que le gouvernement a aboli la loi non pas pour donner l’égalité aux femmes mais plutôt en raison de « la pression internationale qui était le résultat d’un travail de plaidoyer inlassable sur le terrain ». « Je suis, bien sûr, heureuse que la liste ait été abolie », déclare Kamidola. « Mais pour le gouvernement, c’était l’étape la plus facile, la moins controversée parmi les obligations à remplir en matière de droits des femmes par le Kazakhstan. » Azhigulova a eu moins de succès. Elle fait campagne pour la re-criminalisation des violences domestiques depuis 2019 suite au fait que les crimes de « coups et blessures » et d' »infliction intentionnelle de lésions corporelles légères » ont été supprimés du code pénal du pays en 2017. Azhigulova affirme qu’il y a eu une augmentation de la violence intrafamiliale et des abus envers les femmes et les filles depuis lors. Human Rights Watch a affirmé que les partenaires abusifs « sont bien conscients de la sanction non pénale » pour les actes de violence domestique et continuent d’agresser les membres de leur famille en toute impunité. Azhigulova a déclaré que beaucoup de ses suggestions de réforme ont été rejetées par les responsables gouvernementaux. « Elles et ils ne font qu’entraver l’adoption de lois importantes visant à protéger les femmes et les filles contre les violences sexistes et sexualisées », dit-elle. « Ils·elles ne sont pas intéressé·e·s par la création d’un État démocratique véritablement légal avec une égalité des droits. » Deux mois après le « janvier sanglant », comme l’appellent les Kazakhs, des féministes ont organisé une marche des femmes dans la plus grande ville du pays, Almaty, la deuxième seulement à être approuvée par les autorités dans l’histoire récente. En vertu de la loi sur les assemblées publiques adoptée en 2020, les activistes doivent informer les administrations locales des manifestations prévues. Si les activistes n’obtiennent pas le feu vert des fonctionnaires, ils·elles risquent d’être détenu·e·s et de devoir payer une amende – certains peuvent même être arrêtés et passer jusqu’à 15 jours en prison. Lorsque le rassemblement a eu lieu en mars, de nombreux Kazakhs étaient encore traumatisé·e·s par les violences de janvier, alors même que la récente invasion de l’Ukraine par la Russie avait jeté un froid sur la région dans son ensemble. Pourtant, un millier de personnes ont participé à la manifestation, dont beaucoup qui brandissaient des banderoles de soutien à l’Ukraine. Zhanar Sekerbayeva, célèbre activiste LGBTGIA+, universitaire et cofondatrice de l’organisation Feminita, faisait partie du comité d’organisation de la marche de cette année. Elle a déclaré qu’il y avait une « anxiété » généralisée tout au long de la manifestation. Au cours de ses années d’activisme, Sekerbayeva a été détenue à plusieurs reprises, harcelée par la police et battue par des inconnus. « Il me semblait que [les gens] avaient peur parce que nous n’avons aucune confiance dans le gouvernement, aucune confiance dans les institutions gouvernementales », dit-elle. Yelena Shvetsova, directrice exécutive de l’organisation de défense des droits humains Wings of Liberty, pense que la situation ne changera qu’avec davantage de pouvoir politique et de représentation pour les femmes. « Au cours des deux dernières années, plus de personnes ont commencé à parler des droits des femmes et de la question du genre », a-t-elle déclaré à la newsletter Impact, mais elle a prévenu que le gouvernement avait un appétit limité pour un réel changement. « On a besoin d’une nouvelle vague de jeunes femmes qui se battront pour leurs droits », dit-elle. À l’avenir, nombreuses seront ces jeunes femmes qui pourront peut-être retracer les débuts de leur chemin vers l’activisme à ce “janvier sanglant”. Les événements de 2022 au Kazakhstan ont montré que la société civile ne reculera pas. — Aigerim Toleukhanova est une journaliste indépendante et chercheuse du Kazakhstan. Cet édition d’Impact a été préparé par Megan Clement, Aigerim Toleukhanova, Mythili Sampathkumar et Steph Williamson. Impact est produite par Gloria Media et financée par New Venture Fund Abonnez-vous à nos newsletters : Les Glorieuses / Économie / Les Petites Glo Soutenez un |