Comment se passent vos histoires d’amour ? Jusqu’au 26 novembre, les Petites Glo s’associent à En avant toute(s) pour mener une enquête sur les relations affectives et sexuelles des 12-24 ans. N’hésitez pas à répondre à notre sondage (et à le partager autour de vous), c’est rapide et très précieux ❤️ Il suffit de cliquer ICI. Mardi 16 novembre 2021 La langue est politiqueUn jour, lorsque j’étais au lycée en cours de philo (ma matière préférée <3), la prof nous a parlé de l’école fondée par Aristote à Athènes en -335 avant notre ère : l’école péripatéticienne. Je me souviens de quelques-uns, dans la classe, qui s’étaient esclaffés “Ah ah ah, c’est l’école des putes !“ et de mon sentiment de malaise face à cette blague que je ne comprenais qu’à moitié. Il est vrai que ce mot – péripatéticienne – je l’avais déjà entendu pour évoquer les prostituées… mais jamais pour parler de philosophie. À l’origine, donc, les péripatéticiens sont les disciples d’Aristote qui préconisait une pratique de la philosophie en mouvement. “Aristote enseignait debout, en marchant, à ceux qui voulaient bien l’écouter et le suivre, m’explique Aurore Vincenti, linguiste et autrice aux éditions Le Robert. En grec, péri signifie autour et patéin signifie marcher, déambuler. Au masculin, le mot français est apparu vers le XIVème ou XV siècle, quasiment calqué sur le grec.“ Après ce premier point de vocabulaire, une question me brûle les lèvres : à quel moment sommes-nous passés des péripatéticiens, ces mecs stylés du Lycée athénien qui cogitent en se promenant, aux péripatéticiennes, des femmes qui “font le trottoir“ ? “À peu près au XIXème siècle, me répond Aurore. Les étudiants bien nés – uniquement des garçons à cette époque, bien sûr – connaissaient le grec et le latin et employaient des mots de langues anciennes pour faire chic. Le mot féminin ‘péripatéticienne’, c’était d’abord du jargon estudiantin.“ En gros, imaginez un après-midi, après les cours, où Alfred et ses potes croisent une femme seule dans la rue sur le chemin de la brasserie. Pour faire marrer sa bande, Alfred sort : “Mais ne serait-ce pas là une péripatéticienne ?“. Et Louis de lui répondre : “Mouahahah, Alfred, comme vous avez l’esprit fin !“. “Ils ont pris ce mot de façon ‘plaisante’, précise Aurore, et je cite le dictionnaire. C’est-à-dire qu’il s’agissait d’une plaisanterie, d’une moquerie érudite.“ Mais, en réalité, qu’est-ce qu’il nous raconte ce “bon mot“ ? Que des femmes qui déambulent dans l’espace public ne peuvent pas être des philosophes, non ! Des femmes qui marchent librement, au XIXème siècle comme en 2021, ne peuvent être que des prostituées. Extrait de l’École d’Athènes (Raphaël, 1509 – Platon à gauche et Aristote à droite) Des poètes tels que Baudelaire ou Verlaine ont ensuite participé à la popularisation de cet emploi du mot puisqu’ils baignaient eux-mêmes dans l’intelligentsia parisienne, et on retrouve le même glissement du masculin positif au féminin péjoratif en Angleterre, notamment sous la plume de Thomas de Quincey. “Il y a une quantité de mots en français qui, dans leur passage du masculin au féminin, deviennent dégradants, m’éclaire Aurore. Ce que ça traduit, c’est qu’il est coutume de rabaisser les femmes pour amuser le boys club.“ On regarde ça de plus près, les Petites Glo ? Un courtisan, c’est un proche du roi. Un maître, c’est un professeur des écoles. Un entraineur, c’est celui qui s’occupe de la préparation physique des sportifs. Un homme public, c’est un politicien. Un coureur, c’est un athlète. Un homme à femmes, c’est un séducteur, un mec qui a la cote. Un homme bon, c’est une gentille personne, qui a le cœur sur la main. Alors qu’une courtisane, c’est une pute. Une maîtresse, c’est une pute. Une entraîneuse, c’est une pute. Une femme publique, c’est une pute. Une coureuse, c’est une pute. Une femme à hommes, c’est une pute. Et une femme qui est bonne, c’est… ? Une personne sur laquelle on poserait bien ses mains. Ce constat écœurant, la comédienne, autrice et metteuse en scène Noémie de Lattre le fait dans son spectacle – à voir, revoir et rerevoir – Féministe pour Homme, qui se joue actuellement au théâtre de la Pépinière, à Paris. En préparant cette newsletter, je lui ai passé un petit coup de fil. “Notre pensée est façonnée par notre langue, donc tous les biais sexistes de notre langue créent notre pensée, m’a-t-elle dit. Il existe cinquante synonymes du mot ‘pute’ et pas un seul mot pour désigner les clients des prostituées, ce qui participe à la stigmatisation des travailleuses du sexe. Et d’ailleurs, quand on pense aux insultes : avant, ‘fils de pute’ était ma préférée quand j’étais en colère contre quelqu’un. Aujourd’hui, je dis ‘fils de cul’, ça marche bien, ça sonne pareil et ce n’est pas sexiste.“ La première fois que Noémie a entendu le mot “péripatéticienne“, c’était dans le sens de prostituée. “J’ai su d’où ça venait dix ans plus tard ! C’est sûr qu’avec ça, une femme ne va pas se voir philosophe ! C’est comme une petite fille qui ne va pas s’imaginer devenir pompière, puisque que le mot n’existe pas !“ Dans une vidéo qu’elle avait tourné avec le magazine Auféminin, Noémie racontait comment son correcteur orthographique refusait les mots “autrice“ et “metteuse en scène“, proposant à la place “actrice“ et “menteuse en scène“. Peut-être que vous, derrière votre écran, vous dites “oui mais quand même, autrice c’est moche, ça fait pas naturel !“, un argument qu’on a beaucoup entendu de la part de celles et ceux qui s’opposent à la “féminisation“ des noms de métier. Eh bien vous savez quoi ? Le mot “autrice“ a existé jusqu’au XVIIème siècle. “Le sujet n’est pas de féminiser la langue mais de faire réémerger des mots qui ont disparu et qui ont été condamnés il y a plusieurs centaines d’années, insiste Aurore Vincenti. Il faut savoir que l’Académie française, les grammairiens et linguistes de l’époque ont fait le ménage et qu’il y a de vrais va-et-vient dans les dictionnaires. Quand on fait disparaître le mot ‘autrice’ , c’est parce qu’on ne veut pas voir une femme à l’endroit de l’écriture [les mots “auteur“, “autrice“ et “autorité“ ont la même origine, me souffle-t-elle plus tard… comme par hasard]. Et en faisant disparaître le mot, on fait progressivement disparaître la chose, la fonction qui est derrière. La langue est politique et le maniement de la langue est politique.“ Tout cela étant dit, qu’est-ce qu’on peut faire ? Doit-on éviter d’utiliser les mots qui fâchent ? En inventer des nouveaux ? “Non ! me rétorque Noémie de Lattre, si l’on change les mots, ça veut dire qu’on laisse le champ libre aux sexistes. Ce n’est pas aux femmes d’adapter leur vocabulaire, il ne faut pas abandonner le territoire. Ça demande du boulot, de la détermination, du courage et de la solidarité, mais c’est essentiel de respecter et de partager l’espace.“ Même réaction du côté de la linguiste : “Il ne faut pas se décourager, faire exister la fonction et faire exister le mot, même si au début il a une connotation négative. Il y a des exemples de mots qui ont d’abord été hyper sexistes et ont perdu leur sens péjoratif avec le temps.“ Eh oui, au XIXème siècle, “une étudiante“ ne faisait référence qu’à la petite amie sans argent de l’étudiant. LOL (mot nouveau du XXIème siècle très pratique pour dire aux mecs du XIXème siècle qu’on les emmerde sans y passer une plombe parce qu’on n’a pas leur temps). Allez, vous savez quoi ? Pendant que vous réfléchissez à tout ça, je vais modifier mon profil LinkedIn (#vieillepersonne) et remplacer “auteure“ par “autrice“. Ça suffit les conneries ! Un mot de notre partenaire, L’Oréal Paris, sur le programme Stand up contre le harcèlement de rueVous voulez apprendre à réagir face au harcèlement de rue ? Le programme Stand Up organise une session de formation exclusive pour les Petites Glo, “Apprendre à réagir contre le harcèlement de rue“, animée par une professionnelle chargée de prévention. Elle aura lieu le mercredi 17 novembre de 16h à 17h30 à la Cité Audacieuse, à Paris. Les places sont limitées à 40 abonné.e.s alors inscrivez-vous vite ICI. Vous n’êtes pas disponible ? Apprenez à réagir grâce à la formation en ligne Stand up. Stand Up est un programme international créé par L’Oréal Paris en partenariat avec l’ONG Hollaback! et la Fondation des femmes, qui permet d’apprendre à intervenir lorsqu’on est témoin ou victime de harcèlement de rue, sans se mettre en danger. Basée sur la méthodologie des « 5D » (Distraire, Déléguer, Dialoguer, Diriger et Documenter), cette formation rapide apporte à chacun.e les outils et réflexes qui l’aideront au quotidien à identifier les situations de harcèlement de rue et y réagir pour y mettre fin. Les recommandations de ChloéKhatira a 14 ans, elle a fui l’Afghanistan pour la France en 2018 car elle devait être mariée de force. Aujourd’hui, elle est menacée d’expulsion car elle ne serait pas assez “occidentalisée“ pour que son retour dans le pays représente un danger pour elle. Ecoutez son histoire sur Brut. Y a-t-il un.e référent.e égalité dans votre lycée ? Leur rôle est de faire de la prévention contre les violences sexistes et sexuelles et d’orienter les élèves en cas de besoin. Selon une enquête nationale réalisée par Nous Toutes, deux lycées sur trois n’en ont pas, alors que c’est obligatoire depuis 2018. “Encore une fois, la lutte contre les violences passe à la trappe“, déplore le collectif sur Instagram. #PasDeLycéeSansÉgalité Pourquoi les femmes n’ont-elles pas de nez en BD ? Un indice : le male gaze. “Elle enfile son crop top Jennyfer et laisse entrevoir ses jambes“… “Elle sait que son corps est une arme, mais elle est sans défense“… Hum… On en parle du dernier clip de McFly et Carlito, “TikTok Girl“ ? Ou comment, en voulant dénoncer le cyberharcèlement et l’hypersexualisation des jeunes filles, les deux youtubeurs nagent en plein sexisme ? Heureusement que les internautes ne se laissent pas faire. D’ailleurs, pour déconstruire toutes les idées reçues de m**** du type “elle l’a bien cherché, t’as vu comment elle était habillée ?“, foncez en librairie vous procurer le Petit guide pour une sexualité féministe et épanouie d’Osez le féminisme ! (publié chez First éditions). Il est parfait ! Au Théâtre de Belleville, à Paris, se joue La Honte (à partir de 15 ans) qui met en scène un professeur de plus de cinquante ans et sa jeune doctorante qui passe chez lui un soir pour parler de sa thèse. La pièce aborde la question des violences sexuelles, et c’est une véritable claque. Et pour vous détendre avec votre gang, n’hésitez pas à aller voir Massacre à la princesse (à partir de 14 ans), au Théâtre de dix heures, également à Paris. La pièce se joue tous les mardis et mercredis à 21h30 et met en scène la version “IRL“ de la Belle au bois dormant, Cendrillon, Blanche Neige et même la Petite Sirène. C’est trash, ça dénonce (ouais Blanche Neige est noire, et alors ?) et ça fait surtout bien rire ! Les dernières newsletters Gloria Media« Il est normal d’être en mouvement, et il n’y a pas de temps perdu », conversation avec la poétesse et autrice Chanel Miller, Les Glorieuses, 10 novembre 2021 L’avortement au Japon, en Namibie et en Colombie; les droits LGBTQ au Mexique et en Italie; et encore plus, Impact, 8 novembre Celle-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom, Les Petites Glo, 2 novembre 2021 Le prix lourd du manque de prise en charge post partum, Economie, 29 octobre 2021 |
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