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IMPACT

Voici la newsletter Impact, qui vous raconte les dessous des mouvements féministes dans le monde. Aujourd’hui, Agustina Ordoqui nous emmène à Buenos Aires, où les femmes qui aident à nourrir les personnes précaires au sein de leurs communautés demandent à être payées dignement.

Vous n’avez pas le temps ? Voici la newsletter en bref :

  • 🇦🇷 Le nombre de personnes en Argentine qui n’ont plus les moyens de se nourrir explose, dans un pays durement touché par l’inflation.
  • 🍽️ Les femmes sont en première ligne de la réponse à cette crise : tous les  jours, elles nourrissent des millions de familles dans des cuisines communautaires.
  • 👩🏽‍🍳 Maintenant, elles demandent un salaire et des avantages sociaux à un gouvernement qui bénéficie de leur travail gratuit depuis des décennies.

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Elles préparent à manger pour 10 millions de personnes par jour. Maintenant, elles demandent à être payées.

par Agustina Ordoqui

Tous les matins, Mariana Barberis et Paola Castro se lèvent à l’aube, et la première chose à laquelle elles pensent, c’est le nombre de personnes qu’elles vont nourrir aujourd’hui. Elles se demandent si elles auront assez de nourriture, ou si elles devront sortir en acheter. Puis elles vont au travail. Elles sont cocineras : Mariana Barberis gère sept cuisines communautaires dans la banlieue de Buenos Aires. Paola Castro gère une cantine à La Matanza, à quelques kilomètres de là, qui sert 600 personnes par jour. Ce sont deux des plus de 100 000 femmes qui, ensemble, accomplissent une mission gargantuesque : nourrir 10 millions de personnes par jour en Argentine.

« Toute la journée, tu penses à comment faire fonctionner la cantine », explique Mariana Barberis.

En Argentine, 19 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté et plus de la moitié d’entre elles reçoivent de l’aide alimentaire. On estime que trois enfants et adolescents sur cinq dans le pays vont tous les jours à une soupe populaire pour manger. D’après un recensement réalisé par l’association La Poderosa, plus de 35 000 cantines et soupes populaires sont financées par le gouvernement, et 135 000 personnes y font du bénévolat. Plus de 80 % d’entre elles sont des femmes. Même si le gouvernement couvre une partie des frais de nourriture et de fonctionnement des cuisines, toutes les personnes qui y travaillent ne sont pas payées.

La contribution de ces femmes est souvent considérée comme un acte d’amour, parce que leur motivation est de garantir à leur famille et à leurs voisins au moins un repas par jour. Mais comme souvent pour les femmes, ce qu’on appelle “un acte d’amour” est en réalité un travail non rémunéré. Et elles sont en train de construire un mouvement politique pour exiger d’être reconnues comme de vraies travailleuses sur le marché du travail officiel.

À travers La Poderosa, un groupe qui travaille sur les questions qui touchent les femmes de classe populaire, les ouvrières de cuisine ont présenté au parlement argentin un projet de loi qui, s’il était adopté, leur accorderait un salaire minimum, un droit à la sécurité sociale, un congé parental, un congé maladie, des primes, des congés payés et des cotisations pour la retraite.

« Nous sommes des gens qui n’ont jamais eu la chance d’étudier ou de rêver, qui ont surmonté leurs peurs pour le bien-être de notre communauté afin que chacun·e, notre famille et nous-mêmes puissions avoir accès à une vie décente », déclare Paola Castro. “Je n’ai pas d’assurance maladie ni de retraite, et la cuisine ne ferme pas, même quand il pleut ou que notre quartier est inondé. Ce n’est pas possible que nourrir 600 personnes ne soit pas considéré comme un vrai travail.”

Paola Castro travaille à la cantine Los Álamos de Pie, où une quarantaine d’employés préparent des repas pour la communauté et organisent des ateliers sur la santé, l’éducation, la culture et le bricolage. Elle dirige également le volet nutrition de La Poderosa.

Chaque jour, cette maman emmène son fils à l’école, nettoie sa maison, travaille pour Los Alamos, prépare le déjeuner pour sa propre famille ; puis elle sort vendre des algues et des remèdes à base de fleurs de Bach pour gagner un peu d’argent en plus. Certaines de ses collègues vendent des vêtements d’occasion ou échangent des denrées non périssables contre de la nourriture fraîche ou des couches.

La responsable de la campagne, Claudia “La Negra” Albornoz, appelle cela la “triple journée de travail” : “Nous travaillons dans nos maisons à élever et prendre soin de nos familles. Nous travaillons sur le marché, généralement dans le secteur informel. Et nous faisons du travail associatif dans les quartiers populaires, où sans nous, la situation sociale serait bien pire”, dit-elle.

« Nous sommes très engagées, et pleines d’amour, mais nous voulons aussi être reconnues. »

Nourrir la démocratie

En décembre, l’Argentine fêtera 40 ans consécutifs de démocratie depuis la fin de la dictature civile et militaire. Mais cette période a été marquée par de grandes inégalités, et la crise n’a fait que s’aggraver au cours des trois dernières années. L’inflation a frappé l’économie argentine de plein fouet, et la montée en flèche du coût de la vie a poussé de plus en plus de personnes vers la précarité. Le taux de pauvreté a atteint 40 % au premier semestre 2023, d’après l’agence statistique du gouvernement.

“Les cuisines communautaires existent depuis quarante ans pour pallier à l’urgence de la faim grâce à une mobilisation collective”, explique Victoria Sordini, doctorante à l’Institut des sciences humaines et sociales, qui travaille sur la question de la faim. “Ce sont des espaces où celles et ceux qui ont le moins s’entraident.”

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Les bénévoles disent qu’elles font le travail du gouvernement à sa place.

« Nous nourrissons la démocratie depuis 40 ans », explique Claudia Albornoz. « Que se passerait-il si les familles n’avaient pas un repas par jour ? Il y aurait sûrement beaucoup de conflits. Notre travail soutient la base de la pyramide sociale. »

Les cantines demandent un travail intense de la part de leurs bénévoles : la militante estime qu’une cuisine communautaire en Argentine peut servir entre 200 et 2 000 repas par jour. Certaines travailleuses passent jusqu’à dix heures d’affilée dans la cuisine, raconte-t-elle. « Nos collègues tombent malades, se brûlent ou ont des problèmes de santé à cause des lourdes casseroles qu’elles manipulent et qui leur font mal aux bras, au dos ou à la ceinture. »

Il y a aussi la charge mentale et financière. « Il ne s’agit pas seulement de cuisiner, mais aussi de gérer les approvisionnements, ce qui peut être difficile parce que parfois le gouvernement n’envoie pas assez de nourriture ou d’argent, donc nous devons sortir et aller chercher des dons nous-mêmes. Parfois, nous utilisons même notre propre argent », dit Claudia Albornoz.

Le projet de loi de reconnaissance des travailleuses des cuisines communautaires a été annoncé le 8 mars, Journée internationale de lutte pour les droits des femmes, et a été présenté au Congrès le 3 juin, le jour de l’anniversaire de Ni Una Menos (pas une de moins), le mouvement pionnier argentin contre les violences sexistes.

« Nous avons parlé aux député·e·s pour leur faire comprendre pourquoi ces femmes méritent un salaire. Nous nous attendons à ce qu’une loi soit votée cette année », explique Claudia Albornoz.

Les supportrices du projet de loi espèrent qu’un changement de gouvernement ne ruinera pas ses chances. Le premier tour de l’élection présidentielle du pays s’est tenu ce week-end, mais le gouvernement ne changera officiellement qu’en décembre et seule la moitié des sièges au Congrès seront soumis au vote. Le futur à long terme pour les droits des femmes pourrait être sombre : le libertarien d’extrême droite Javier Milei a déclaré qu’il fermerait le ministère de la Femme, du Genre et de la Diversité et organiserait un référendum pour mettre fin au droit à l’avortement s’il remportait l’élection.

Violence sexiste

Le coût d’un ventre plein

À Pancita Feliz à Buenos Aires, Mariana Barberis gère les ressources pour s’assurer que 250 enfants aient un petit-déjeuner, un déjeuner et un goûter. Quinze personnes travaillent chez Pancita Feliz, qui se traduit par “bidon heureux”. Le lieu a été créé pour aider les enfants, mais après la pandémie de Covid, des familles entières ont commencé à demander de l’aide alimentaire à la cuisine. La gérante s’occupe également de six autres cantines dans la région.

Sa mère, Stella Soressi, et quelques voisin·e·s ont décidé d’ouvrir la cantine en 1999. Mariana Barberis y a passé son enfance avant d’y intégrer l’équipe.

« Une fois que vous travaillez dans une cuisine communautaire, vous ne pouvez plus en sortir. Votre cœur y reste. Les enfants ont une vie très dure, mais ici, ils et elles ont la chance de rire, de passer un bon moment ou même de fêter leur anniversaire », dit-elle.

« J’ai rencontré tellement de gens qui ont quitté ce monde sans aucune reconnaissance, sans assurance sociale ou maladie, sans rien d’autre que l’amour des gens de leur quartier », raconte-t-elle. “Sans nous, qui ferait ce travail ?”

Agustina Ordoqui est une journaliste freelance basée en Argentine. Elle contribue à la newsletter Impact depuis février 2021.

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À propos de nous

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PS : La newsletter est également disponible en anglais.

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