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La révolution de l’amour par Rebecca Amsellem
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J’ai toujours été une amoureuse de l’amour, dévorant les lettres échangées entre Maria Casares et Albert Camus, pleurant toutes les larmes de mon corps en relisant Heartburn (Nora Ephron) et fantasmant chaque jour depuis mon enfance la rencontre avec l’âme sœur. C’est avec cet imaginaire que je suis tombée amoureuse, que j’ai eu mon cœur brisé et que je me suis relevée. C’est avec cet imaginaire aussi que je me bats pour tenter de trouver un équilibre entre mon amour de l’amour et mon engagement féministe.
L’amour n’est pas le premier thème auquel on pense lorsqu’on parle de révolution féministe. Ou de révolution tout court
d’ailleurs. Devant le visage sombre de la grande révoltée – la révolution, le tendre Éros (« dieu de l’amour ») dut disparaître précipitamment. On n’avait ni le temps, ni l’excédent nécessaire de forces psychiques pour s’adonner aux « joies » et aux « tortures » de l’amour. Pour la socialiste russe Alexandra Kollontaï (« Place à l’Eros ailé ! Lettre à la jeunesse laborieuse », 1923), l’amour vient en second. Il est le hasard heureux qui vient s’ajouter aux actions plus utiles. Son caractère frivole en fait d’ailleurs – presque – tout son intérêt. Cela ne sert à rien et pourtant, c’est tout. Et pourtant
lorsqu’on réfléchit aux rapports de domination dans notre société, on ne peut s’empêcher d’imaginer les conséquences qu’une révolution féministe aurait sur le sentiment qui semble être au premier abord le plus pur qui soit.
Dans une société patriarcale, hétéronormée, l’amour est un sentiment qui entre en contradiction avec des normes dans lesquelles les femmes sont complètement désavantagées. Aussi, ma définition de l’amour correspond-elle à un idéal passé ? À quoi ressemble l’amour dans une société féministe ? La remise en cause du schéma binaire de nos pensées va-t-elle remettre en cause nos modes de vie ? Pourquoi l’amitié est-elle à
prendre autant au sérieux que l’amour ? La révolution de l’amour est féministe. Elle est même fondamentale pour la révolution féministe. Les rapports de domination ont dessiné un monde politique, une sphère économique et nos relations sociales. Ils ont également compromis nos relations les plus intimes qui soient, les liaisons amoureuses. C’est pourquoi la révolution féministe, la révolution qui nous permettra d’atteindre une société égalitaire, ne pourra advenir sans une révolution de l’intime. Je m’explique.
Je suis une romantique, je l’ai dit. Une « amoureuse de l’amour ». Les femmes sont – très généralement – des romantiques. Et la raison est
politique. Cette adoration est une manière de se garantir un peu de pouvoir. Là où le système actuel donne un pouvoir sociétal, économique et politique aux hommes dans la sphère publique, l’intime fait moins l’objet de luttes.
Dans l’univers genré de Mars et Vénus, les hommes veulent du pouvoir et les femmes veulent un attachement émotionnel et une connexion. Sur cette planète, personne n’a vraiment l’opportunité de connaître l’amour puisque c’est le pouvoir et non l’amour qui est à l’ordre du jour. Le privilège du pouvoir est au cœur de la pensée patriarcale. Les filles et les garçons, les femmes et les hommes à qui on a appris à penser de cette façon croient presque toujours que
l’amour n’est pas important, ou si c’est le cas, il n’est jamais aussi important que d’être puissant, dominant, en contrôle, en haut – avoir raison. Les femmes qui donnent une adoration et des soins apparemment désintéressés aux hommes de leur vie semblent être obsédées par « l’amour », mais en réalité, leurs actions sont souvent un moyen secret de détenir le pouvoir (bell hooks, Visions of Love).
L’intellectuelle afro-féministe américaine bell hooks semble vouloir ressusciter les mots de Simone de Beauvoir. Dans Le Deuxième Sexe, Simone de Beauvoir décrit, pour la première fois, que l’absence d’équilibre entre le droit et les pratiques sociales a
toujours induit que les femmes n’étaient jamais complètement libres. Ainsi, à Rome, les femmes régnaient en maîtresses à l’intérieur de leurs foyers mais n’avaient pas de position sociale (elles étaient considérées comme mineures, des enfants donc). Pendant la Renaissance, les femmes mariées avaient leur place tandis que les célibataires n’avaient « aucun droit ». La sphère privée, émotionnelle, faisait si peu l’objet d’intérêt par les dominants qu’elle fut laissée à titre de maigre lot de consolation. « Par cet ingénieux système la grande masse des femmes est étroitement tenue en lisière : il faut des circonstances exceptionnelles pour que, entre ces deux séries de contraintes, ou abstraites ou
concrètes, une personnalité féminine réussisse à s’affirmer. »
Heloisa Marques (c) pour Les Glorieuses
Si nos caractères romantiques sont marqués par un délaissement, ils se voient consolidés par une vision masculine des œuvres.
Ça commence par un scénario.
Les hommes y jouent, les femmes y apparaissent. Les hommes gagnent, les femmes les célèbrent. Ils désirent, elles sont désirées. Les hommes sont des hommes, les femmes sont des êtres, prêtes à être disposées.
Ça continue par une scène de film.
La caméra montre le corps d’une femme allongée de dos, nue, on ne voit pas son visage. Elle n’existe qu’à travers
ce corps parfait. Un homme est en face d’elle, en face de nous. Il est habillé, on aperçoit nettement les traits de son visage, pas le reste de son corps. « Tu les trouves jolies mes fesses ? » Il répond étonnamment « Oui, très. » « Et mes seins, tu les aimes ? » « Oui, énormément. » Le personnage de Brigitte Bardot est à l’apogée de l’incarnation de l’érotisme. Cette scène est un exemple de ce qu’on appelle le male gaze, la « vision masculine », théorisée par la critique de films, Laura Mulvey, en 1975. Ce moment où la caméra place le spectateur ou la spectatrice dans la vision d’un homme hétérosexuel. Dans Le Mépris, que nous
soyons un homme, une femme, nous désirons le personnage de Bardot, ou plutôt nous ressentons le désir que l’autre personne en scène et la caméra portent sur elle. Les personnages féminins sont des objets érotiques, les personnages masculins sont ceux qui ont le pouvoir, ceux qui disposent. « Dans un monde ordonné par un déséquilibre sexuel, le plaisir de regarder a été partagé entre actif/masculin et passif/féminin ». La « vision masculine » déterminante projette un fantasme sur la forme féminine qui est désignée en conséquence. Dans leur rôle exhibitionniste traditionnel, les femmes sont simultanément regardées et exposées, leur apparence étant codée pour un fort impact visuel et érotique, de sorte
qu’on peut dire qu’elles ont une connotation de « être regardée », analyse ainsi Laura Mulvey. Les femmes sont passives et évoluent en fonction du regard des hommes. C’est cette puissance prépondérante que dénonce Laura Mulvey dans le monde cinématographique : la « vision masculine » y est omniprésente. Les femmes ne semblent pas pouvoir se détacher de ce regard. Normal, puisque ce sont des personnes fictives qui ne font que ce qui a été choisi par le scénariste et le réalisateur. Normal.
Ça se termine par une réalité.
Que se passe-t-il lorsque presque tous les réalisateurs sont des hommes hétérosexuels ? Les films
reproduisent cette vision masculine. Ce n’est pas les dédouaner que d’affirmer que ce n’est pas de leur faute : ils désirent ces personnages, ils ne font que reproduire ce désir. La culture forge l’imaginaire. L’imaginaire est l’essence même de la réalité. Et si la « vision masculine » continuait hors champ ? Cette vision, pourtant cantonnée à la population masculine devient hégémonique en dehors même du milieu cinématographique. Et les actions des femmes se réduisent à cette « vision masculine ». La femme est donc dans la culture patriarcale un signifiant pour le mâle, lié par un ordre symbolique dans lequel l’homme peut vivre ses fantasmes et ses obsessions par le biais du commandement linguistique en les imposant
à l’image silencieuse d’une femme encore attachée à sa place de porteuse de sens, pas de créatrice de sens, raconte ainsi Laura Mulvey (Visual Pleasure and Narrative Camera). Lorsque les femmes sortent de ce champ de vision, elles sont critiquées.
Et cela se poursuit avec notre vision de l’amour. Elle est le fruit d’un conditionnement patriarcal. Nos attentes aussi. Et… les attentes des femmes sont assez basses. Les miennes en premier. Il suffit qu’un homme me regarde pour me sentir exister, il suffit qu’un homme m’adresse la parole pour que je me croie importante, il suffit… non tout cela, c’est fini, c’était avant.
Pour aller plus loin, on écoute le premier épisode du podcast « Le coeur sur la table« , écrit par Victoire Tuaillon, on s’abonne au compte Instagram de Morgane Ortin, Amours Solitaires et on lit le roman de Elisa Rojas, Mister T & moi.
Pour en savoir davantage sur le male gaze, on lit les ouvrages d’Iris Brey et notamment « Le regard féminin« .
*** RENDEZ-VOUS*** Les Glorieuses est partenaire du cycle Le féminisme n’a jamais tué personne ! organisé par la BPI du Centre Pompidou. Nous vous invitons à vous inscrire aux conférences. La prochaine aura lieu lundi 22 février avec Camille Froidevaux-Metterie, Noémie de Lattre, Généviève Brisac, Iris Breyet Mounia El Kotni.
Les personnes handicapées plus pauvres, plus isolées, plus déprimées.
Vous connaissez Karen ? Voici l’histoire originale.
Régine Chopinot : « Danser est la chose la plus difficile au monde » sur France Culture. Macho Man, par Mona Eltahawy.
**REJOIGNEZ-NOUS** Le jeudi 25 février à 18h30, dans le cadre du Club, Rebecca Amsellem vous donne rendez-vous avec Mona Eltahawy, autrice féministe, chroniqueuse et disruptrice du patriarcat. Son premier livre Foulards et hymens : Pourquoi le Moyen-Orient doit faire sa révolution sexuelle (2105) s’attaquait au patriarcat dans le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, et son second livre, Les 7 péchés – manifeste contre le patriarcat, (2019) s’y attaque au niveau mondial.
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Oh My Cream a été fondé avec passion en 2013 par Juliette Lévy-Cohen à partir d’un constat personnel : la difficulté à trouver de bons produits, avec une composition clean et à obtenir de bons conseils pour sa peau. C’est LE concept-store ultra expert qui permet à toutes les femmes d’accéder à une beauté alternative, en sélectionnant les marques clean les plus pointues et qui s’engage à nous donner les clés pour nous permettre de faire nos choix de manière éclairée, dans une démarche de transparence absolue.
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