Cette newsletter vous a été transférée ? Et vous aimez tellement que vous souhaitez vous inscrire ? C’est ici ! 27 mars 2023 “Nous avons risqué nos vies“ – bienvenue à la Marche Aurat, le mouvement féministe le plus radical du Pakistan Par Beenish Javed Vous n’avez qu’une minute pour lire cette newsletter ? En voici le contenu en très – très – bref :
Lisez la suite pour en savoir plus. Et si vous voulez rester à jour sur les mobilisations féministes dans le monde, suivez-nous sur Twitter et Instagram. Speak English ? La newsletter est aussi disponible en anglais : “Ne me touchez pas, ne me touchez pas!” hurle un policier à une manifestante qui tente d’accéder au cortège devant le Club National de la Presse à Islamabad. Il la pousse violemment. Quelques secondes plus tard, les forces de sécurité, armées de bâtons, attaquent les manifestant·e·s d’un mouvement connu sous le nom d’Aurat March – “la marche des femmes” en Urdu. Elles s’étaient réunies au club pour marquer la journée internationale de lutte pour les droits des femmes. D’après des témoins, la police a encerclé les militant·e·s et fermé tous les points d’accès. Plusieurs femmes, dont des femmes et personnes trans, ont été blessées par les violences policières. Les autorités locales avaient refusé de donner à la marche l’autorisation officielle de protester par peur de violences de la part des contre-manifestant·e·s de groupes religieux conservateurs. Mais les manifestant·e·s d’Aurat ont décidé de maintenir le rassemblement. Pendant les altercations avec la police, une des organisatrices de la manifestation, Farzana Bari, 66 ans, a arraché les barbelés qui encerclaient le lieu de l’action. Cette petite ouverture a permis aux manifestant·e·s de passer brièvement malgré la répression. Les femmes ont traversé le blocus et organisé leur marche. La marche Aurat a fait irruption sur la scène politique pakistanaise le 8 mars 2018 avec des manifestations organisées à Lahore, Karachi et Islamabad. Aujourd’hui, des manifestant·e·s de tous âges sortent chaque 8 mars dans toutes les grandes villes du Pakistan pour réclamer plus de droits, même dans des villes traditionnellement conservatrices comme Peshawar, au nord-ouest du pays. Farzana Bari tente de franchir une barrière, Islamabad 2023. Image : Sohail Shahzad Le mouvement est né à la suite d’un constat commun de plusieurs militant·e·s des droits des femmes : les mouvements féministes devaient s’approprier davantage l’espace politique. “Le désir d’être impliqué·e·s dans la prise de décision, d’exprimer et de défendre nos droits nous a conduit·e·s à organiser la marche Aurat en 2018“, a déclaré une membre fondatrice de 72 ans, originaire de la ville de Karachi, à la newsletter Impact (les coordinatrices de la branche de Karachi ont voulu rester anonymes après avoir reçu des menaces). “Nous avons été inspiré·e·s par les marches qui se déroulent aux États-Unis et ailleurs.“ Le Pakistan fait partie des pays les plus dangereux au monde pour les femmes. Environ 1 000 femmes sont assassinées chaque année par des membres de leur famille dans le cadre de crimes dits “d’honneur”. La violence conjugale est répandue. Dans le Rapport mondial sur l’écart entre les femmes et les hommes du Forum Économique Mondiale, le Pakistan se classe avant-dernier, juste avant l’Afghanistan, en matière d’égalité. La plupart des institutions y sont dominées par des hommes, y compris le parlement, la police et le système judiciaire, et les femmes ne représentent que 23 % de la main-d’œuvre du pays. La radicalité de la marche d’Aurat a choqué de nombreuses personnes dans le pays conservateur et a déclenché une réaction souvent violente. Contrairement aux précédentes campagnes pour les droits des femmes au Pakistan, qui se limitaient à mettre en lumière les politiques et les lois discriminatoires de l’État, les marcheuses d’Aurat ont étendu leurs revendications au domaine du foyer, remettant en question les dynamiques de pouvoir au sein des structures familiales. Les activistes exigent que les filles soient traitées sur un pied d’égalité avec les garçons et que les maris assument la responsabilité des tâches ménagères. Elles parlent de sujets tabous tels que la violence domestique, le viol conjugal et le harcèlement sexuel. Bari raconte que parler de ces problèmes perturbe les mentalités patriarcales. “Les hommes qui considèrent les femmes comme leur propriété se sentent menacés que ces militantes des droits des femmes puissent briser leur famille. Cela les rend anxieux.“ La Marche Aurat défend également les droits des personnes trans, extrêmement peu représentées dans les institutions pakistanaises. En 2018, l’une des lois les plus avancées au monde sur les droits des personnes trans était votée au Pakistan. Elle permettait aux personnes de décider de s’identifier comme homme, femme ou “troisième genre” sur leurs papiers d’identité et protégeait les personnes trans de la discrimination dans les lieux publics. En réalité, les personnes trans sont régulièrement assassinées, attaquées et rejetées par la société pakistanaise, et beaucoup sont contraintes au travail du sexe ou à la mendicité. La marche Aurat revendique principalement des droits pour les femmes et les personnes trans, mais elle fait également campagne sur des questions telles que les disparitions forcées, dont l’armée est souvent accusée. La marche Aurat est née d’un désir pour les femmes et les personnes trans de prendre plus d’espace politique au Pakistan. Image : Beenish Javed. La réaction contre le mouvement a été sévère et les marcheuses d’Aurat ont été vivement critiqué·e·s pour leur approche audacieuse et sans remords. Les femmes qui y participent sont confrontées à l’humiliation, à l’intimidation et au rejet des groupes religieux et de leurs familles. Lors du rassemblement d’Islamabad cette année, la violence de la répression policière était en partie due à la présence d’une contre-marche de membres de groupes religieux conservateurs dont la Mosquée rouge et le parti politique Jamaat e Islami. Cette contre-manifestation se déroule en même temps que la marche d’Aurat depuis quelques années. Les femmes présentes à ces manifestations sont vêtues de burqas et exigent un Pakistan islamique dans lequel les femmes restent à la maison et prennent soin de leur famille. Les représentant·e·s de la marche Aurat affirment que lors de la Journée internationale de lutte pour les droits des femmes en 2020, des hommes et des femmes de plusieurs groupes religieux ont lancé des pierres et des bâtons sur les manifestant·e·s alors qu’elles défilaient dans la capitale. L’un des groupes armés les plus dangereux du pays, Tehreek e Taliban Pakistan, a menacé certaines militantes, dont Bari. En 2021, après la marche annuelle, les talibans ont accusé les marcheuses de blasphème et d’obscénité. L’opposition est si intense qu’en 2021, une vidéo dans laquelle des femmes de la marche de l’Aurat à Karachi demandaient à être libérées de l’oppression des religieux et des hommes politiques a été trafiquée pour donner l’impression qu’elles disaient vouloir retirer leur liberté à Allah et au prophète Mahomet. Cela a conduit les militant·e·s à être accusé·e·s de blasphème, passible de la peine de mort au Pakistan. Le procès qui a suivi a duré plusieurs mois. “Chaque fois que nous sommes allé·e·s au tribunal pour une audience, nous avons risqué nos vies. Il y avait une vraie peur qu’un fanatique puisse apparaître et nous tuer”, a déclaré Bari à la newsletter Impact. Les tribunaux les ont finalement jugé·e·s innocent·e·s. Les femmes présentes à la contre-marche sont vêtues de burqas et exigent un Pakistan islamique dans lequel les femmes restent à la maison et prennent soin de leur famille. Participer à des manifestations peut également conduire à des discussions animées et conflictuelles à la maison. Lors de la marche de 2019 à Islamabad, Bariya Shah, 30 ans, de la ville de Chitra au nord du pays, portait une pancarte dans sa langue maternelle, le khowar. La pancarte, adressée aux hommes, disait : “lavez vous-même vos vêtements et votre vaisselle“. Shah a posté sa photo sur Facebook, et elle a rapidement fait le tour de sa communauté. “Ma famille ne m’a pas parlé pendant plus d’un mois et même ma mère, qui m’a toujours soutenue, s’est fâchée parce qu’on disait toutes sortes de mauvaises choses à mon sujet”, a déclaré Shah. “Rejoindre Aurat March est devenu si controversé que certains des parents et amis qui étaient contre la marche ont coupé les ponts avec moi“, a déclaré Rida Zulfiqar, 24 ans, qui a défilé à Islamabad en tenant une pancarte sur laquelle on pouvait lire : “Mon corps, mon choix.“ Ce slogan est l’un des plus controversés du mouvement. Les opposant·e·s affirment que le slogan prouve que les marcheuses ont pour mission de détruire les valeurs islamiques. Mais d’après Zulfiqar, pour elle, le slogan signifie que les femmes doivent avoir le pouvoir sur leur corps et que leur consentement doit être respecté. Pourtant, d’après l’organisatrice anonyme de Karachi, les critiques et les controverses sur la marche des femmes lui ont également permis au mouvement de gagner en popularité et d’être reconnu auprès du grand public. Lors des marches, les féministes chantent souvent une chanson dont les paroles disent : “Pendant si longtemps tu as souffert en silence et ton monde n’a pas changé, ton monde ne changera que lorsque tu parleras“. Pour de jeunes activistes comme Zulfiqar et Shah, là est le message de cette nouvelle vague de féminisme. “Grâce à nos slogans, pancartes et chansons, nous amenons lentement du changement dans la société pakistanaise“, affirme Shah. — Beenish Javed est journaliste de télévision. Elle tweete sur les questions politiques, économiques et sociales du Pakistan et de la région sud-asiatique sur @beenishjaved. Première fois par ici ? Impact est une newsletter hebdomadaire de journalisme féministe, dédiée aux droits des femmes et des minorités de genre dans le monde entier. Chaque mois, nous publions un bulletin d’actualité sur les droits des femmes et des personnes LGBTQIA+, un entretien, un reportage et un essai de la rédactrice en chef. Ceci est la version française de la newsletter ; vous pouvez lire la version anglaise ici. Megan Clement est la rédactrice-en-chef de la newsletter Impact. Anna Pujol-Mazzini est la traductrice. Agustina Ordoqui prépare le bulletin mensuel et rédige les posts d’actualité sur les réseaux sociaux. La newsletter est financée par New Venture Fund et produite par Gloria Media, basée à Paris. Gloria Media est dirigée par sa fondatrice, Rebecca Amsellem. Gloria Media remercie ses partenaires pour leur Abonnez-vous à nos autres newsletters : Les Glorieuses / Économie / Les Petites Glo |
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