« J’ai toujours peur d’être jugée. Je préfère écouter, laisser parler les autres. » La revanche des histoires Pour lire la newsletter en ligne https://lesglorieuses.fr/la-revanche-des-histoires/ « Donc on fait porter le chapeau à Loana ? » entend-on un jeune journaliste de la société de production fictive “PPP” de l’émission bien réelle Loft Story. – En même temps, c’est son chapeau Karim, lui répond son boss. Dans la série « Culte » créée par Matthieu Rumani et Nicolas Slomka et sortie sur Prime le 18 octobre, on suit les coulisses de la création de la toute première émission de télé-réalité en France, Loft Story. Plus que la fabrique du quart de célébrité devenu aujourd’hui quasi systématique, la série réussit avec brio à montrer l’engrenage dans lequel le personnage principal – et « Il y a toute la France qui pense que Loana est une mère irresponsable qui a abandonné son gosse pour faire gogo », s’exclame la productrice paternaliste et assez égoïste qui tente, une fois de plus, de sauver sa peau au détriment d’une Loana, dont la seule présence dans le Loft sauve pourtant toute son émission (et son job). « Bon Loana, lui dit d’ailleurs peu après la productrice voulant la convaincre de faire une interview, si tu ne racontes pas ta version de l’histoire, tu donnes raison à toutes les personnes qui disent que tout est de ta faute alors que si c’est de la faute de quelqu’un c’est de la faute de tous ceux qui t’ont fait souffrir, on est d’accord ? » Toute personne vivant en France avec une télévision en 2001 connaît Loana : elle est blonde, elle est de Cannes, elle est la star de Loft Story et probablement la seule raison pour laquelle les millions de téléspectateurs suivent la vie de ces personnes qui ne se connaissent pas, et pourtant enfermées ensemble pendant plusieurs semaines. La série montre – consciemment ou non – comment, derrière l’humiliation d’une femme dans l’espace public, se cache une armée de personnes qui s’y retrouvent, pour des raisons économiques, politiques, ou pour satisfaire le récit qui justifie les actes de leurs vies. À l’âge de 23 ans, elle a été qualifiée en l’espace de quelques semaines, sans même le savoir, de toutes les insultes. Elle n’est évidemment pas la seule (comme si cela pouvait justifier quelque chose). Mais elle est la première femme dont la mise en scène de sa vie a donné lieu à une humiliation publique en temps réel. Dans une interview pour l’INA, Loana raconte “Je ne suis pas quelqu’un de féministe et je ne veux pas être un symbole, mais je suppose que je suis une bonne représentante du traitement qui peut être réservé aux femmes”. Sa personne m’en rappelle une que vous me voyez souvent citer ici, Monica Lewinsky. Elles ont toutes deux été humiliées publiquement, l’autre à une échelle même mondiale. Monica Lewinsky est même le « patient 0 », se décrivant à juste titre comme la première personne à avoir été humiliée mondialement sur Internet. Toutes deux furent victimes de personnes dont les intérêts personnels étaient plus importants, selon eux, qu’elles. Et, pour l’une comme pour l’autre, ce sont ces personnes qui avaient le pouvoir d’en décider ainsi, de privilégier leur ambition, leur histoire sur celles de Monica Lewinsky ou Loana Petrucciani. « Elle a choisi de se mettre en scène ainsi », pourrai-je entendre d’ici. Oui, c’est le cas d’autres personnes avec elle aussi, comme Jean-Édouard. Pourtant, le traitement n’a pas été pas le même. C’est son « chapeau », entend-on le producteur de la société de production PPP dans Culte. C’est de sa faute si Loana est humiliée publiquement, c’est de sa faute si des images la montrant avoir une relation sexuelle ont fait le tour de France plus rapidement que Jeannie Longo, c’est de sa faute. C’est son chapeau. J’imagine alors les femmes, bardées de chapeaux – le nombre dépendant de l’âge auquel elles ont perdu leur virginité, la manière dont elle ont perdu leur virginité, la personne avec laquelle elles ont perdu leur virginité, leur situation maritale, leur capacité à procréer, leur volonté de procréer, la personne avec qui elles décident de procréer, et puis leur progéniture et leur nombre, et leur travail aussi. Leur travail. Leur nature, la part du soin aux autres dans cette nature, leur rémunération, leur longévité, le caractère exceptionnel, etc. J’imagine ensuite le poids de ces chapeaux à porter – non pas pour avoir choisi d’agir d’une certaine manière mais pour avoir eu ce comportement au sein d’une société obsédée par la respectabilité des femmes. Et, pour détourner la célèbre citation de Naomi Wolf, une culture obsédée par la respectabilité des femmes n’est pas une obsession pour le bien-être des femmes, il s’agit d’une obsession pour l’obéissance des femmes. La respectabilité des femmes – et les conséquences pour celles qui ne s’y soumettent pas – sont un sédatif politique très puissant de l’histoire des femmes. En d’autres termes, une population obsédée par sa réputation est une population qui ne fait rien, de peur de faire mal. Vu sur @mamouz L’expérience du traitement des actes de Loana dans l’espace public est un précipité de ce à quoi les femmes peuvent faire face si elles font les choses différemment. « La respectabilité exige une forme de politesse retenue et émotionnellement neutre qui est complètement en contradiction avec tout concept d’émotions humaines normales », je citai l’essayiste américaine Mikki Kendall dans Les Glorieuses il y a quelques mois. Le travail émotionnel requis pour être respectable, ne jamais ébouriffer les plumes de qui que ce soit, ne pas se mettre assez en colère pour défier et encore moins affronter ceux et celles qui auraient pu vous faire du mal, est incroyablement onéreux précisément parce qu’il est tellement déshumanisant. La respectabilité exige non seulement une lèvre qui ne tremble pas, mais également un enfouissement de soi-même dans sa propre chair afin de pouvoir maintenir la façade nécessaire. Cela nécessite d’effacer votre mémoire de la sensation d’avoir faim, froid, peur, etc., jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’une surface placide pour masquer le maelström déchaîné en dessous. On parle de stress et de maladie, mais le stress de la respectabilité est sans précédent. Vous vous étouffez encore et encore, jusqu’à ce que les cris soient dans vos veines, dans votre hypertension artérielle et votre espérance de vie réduite. Et puis, en regardant autour de vous, vous réalisez que vous n’avez même pas obtenu le respect, la validation ou le confort que vous pensiez attendre de l’autre côté. Vous vous êtes éloignée des espaces désordonnés, bruyants et émotionnels qui représentent le côté le moins respectable de vous et de votre culture, mais à quel prix ? » On peut se réjouir en se rappelant que pour Monica Lewinsky, comme pour Loana Petrucciani, cette disjonction nouvelle dans la perception de leurs histoires permet de lever les certitudes imposées à ceux qui veulent contrôler les comportements des femmes et qui écrivent leurs histoires. On peut se réjouir en se disant que, grâce à celles et ceux qui racontent ces nouveaux points de vue, les chapeaux que nous portons sont de moins en moins nombreux et de moins en moins lourds. La série Culte est disponible sur Prime depuis le 18 octobre dernier. Des choses que je recommande Si vous êtes au Women’s forum, nous y serons avec Megan ! Retrouvez-nous au Society hub (Discovery) tout à l’heure à 12 h 25 pour la session « Half the World Goes to the Polls in 2024: Ensuring Women’s Voices are Heardet » et au Media Hub à 17 h/17 h 35 pour la session « Reframing the News Through Women’s Eyes » auxquelles Megan participe. Je suis membre du jury pour le nouvel appel à projets de Wise Women. Cette initiative vise à soutenir les idées neuves de femmes récemment diplômées ou en reconversion professionnelle et à les aider dans la concrétisation de leur projet artistique, sans limite d’âge. Les catégories représentées sont : Art contemporain, Mode & Design, Édition & Média, Image & Cinéma. Si vous souhaitez participer afin de faire décoller votre projet avec l’aide de professionnelles expertes, CANDIDATEZ ! Pour plus d’informations sur les dépôts de candidatures: https://www.wisewomen.fr/actions/appel-a-projet J’ai vu une très belle exposition ce week-end au Musée des arts décoratifs, L’Intime, de la chambre aux réseaux sociaux, cela dure jusqu’au 30 mars 2025. Un podcast sorti il y a quelque temps, Shame on you, documentaire immersif en huit épisodes imaginé et animé par Anne-Cécile Genre et Marine Pradel. Les journalistes tentent de comprendre pourquoi l’affaire DSK n’a-t-elle pas déclenché le mouvement #MeToo et de quelle manière elles auraient pu traiter différemment l’affaire à l’aune de ce qu’elles savent aujourd’hui. C’est brillant. Dans le podcast Passages, on découvre la série – Mères en cavale – dans laquelle vous entendrez trois mères qui, face aux révélations de leurs enfants affirmant avoir subi l’inceste de leur père, se retrouvent confrontées à ce dilemme : respecter la loi en remettant leurs enfants à leur père, ou les protéger, au risque d’être elles-mêmes poursuivies. Vous pouvez écouter le premier épisode sur Apple podcasts, Spotify, etc. Et voici un post Instagram qui apporte plus d’infos : https://www.instagram.com/p/DBIaV62h9Xx/?igsh=YXBuYmk0bm1yeWwz *** Si vous avez des suggestions de livres, d’articles, de séries, de films à mettre ici, envoyez-les-moi par retour d’email. MERCI *** Un message de notre partenaire Ça peut être une interdiction de travailler, mais ça peut être des choses bien plus insidieuses, comme demander à faire 50/50 sur les dépenses du quotidien alors qu’un conjoint gagne deux fois, trois fois, parfois plus que sa partenaire. A l’occasion du Women’s Forum, BNP Paribas rappelle son engagement contre les violences économiques conjugales. 👉 Les violences économiques conjugales se traduisent par un contrôle et un appauvrissement financier qui peut aller jusqu’à la dépossession totale des moyens d’autonomie des femmes. ❗41% des femmes sont victimes de violences économiques conjugales au cours de leur vie selon l’étude IFOP pour Les Glorieuses publiée en 2023. ⚠️ Les femmes ont deux fois plus de chances d’être victimes de violences économiques quand elles gagnent sensiblement moins que leur partenaire. Luttons pour la fin des violences conjugales, payons les femmes justement. Cette vidéo a été réalisée par Malmö Production pour Solidarité Femmes et BNP Paribas.
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