6 juin 2022

Le féminisme progresse en Asie et dans le Pacifique, mais les représailles à son encontre aussi

Par Kate Walton (suivez-moi sur Twitter ici)

Note de la rédaction : Cette semaine, nous sommes ravies d’accueillir Kate Walton, l’autrice de la newsletter Solidaritas, pour rédiger la Note de La Rédaction d’Impact. Solidaritas fournit des actualités bimensuelles sur le genre, les droits des femmes et le féminisme en Asie et dans le Pacifique. Abonnez-vous ici. 

Le féminisme progresse en Asie et dans le Pacifique, mais les
représailles à son encontre sont tout aussi fortes. De plus en plus de jeunes, surtout des femmes, s’identifient comme féministes et mettent les valeurs féministes au premier plan de leurs choix politiques. Le mouvement #MeToo a indéniablement stimulé cette évolution, de nombreux mouvements féministes se positionnant sur la question de la violence et du harcèlement sexuels comme les problèmes clés auxquels sont confrontées les femmes, les filles, les minorités de genre et les minorités sexuelles.

Cependant, ce soutien accru au féminisme n’est pas bien reçu par tout le monde. Les groupes conservateurs, de droite et religieux des nations d’Asie et du Pacifique ont contesté, arguant que les valeurs féministes ne sont pas en accord avec les croyances
traditionnelles locales.

L’exemple le plus évident est l’élection du nouveau président de la Corée du Sud, Yoon Seok-youl, le candidat conservateur qui a spécifiquement ciblé les jeunes hommes frustrés par le franc-parler croissant des femmes coréennes et leur désir d’indépendance. Pendant la campagne électorale, non seulement Yoon a affirmé que la discrimination systémique entre les sexes n’existe pas en Corée – il a même promis d’abolir le Ministère de l’Égalité des Sexes et de la Famille. J’aimerais bien savoir comment Yoon pense que c’est une mesure appropriée dans un pays où des milliers de vidéos sexuellement explicites ont été vendues – sans le consentement des femmes – en utilisant de la crypto-monnaie dans des forums de discussion secrets. Seulement 34 % des femmes ayant la vingtaine ont voté pour Yoon, contre 59 % des hommes de la même tranche d’âge.

En Indonésie, les militant·e·s des droits des femmes ont enfin vu un succès dans leur lutte de dix ans pour la ratification d’un projet de loi sur la violence sexuelle. Malgré d’importantes révisions par les
député·e·s qui ont affaibli les dispositions de la loi, la loi sur les crimes de violence sexuelle a finalement été adoptée par le parlement du pays le 12 avril 2022. Les activistes de tout le pays se sont réjouis, notamment parce que la loi ne se contente pas de punir les coupables, mais exige de l’État qu’il apporte son soutien aux survivant·e·s afin qu’il·elle·s puissent guérir de leurs traumatismes. Il s’agit d’une victoire importante face à la forte opposition des groupes religieux conservateurs, qui ont prétendu à tort que la loi « légaliserait » les relations homosexuelles (qui ne sont de toute façon
pas criminalisées en Indonésie) et encouragerait les relations sexuelles avant le mariage, en raison de l’accent mis sur le consentement.

Des sentiments similaires ont été observés de la part des groupes religieux lorsque l’Indonésie a commencé à mettre en œuvre un règlement ministériel pour prévenir et traiter les cas de violence sexuelle dans les universités – ses opposant·e·s ont fait valoir que les étudiant·e·s seraient désormais en mesure d’avoir des relations sexuelles n’importe où, n’importe quand, avec n’importe qui, même dans les lieux publics du
campus! Ces assertions étaient destinées à enflammer les conservateurs et à attirer davantage de personnes dans la lutte contre ce qu’ils décrivent comme les « valeurs libérales occidentales ». Les opposant·e​​·s ont porté le règlement ministériel devant les tribunaux, mais, heureusement, l’affaire a été rejetée.

La Malaisie a observé la situation avec ferveur. Les féministes de ce pays se battent depuis deux décennies pour obtenir une loi similaire sur le harcèlement sexuel, et déclarent ne pas être plus proches aujourd’hui qu’elles ne l’étaient au départ. Le gouvernement a promis de déposer le projet de loi sur le harcèlement sexuel au parlement en 2020, mais a décidé de le retarder en raison de la pandémie. Et ce malgré les recherches de la Women’s Aid Organisation qui ont révélé que pas moins de 62 % des Malaisiennes ont été victimes de harcèlement sexuel sur leur lieu de travail. Les activistes des droits des femmes en Malaisie surveillent donc de près les progrès comparativement rapides de l’Indonésie.

Pendant ce temps, dans le Pacifique, les mouvements de défense des droits des femmes
s’efforcent de faire entrer davantage de femmes dans la politique. Le Pacifique a le niveau le plus bas de représentation politique des femmes dans le monde, mais de nombreux groupes de défense des droits des femmes s’efforcent d’améliorer la situation. La Papouasie-Nouvelle-Guinée (PNG) est l’un des plus grands pays de la région, avec une population d’environ 9 millions d’habitants. Pourtant, à ce jour seules sept femmes ont deja été élues à son parlement, et il n’y a actuellement aucune députée femme. La PNG se rend aux urnes en juin de cette année, mais l’absence de quotas de genre légiférés et de forts facteurs socioculturels signifient que peu de femmes sont susceptibles d’être élues. Le Vanuatu est confronté à une situation similaire – seules cinq femmes ont été élues,
et les élections de 2020 se sont conclues par un parlement exclusivement masculin. Les Tonga ne comptent pas non plus de femmes au parlement, et le congrès national des États fédérés de Micronésie n’a jamais eu de représentante.

Mais il y a eu de bonnes nouvelles ces dernières années dans le Pacifique : les Samoa ont élu leur première Premiere Ministre, Fiame Naomi Mata’afa, en 2021 ; les Fidji ont actuellement un niveau record de représentation féminine au parlement (21,6%) ; et la Nouvelle-Zélande a nommé Nanaia Mahuta, une femme Māori, au poste de Ministre des Affaires Étrangères, faisant d’elle la première membre du parlement à porter un moko kauae (tatouage traditionnel Māori au menton).

Que signifie tout cela pour la région Asie-Pacifique ? Comme pour la lutte pour les droits des femmes dans de nombreux endroits, c’est deux pas en avant, un pas en arrière. Les petites victoires s’additionnent, malgré les graves revers occasionnels, et à l’approche de tant d’élections, surtout dans le Pacifique, les candidat·e·s et les élect·eur·rice·s doivent faire passer les femmes en premier.

Comme
l’a écrit un jour l’éducatrice indonésienne, icône féministe et héroine nationale Raden Ajeng Kartini : habis gelap terbitlah terang – après l’obscurité, il y aura la lumière.