Mardi 8 février 2022 La vie est trop courte pour qu’on se fasse petitesJe me lève, je le rejoins au comptoir du bar pour régler l’addition, et il me regarde des pieds à la tête, l’air un peu déçu : “Ah ouais, t’es grande quand même…“. C’était notre premier date (spoiler alert : il n’y en a pas eu d’autres) et, ne sachant pas quelle taille il faisait, j’avais pris soin de ne pas porter de talons “au cas où“. Malgré tout, je ne lui plaisais pas. Enfin si, je lui plaisais, il me trouvait jolie et drôle, mais je ne rentrais pas complètement dans ses critères de sélection. “C’est dommage parce que j’ai du mal avec les meufs plus grandes que moi“, avait-il ajouté après que j’ai répondu“Ah, désolée, je ne mesure qu’un mètre 72 pourtant…“ comme s’il fallait que je me justifie ou, pire, que je m’excuse ! Au collège, il m’est arrivé plusieurs fois de tomber amoureuse de garçons plus petits que moi. Je m’en fichais. Mais, en vieillissant, ma façon de voir les choses a changé. Non seulement parce que je me suis aperçue que les hommes plus petits n’assumaient pas d’être à mes côtés (ce qui finissait par me faire de la peine), mais aussi parce que j’ai appris à associer la grande taille masculine au concept de virilité, c’est-à-dire à l’idée du “vrai mec“. En recherchant un homme plus grand que moi, je me disais que nous serions bien assortis, que je me sentirais plus “féminine“, mieux “protégée“. BULL-SHIT. J’ai eu une première révélation en lisant Réinventer l’amour de Mona Chollet. Elle écrit, dans le chapitre intitulé “‘Se faire petite’ pour être aimée ?“ : “L’infériorité féminine est comme encapsulée dans notre imaginaire amoureux. À commencer par une infériorité littérale, immédiatement visible : dans un couple, l’homme doit être plus grand que la femme.“ Depuis, j’essaie de me défaire de cette injonction absolument empreinte de sexisme. Ce n’est pas simple. C’est même très difficile de désapprendre à désirer un parfait cliché. Ma deuxième prise de conscience, je la dois à une enquête passionnante de la sociologue Marie Buscatto, La très grande taille au féminin, parue le 20 janvier chez CNRS Editions. Elle-même femme de très grande taille et mère d’une très grande fille, la chercheuse s’est intéressée aux parcours de femmes de 18 à 58 ans mesurant plus d’1,77m (ce qui représente 2 à 3% de la population féminine). “L’enquête s’est imposée car rien n’existe dans la littérature ou les médias pour nous aider, m’a-t-elle expliqué. Personne ne connaît cette question, personne n’y est sensible. Pourtant, la stigmatisation des femmes très grandes est constante et ne s’arrête jamais. Cela crée des effets majeurs sur la vie des personnes concernées, avec lesquels vous apprenez ou pas à vous construire.“ Parce que mon mètre 72 n’est finalement pas si grand que ça, j’ai échangé avec beaucoup d’entre vous suite à l’appel à témoins des Petites Glo. Je voulais mesurer (sans mauvais jeu de mots) l’impact de cette stigmatisation décrite par Marie Buscatto. “Ma taille est l’un des fléaux de ma vie, m’a confié Lucie, 24 ans, des sanglots dans la voix. Je mesure 1,78m et c’est très dur. Je souffre quotidiennement car j’aimerais passer inaperçue mais, quand on est grand, homme ou femme, on ne voit que nous – comme des phares parmi les autres – et la société dans laquelle on vit nous dévisage comme si on n’était pas normaux. Des garçons se sont moqués de moi, ils ne me trouvaient pas féminines, me traitaient de girafe, d’armoire à glace. On m’a plusieurs fois demandé si j’étais ‘un travelo’… C’est pas facile parce qu’on se sent observée à fond et surtout c’est ça qui dirige ma vie amoureuse car c’est souvent les hommes qui font les critiques, peut-être parce qu’ils ont un complexe d’infériorité, je ne sais pas…“ Chez Anouk, 16 ans, le complexe est apparu dès le début de l’adolescence car les autres enfants lui faisaient énormément de réflexions sur son mètre 82. “Celles qui m’ont le plus marquée sont : ‘c’est laid une fille grande’, ‘aucun garçon ne voudra de toi’ ou encore ‘ton corps est mal réparti, c’est vraiment pas beau’. Beaucoup de garçons ont refusé une relation plus qu’amicale à cause de ma taille et on s’est déjà moqué car je sortais avec un garçon plus petit que moi… Les garçons me voient comme ‘la grande’ alors que mes copines sont vues comme ‘les belles’.“ Selon Marie Buscatto, le problème relève davantage de l’ordre genré que du sexisme. “Au quotidien, et même avant notre naissance, dès l’annonce du sexe de l’enfant aux parents, on apprend aux filles à être de ‘vraies filles’ et aux garçons de ‘vrais garçons’. Par la très grande taille, vous perturbez d’emblée cette illusion car vous contredisez le côté ‘naturel’ de cette domination des garçons. Alors que la société attend de vous que vous soyez douce, à l’écoute, vous êtes imposante, solide (que ce soit vrai ou non au fond de vous). En fait, vous êtes du côté dit masculin, donc vous gênez, vous prenez trop de place.“ Quel que soit l’âge des personnes qu’elle a interrogées, la sociologue n’a remarqué aucune différence entre les générations. “À 18 ans comme à 58, les femmes racontent les mêmes comportements. Nos valeurs ont évolué, nous sommes plus tolérants envers les différences et moins tolérants envers les discriminations, mais l’ordre genré est toujours très présent.“ Alors, comment faire face ? D’abord, la spécialiste rappelle que nier l’existence de ce stigmate ne peut que vous enfoncer dans les difficultés. “Le fondement même d’un bon vécu avec la très grande taille est de renverser la norme sociale, c’est-à-dire considérer que ce n’est pas nous qui avons un problème mais les autres. On inverse la proposition et après on développe sa propre solution : certaines choisissent l’androgynie, d’autres l’ultraféminité, tout est possible ! Ce qui est important, c’est aussi d’être dans une activité collective où la question de la taille disparaît, loin du harcèlement scolaire ou de l’espace public.“ En effet, Chiara (qui mesure 1,86m) souffre moins du regard des autres depuis qu’elle pratique le basket. Son remède ? “Je côtoie des personnes grandes !“ confie la jeune femme de 24 ans. Et Lulu, 21 ans, reconnaît qu’aujourd’hui elle est “plutôt fière“ de mesurer 1,78m. “Si un garçon me juge trop grande selon lui, c’est qu’on n’est pas faits pour être ensemble !“, conclut-elle. En préparant cet épisode, je repensais à cette citation de Benjamin Disraeli : “La vie est trop courte pour être petite.“ Avant de vous quitter, permettez-moi de corriger cet ancien premier ministre du Royaume-Uni : la vie est trop courte pour qu’on se fasse petites. Compris, les Petites Glo ? ❤️ Les recommandations de Chloé“Je lui ai naturellement dit que j’avais mes règles, et il m’a chassée du lit ! Il a affirmé que l’odeur de mon sang l’indisposait, qu’il ne pourrait pas dormir avec la crainte de se réveiller dans un lit inondé de sang. » Comme cette témoin, une personne sur trois s’est déjà sentie humiliée par son partenaire à cause de ses règles. C’est ce que révèle une étude de l’Ifop relayée ici par la journaliste Laetitia Reboulleau. Au collège et au lycée, vous devriez recevoir trois séances d’éducation à la sexualité par an. C’est ce que prévoit la loi… mais le ministère de l’Éducation nationale ne l’applique pas (j’en parlais dans une précédente newsletter) ! Si vous voulez que ça change, signez la pétition du collectif #NousToutes. Valeska Morin-Nowik est lycéenne au Mans et militante féministe. Dans cet entretien très intéressant sur les élections présidentielles (à lire sur le site de Ouest France), elle pose la question : “Est-ce qu’on ne changerait pas le droit de vote à 16 ans ? Ça me semblerait très pertinent.“ “C’est quoi cette merde !!! Rendez-nous Minnie Mouse sexy bordel !“ Eh oui, le fait que la souris la plus connue de la planète troque (temporairement) sa robe contre un tailleur a mis un paquet de relous en colère. (Mention spéciale au tweet “La wokerie est jamais finie“, une pépite !) Heureusement, le web ce n’est pas que des haters et des buzz idiots. Dans son nouveau livre Internet aussi, c’est la vraie vie ! (illustré par Mirion Malle), la journaliste Lucie Ronfaut-Hazard répond à plein de questions importantes : est-ce qu’internet est raciste/sexiste ? Pourquoi se sent-on moche sur les réseaux sociaux ? Pourquoi ne voit-on pas de personnes grosses sur Instagram ? Un essai qui nous invite à réfléchir – et à améliorer – nos pratiques numériques. Vous avez envie de rire vraaaiment beaucoup avec vos copines ? Réservez sans plus attendre vos places pour le spectacle de Rosa Bursztein ! Jusqu’à fin mars, elle joue tous les vendredis et samedis soirs à la Nouvelle Seine, à Paris. Et en attendant, vous pouvez écouter son podcast, Les mecs que je veux ken, qui parle aussi d’amour et de sexualité (ou acheter le livre du même nom qui vient de sortir). #Autopromo – Je serai présente ce samedi 12 février à la Bellevilloise (Paris), pour un talk sur “les sexualités positives et féministes“, aux côtés de l’autrice Marie de Brauer et de l’illustratrice Margot Koskas. Il y aura plein d’ateliers super cool tout le week-end (tirage de cartes, broderie, upcycling, bingo drag…) alors n’hésitez pas à venir faire un tour ! Les dernières newsletters Gloria MediaQuel est le lien entre Louise Michel, Marguerite Duras et les sorcières ? C’est elle, Xavière Gauthier. Rencontre, Les Glorieuses, 2 février 2022 L’Espagne abolira-t-elle le travail du sexe ?, Impact, 31 janvier 2022 La pop culture française est-elle raciste ?, Les Petites Glo, 25 janvier 2022 Comment les systèmes de vente multiniveau s’appuient sur les normes de genre pour réussir, Economie, 10 décembre 2021 |
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