![]() ![]() Bienvenue dans la newsletter Impact – votre guide de la révolution féministe. Cette semaine, la journaliste Mais Katt enquête sur l’avenir des droits des femmes en Syrie. Pressé·e ? Voici un résumé :
Pour rester informé·e de toutes les actualités sur les inégalités de genre, suivez-nous sur Instagram et LinkedIn. Vous pouvez lire la newsletter en ligne ici – http://lesglorieuses.fr/la-syrie-est-a-nous ![]() L’avenir appartient aux femmes syriennes comme moi Par Mais Katt À quatre heures du matin, les yeux à moitié ouverts, je faisais défiler les infos sur mon téléphone quand un titre choquant est apparu : Assad a fui ! J’ai pris une profonde inspiration. Mon cœur s’est emballé et j’ai cherché plus de détails, et, à chaque seconde qui passait, il me devenait impossible de nier la vérité : oui, la Syrie était enfin libre ! Je suis une journaliste syrienne, et je vis actuellement aux Pays-Bas. Je viens d’une famille profondément engagée dans la lutte pour les droits humains. Pendant 12 ans, j’ai rendu visite à mon père tous les mois alors qu’il était prisonnier politique dans la tristement célèbre prison de Sednaya, surnommée “l’abattoir humain”, où le régime Assad enfermait, torturait et exécutait ses opposants. Ma vie de journaliste a commencé le jour où j’ai écrit ma première lettre secrète à mon père emprisonné. Ce matin de décembre, alors que je lisais l’actualité sur mon téléphone, des souvenirs du passé ont ressurgi. J’ai été transportée dans mon enfance, blottie dans les bras de ma mère pendant qu’elle essuyait mes larmes. Elle venait de rentrer après des mois passés en prison. Elle m’avait terriblement manqué pendant son absence, quand la police secrète syrienne l’avait prise en otage pour faire pression sur mon père, lui aussi derrière les barreaux. Ma mère n’était pas la seule. Depuis 1971, Hafez al-Assad, puis son fils Bachar, ont systématiquement emprisonné des femmes Une femme fouille les cellules de la prison de Sednaya. Photo du domaine public. Une idée reçue persiste en Occident, selon laquelle Bachar al-Assad aurait été un dirigeant relativement tolérant en matière de droits des femmes. Pourtant, son régime les a systématiquement opprimées. Depuis 2011, 28 618 femmes ont été détenues par les services de renseignement d’Assad ; plus de 10 000 d’entre elles sont toujours portées disparues, et endurent des conditions de détention inhumaines conçues pour écraser toute opposition. La représentation politique des femmes était quasi inexistante : elles ne détenaient que 10 % des sièges à l’Assemblée du peuple syrien. La loi sur le statut personnel institutionnalisait les discriminations, en interdisant aux femmes musulmanes d’épouser des hommes chrétiens, en privant les mères de la garde de leurs enfants en cas de divorce et en légitimant les violences conjugales. L’organisation Syrians for Truth and Justice a documenté au moins 185 cas de femmes et de filles assassinées sous le prétexte de « crimes d’honneur » entre 2019 et 2022, et les auteurs de ces meurtres ont souvent été traités avec indulgence ou bénéficié de peines allégées. Aujourd’hui, le règne de la famille Assad appartient au passé. Les nouveaux dirigeants du pays sont Hay’at Tahrir al-Sham, un groupe salafiste jihadiste formé en 2017 par la fusion de plusieurs factions, dont Jabhat al-Nosra (l’ancienne branche d’al-Qaïda en Syrie). Dans les années qui ont suivi, alors que le groupe prenait le contrôle d’une grande partie du nord-ouest de la Syrie et avançait vers Damas, ses dirigeants ont tenté de se donner une nouvelle image en prenant leurs distances avec al-Qaïda et en adoptant une image plus nationaliste afin d’éviter d’être classés comme terroristes. Cette stratégie a échoué : les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Union européenne ont tous désigné Hay’at Tahrir al-Sham comme une organisation terroriste. Les politiques de Hay’at Tahrir al-Sham à l’égard des femmes sont particulièrement restrictives. Les filles et les femmes de plus de 12 ans doivent cacher leur corps et se soumettre aux exigences de leur tuteur masculin. Une « police des mœurs », inspirée du modèle iranien, impose la ségrégation des genres. Hay’at Tahrir al-Sham a également été accusé de violations des droits humains, notamment de détentions arbitraires et de répression des femmes militantes. Depuis sa prise de contrôle de Damas, Hay’at Tahrir al-Sham a tenté de projeter une image plus progressiste. Pourtant, des cas d’intimidation envers les femmes et des discours misogynes ont été rapportés. Le porte-parole officiel de l’Administration politique des opérations militaires en Syrie, Ubaida Arnaout, a déclaré dans une interview : “L’essence des femmes, leur nature biologique et psychologique, ne correspondent pas à des rôles comme celui du ministère de la Défense.” En parallèle, les conflits internes avec d’autres factions jihadistes continuent de fragiliser la stabilité du nouveau gouvernement. Pendant les longues années de guerre et de répression, les femmes syriennes ont fait preuve d’une résilience et d’une résistance extraordinaires. Pendant des années, des journalistes et des activistes de la société civile se sont battu·es sans relâche pour leurs droits. Malgré les discriminations systémiques, la marginalisation, les violences, les menaces et La chute du régime Assad et la prise de Damas par Hay’at Tahrir al-Sham ont marqué un tournant. L’activisme civil explose comme jamais en Syrie. Chaque jour, j’observe avec admiration mes amies et collègues – militantes, féministes, journalistes – arriver en masse à Damas. Sur Facebook et Instagram, je les vois célébrer dans les rues et les cafés de la ville, danser avec les cheveux au vent ou dans des hijabs qu’elles ont choisi elles-mêmes de porter. Leur joie insoumise symbolise un nouveau chapitre de liberté et de détermination dans une ville qui a trop longtemps nié ces droits. Le 8 janvier, le Mouvement politique des femmes syriennes a tenu une conférence de presse historique à Damas, qui a rassemblé des féministes de tout le pays pour discuter de leur vision de l’avenir. Les participantes ont parlé librement et ont publié une déclaration exigeant l’égalité des genres dans la prise de décisions pendant la reconstruction de la Syrie. En quelques semaines, des organisations féministes et des associations ont ouvert des bureaux dans la ville, qui est devenue un centre d’activités quotidiennes. Malgré cette énergie nouvelle à Damas, le scepticisme persiste, en particulier parmi les analystes européen·nes, qui doutent que les droits des femmes puissent exister sous le régime de Hay’at Tahrir al-Sham en raison de sa réputation extrémiste. Même si la capitale connaît un renouveau féministe et une effervescence dans la société civile, les cicatrices de la discrimination systémique restent profondes. Le changement pour les femmes syriennes se fait attendre depuis bien trop longtemps. Je suis méfiante face aux nouveaux dirigeants et à leur tentative de rebranding, mais je suis reconnaissante que ces espaces d’expression existent, même s’ils s’avèrent temporaires. Avec les autres femmes syriennes, je reste déterminée à occuper ces espaces et à pousser mon pays vers l’avant. Cette semaine, je retournerai à Damas pour la première fois en 14 ans. Et pour la toute première fois, j’animerai une formation pour mes collègues journalistes syriennes dans ma ville natale. J’ai appelé cet atelier Introduction au journalisme d’investigation, dans l’espoir qu’il marque le début d’enquêtes collectives avec mes consœurs à l’intérieur de la Syrie – cette fois, sous leurs vrais noms. — Mais Katt est une journaliste spécialisée dans les violations des droits humains, les crimes de guerre et les droits des femmes et des minorités, en particulier dans les zones de conflit au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. ![]() À propos de nousImpact est une newsletter hebdomadaire dédiée aux droits des femmes et des minorités de genre dans le monde entier. Vous aimez la newsletter ? Pensez à faire un don. Votre soutien nous permettra de financer cette newsletter et de lancer des nouveaux projets. ![]()
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