Mardi 25 janvier 2022 La pop culture française est-elle raciste ?“On nomine des artistes, pas des couleurs de peau“, “On ne va pas nominer quelqu’un qui n’est pas blanc juste pour la forme“. J’ai lu ces commentaires sur les réseaux sociaux lorsque les nommé·e·s aux Victoires de la musique 2022 ont été annoncé·e·s, le 10 janvier dernier. Ils répondaient aux réactions indignées de nombreux·ses internautes regrettant qu‘“il n’y a[it] que des blancs qui ne voient pas le souci“. En effet, si l’on regarde cette liste de près, les artistes et révélations féminines de cette année sont Juliette Armanet, Hoshi, Clara Luciani, L’Impératrice, Barbara Pravi et Silly Boy Blue ; et les artistes et révélations masculines sont Julien Doré, Feu! Chatterton, Orelsan, Chien Noir, Myd et Terre Noire. Soyons claire : elles et ils méritent leur(s) nomination(s), c’est certain. Toujours est-il que, toutes catégories confondues, le constat est frappant : tout ça est très blanc. La seule personne noire présente dans la liste étant Aya Nakamura pour le prix de l’album le plus streamé (elle n’a donc pas été choisie par le jury). Peut-on alors penser qu’aucun·e autre artiste racisé·e en France n’aurait mérité d’être présent·e sur scène lors de la cérémonie qui aura lieu le 11 février ? Chacun·e est libre d’avoir son avis. Du côté des Victoires, les organisateurs se sont défendus de toute intention raciste et ont rappelé qu’ils jugeaient avant tout la qualité des projets (l’an dernier, c’est d’ailleurs Yseult qui avait remporté le prix de la révélation féminine). Quoi qu’il en soit, cette actualité est révélatrice d’un problème persistant dans notre société française : le manque de diversité dans les médias et la culture. Si vous avez lu ma dernière newsletter consacrée au livre de Titiou Lecoq, Les grandes oubliées – Pourquoi l’Histoire a effacé les femmes, vous vous rappelez peut-être que la question de l’invisibilisation est d’autant plus vaste pour les femmes racisées. Pour ma part, je n’envisage pas un féminisme qui ne concernerait que ma petite personne de femme blanche (cis, hétéro, et de classe moyenne)*. J’essaie, grâce à mes amies, mes rencontres, grâce aux voyages, à l’art et à la (pop) culture, d’élargir toujours plus ma vision du monde, de la décentrer. Aya Nakamura ©LesPuissantes C’est ainsi que j’ai découvert Les Puissantes sur Instagram. Il s’agit d’un compte qui présente des portraits illustrés de femmes noires francophones « d’hier, d’aujourd’hui et de demain“. Aux côtés de la femme politique Christiane Taubira, de la championne olympique Laura Flessel, de l’actrice Aïssa Maïga ou encore de la journaliste Rokhaya Diallo, on retrouve d’ailleurs… Queen Aya Nakamura. Il a été créé en 2019 par Diariatou Kebe (@clumsy_gram), autrice de Maman noire et invisible et présidente de l’association Divéka qui milite pour plus de diversité dans les œuvres culturelles ; et par Marjorie Bourgoin (@cococerise), illustratrice et directrice artistique. “C’est parti d’une liste que j’avais faite pour mon fils avec le nom de toutes les personnes que je voulais lui faire connaître, me raconte Diariatou. Ces dernières années, plusieurs livres sont sortis sur les femmes qui ont marqué l’Histoire mais ils parlent très peu des femmes noires et, quand il y en a, ce sont souvent des américaines, comme Rosa Parks, mais pas des femmes noires francophones.“ En tant que bénévoles, elles sensibilisent le public depuis 2016 à travers leur association. “Dans les livres jeunesse mais aussi les dessins animés, les séries pour enfants, les jeux vidéos, il y a très peu de diversité“, précise Diariatou. Bien que je partage son avis, je lui confie avoir le sentiment que de plus en plus de séries mettant en scène des bandes d’ami·e·s noir·e·s voient le jour, telles que Dear White People, Insecure ou Harlem. “Oui, mais ça c’est aux États-Unis ! me dit-elle. En France, il n’y a pas ce genre de choses. Presque chaque année, on organise une masterclass avec l’autrice Laura Nsafou sur l’écriture des personnages racisés dans la fiction jeunesse, pour éviter de se retrouver encore et encore avec un meilleur ami noir sans prénom qui est juste là pour soutenir le personnage principal blanc…“ J’évoque avec Diariatou le sujet des Victoires de la musique – non seulement le fait qu’il n’y ait qu’une artiste noire parmi les nommé·e·s, mais aussi que la catégorie “Musiques du monde“ ne soit pas présente cette année. “Tant mieux parce que franchement ça veut dire quoi ‘musiques du monde’ ? En fait, ça veut juste dire ‘musiques non-blanches’, tout comme ils utilisent l’expression ‘musique urbaine’ pour ne pas dire ‘noire et arabe’ ! Beaucoup de cérémonies sont remises en question ces temps-ci. Dans la musique, les gens qui décident sont blancs et je crois qu’il y a une panique morale de voir que les personnes discriminées ont leur propre avis. Comment accepter de ne pas avoir tout le temps raison quand on est un homme blanc à qui tout a réussi ?Moi, je suis née et j’ai grandi en France… ça ne m’étonne plus, de voir que rien ne change. C’est pour ça que j’ai lancé l’asso, pour ça que je fais ce que je fais.“ Malgré tout, Diariatou me semble plutôt optimiste dans sa façon de concevoir l’avenir. “Là, c’est en train de changer je crois. C’est triste à dire mais il y a eu un vrai tournant avec la mort de Georges Floyd** et toutes les manifestations antiracistes qui ont suivi ces deux dernières années. On voit un petit peu plus de noirs en général à l’écran, c’est un début, mais ça ne veut pas dire que ce sera pérenne.“ Afin que le compte des Puissantes prenne vie sous la forme d’un livre, Diariatou et Marjorie ont lancé un financement participatif sur Ulule qui s’est avéré un succès. Actuellement, cette version auto éditée n’est plus disponible mais croisons les doigts pour qu’une maison d’édition leur permette de transformer l’essai et de rendre ce projet indispensable disponible dans toutes nos librairies. En attendant, Diariatou vous recommande trois ouvrages : Les Icônes de Kimia de Karen Adediran Nganda et Félix Fokoua, Musulmanes du monde par Elise Saint-Jullian et LK. Imany, et I have a dream : 52 icônes noires qui ont marqué l’Histoire, de Jamia Wilson et Andrea Pippins. Finalement,“quand on évoque un ‘manque de diversité’, il faut nuancer, conclut Diariatou, c’est plutôt un ‘manque de visibilité’ car les artistes et les œuvres existent. Elles ne sont juste pas mises en avant.“ Bonne nouvelle, les Petites Glo, nous avons toutes et tous le pouvoir de changer ça ! *Je défends ici un féminisme qu’on appelle “intersectionnel“ – si vous souhaitez en savoir plus sur cette notion, je vous recommande cet épisode du podcast Quoi de meuf : “Intersectionnalité, j’écris ton nom“. ** Georges Floyd était un homme afro-américain qui est mort suite à une interpellation par la police, le 25 mai 2020. Cette affaire est à l’origine du grand mouvement Black Lives Matter qui a eu lieu partout dans le monde durant l’été 2020. Le post de la semainePar @celestebarberDevenue célèbre grâce à ses vidéos géniales dans lesquelles elle parodie les mannequins, la comédienne Celeste Barber a publié cette une du Vogue australien avec la légende “Swipe ➡️ for the inspiration“ (c’est-à-dire balayez à droite pour voir que tout est possible, on adore ❤️). Les recommandations de ChloéParce que ma newsletter ne peut malheureusement pas faire 150 pages, il FAUT avoir vu Noirs en France, le documentaire réalisé par la journaliste Aurélia Perreau et raconté par l’écrivain franco-congolais Alain Mabanckou (il a été diffusé mardi dernier sur France 2, mais il est disponible en replay ici). Les témoignages de stars et d’anonymes sont bouleversants, notamment celui de la petite Maïly qui a déjà entendu à l’école “Tu es moche parce que tu es noire“ ou “Tu es noire donc je ne joue pas avec toi“. Oui oui, ça se passe au XXIème siècle. Vous avez été nombreux·ses à me dire que vous avez adoré le livre de Titiou Lecoq sur les femmes dans l’Histoire. Alors je vous recommande de lire Ni vues ni connues, un ouvrage tout aussi indispensable publié par le collectif Georgette Sand (qui mène une lutte précieuse contre les invisibilisations). Que vous l’ayez trouvée super ou non, la prestation de Stromae pour présenter son nouveau titre (“L’enfer“) dans le journal de 20 heures de TF1 a fait exploser les appels au numéro national de prévention du suicide. Si vous l’ignoriez, le suicide est la deuxième cause de mortalité chez les jeunes après les accidents de la route, alors prenez soin de vous et n’hésitez pas à appeler le 3114 si ça ne va pas. Elles sont cool Ana Asif et Wuu Jia (26 et 24 ans), deux rappeuses du Mans qui dénoncent notamment le racisme et le sexisme dans leurs textes percutants. “Je suis pas féministe, je suis humaniste“, “J’ai rien contre les féministes, mais faut pas être extrême“, “ Les hommes ont des pulsions, c’est scientifique“… On en a hyyyper ras-le-bol de ces phrases à la con, non ? Dans Nos Mutineries (chez Mango éditions), Eve Cambreleng (@aboutevie) et Blanche Sabbah (@lanuitremueparis) proposent leurs “réponses imparables aux idées reçues sur le féminisme“. C’est mon GROS coup de cœur livre du mois de janvier. Les dernières newsletters Gloria MediaUn pas en arrière en Afghanistan et aux États-Unis, des féminicides en Espagne et en Grèce, et l’auto-identification du genre en Suisse, Impact, 17 janvier 2022 Et si on parlait – vraiment – des femmes en cours d’Histoire ?, Les Petites Glo, 11 janvier 2022 Comment les systèmes de vente multiniveau s’appuient sur les normes de genre pour réussir, Economie, 10 décembre 2021 L’histoire du premier immeuble qui résista à un tremblement de terre… et de la femme qui l’a construit : Julia Morga, Les Glorieuses, 8 décembre 2021 |