Mercredi 17 février 2021 Bienvenue, voici la newsletter Les Glorieuses. Chaque mercredi, vous recevez une analyse féministe de l’actualité et des liens vers des articles inspirants et des événements qu’on soutient. La révolution de l’amour par Rebecca Amsellem J’ai toujours été une amoureuse de l’amour, dévorant les lettres échangées entre Maria Casares et Albert Camus, pleurant toutes les larmes de mon corps en relisant Heartburn (Nora Ephron) et fantasmant chaque jour depuis mon enfance la rencontre avec l’âme sœur. C’est avec cet imaginaire que je suis tombée amoureuse, que j’ai eu mon cœur brisé et que je me suis relevée. C’est avec cet imaginaire aussi que je me bats pour tenter de trouver un équilibre entre mon amour de l’amour et mon engagement féministe. L’amour n’est pas le premier thème auquel on pense lorsqu’on parle de révolution féministe. Ou de révolution tout court d’ailleurs. Devant le visage sombre de la grande révoltée – la révolution, le tendre Éros (« dieu de l’amour ») dut disparaître précipitamment. On n’avait ni le temps, ni l’excédent nécessaire de forces psychiques pour s’adonner aux « joies » et aux « tortures » de l’amour. Pour la socialiste russe Alexandra Kollontaï (« Place à l’Eros ailé ! Lettre à la jeunesse laborieuse », 1923), l’amour vient en second. Il est le hasard heureux qui vient s’ajouter aux actions plus utiles. Son caractère frivole en fait d’ailleurs – presque – tout son intérêt. Cela ne sert à rien et pourtant, c’est tout. Et pourtant lorsqu’on réfléchit aux rapports de domination dans notre société, on ne peut s’empêcher d’imaginer les conséquences qu’une révolution féministe aurait sur le sentiment qui semble être au premier abord le plus pur qui soit. Dans une société patriarcale, hétéronormée, l’amour est un sentiment qui entre en contradiction avec des normes dans lesquelles les femmes sont complètement désavantagées. Aussi, ma définition de l’amour correspond-elle à un idéal passé ? À quoi ressemble l’amour dans une société féministe ? La remise en cause du schéma binaire de nos pensées va-t-elle remettre en cause nos modes de vie ? Pourquoi l’amitié est-elle à prendre autant au sérieux que l’amour ? La révolution de l’amour est féministe. Elle est même fondamentale pour la révolution féministe. Les rapports de domination ont dessiné un monde politique, une sphère économique et nos relations sociales. Ils ont également compromis nos relations les plus intimes qui soient, les liaisons amoureuses. C’est pourquoi la révolution féministe, la révolution qui nous permettra d’atteindre une société égalitaire, ne pourra advenir sans une révolution de l’intime. Je m’explique. Je suis une romantique, je l’ai dit. Une « amoureuse de l’amour ». Les femmes sont – très généralement – des romantiques. Et la raison est politique. Cette adoration est une manière de se garantir un peu de pouvoir. Là où le système actuel donne un pouvoir sociétal, économique et politique aux hommes dans la sphère publique, l’intime fait moins l’objet de luttes. Dans l’univers genré de Mars et Vénus, les hommes veulent du pouvoir et les femmes veulent un attachement émotionnel et une connexion. Sur cette planète, personne n’a vraiment l’opportunité de connaître l’amour puisque c’est le pouvoir et non l’amour qui est à l’ordre du jour. Le privilège du pouvoir est au cœur de la pensée patriarcale. Les filles et les garçons, les femmes et les hommes à qui on a appris à penser de cette façon croient presque toujours que l’amour n’est pas important, ou si c’est le cas, il n’est jamais aussi important que d’être puissant, dominant, en contrôle, en haut – avoir raison. Les femmes qui donnent une adoration et des soins apparemment désintéressés aux hommes de leur vie semblent être obsédées par « l’amour », mais en réalité, leurs actions sont souvent un moyen secret de détenir le pouvoir (bell hooks, Visions of Love). L’intellectuelle afro-féministe américaine bell hooks semble vouloir ressusciter les mots de Simone de Beauvoir. Dans Le Deuxième Sexe, Simone de Beauvoir décrit, pour la première fois, que l’absence d’équilibre entre le droit et les pratiques sociales a toujours induit que les femmes n’étaient jamais complètement libres. Ainsi, à Rome, les femmes régnaient en maîtresses à l’intérieur de leurs foyers mais n’avaient pas de position sociale (elles étaient considérées comme mineures, des enfants donc). Pendant la Renaissance, les femmes mariées avaient leur place tandis que les célibataires n’avaient « aucun droit ». La sphère privée, émotionnelle, faisait si peu l’objet d’intérêt par les dominants qu’elle fut laissée à titre de maigre lot de consolation. « Par cet ingénieux système la grande masse des femmes est étroitement tenue en lisière : il faut des circonstances exceptionnelles pour que, entre ces deux séries de contraintes, ou abstraites ou concrètes, une personnalité féminine réussisse à s’affirmer. » Heloisa Marques (c) pour Les Glorieuses Si nos caractères romantiques sont marqués par un délaissement, ils se voient consolidés par une vision masculine des œuvres. Ça commence par un scénario. Les hommes y jouent, les femmes y apparaissent. Les hommes gagnent, les femmes les célèbrent. Ils désirent, elles sont désirées. Les hommes sont des hommes, les femmes sont des êtres, prêtes à être disposées. Ça continue par une scène de film. La caméra montre le corps d’une femme allongée de dos, nue, on ne voit pas son visage. Elle n’existe qu’à travers Ça se termine par une réalité. Que se passe-t-il lorsque presque tous les réalisateurs sont des hommes hétérosexuels ? Les films reproduisent cette vision masculine. Ce n’est pas les dédouaner que d’affirmer que ce n’est pas de leur faute : ils désirent ces personnages, ils ne font que reproduire ce désir. La culture forge l’imaginaire. L’imaginaire est l’essence même de la réalité. Et si la « vision masculine » continuait hors champ ? Cette vision, pourtant cantonnée à la population masculine devient hégémonique en dehors même du milieu cinématographique. Et les actions des femmes se réduisent à cette « vision masculine ». La femme est donc dans la culture patriarcale un signifiant pour le mâle, lié par un ordre symbolique dans lequel l’homme peut vivre ses fantasmes et ses obsessions par le biais du commandement linguistique en les imposant à l’image silencieuse d’une femme encore attachée à sa place de porteuse de sens, pas de créatrice de sens, raconte ainsi Laura Mulvey (Visual Pleasure and Narrative Camera). Lorsque les femmes sortent de ce champ de vision, elles sont critiquées. Et cela se poursuit avec notre vision de l’amour. Elle est le fruit d’un conditionnement patriarcal. Nos attentes aussi. Et… les attentes des femmes sont assez basses. Les miennes en premier. Il suffit qu’un homme me regarde pour me sentir exister, il suffit qu’un homme m’adresse la parole pour que je me croie importante, il suffit… non tout cela, c’est fini, c’était avant. La revue de presse Pour aller plus loin, on écoute le premier épisode du podcast « Le coeur sur la table« , écrit par Victoire Tuaillon, on s’abonne au compte Instagram de Morgane Ortin, Amours Solitaires et on lit le roman de Elisa Rojas, Mister T & moi. Le Club des Glorieuses **REJOIGNEZ-NOUS** Le jeudi 25 février à 18h30, dans le cadre du Club, Rebecca Amsellem vous donne rendez-vous avec Mona Eltahawy, autrice féministe, chroniqueuse et disruptrice du patriarcat. Son premier livre Foulards et hymens : Pourquoi le Moyen-Orient doit faire sa révolution sexuelle (2105) s’attaquait au patriarcat dans le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, et son second livre, Les 7 péchés – manifeste contre le patriarcat, (2019) s’y attaque au niveau mondial. Les dernières newsletters Gloria Media Romy, 12 ans, bi, et alors ?, Les Petites Glo, 16 février 2021 Les Glorieuses est une newsletter produite par Gloria Media. |
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