Bienvenue dans le septième épisode de la saison 2 de la newsletter économique des Glorieuses. Chaque mois, nous vous parlons économie, genre et race avec une perspective internationale, et avec l’appui de chercheuses. Ce mois-ci Les Glorieuses s’intéresse nous parlons d’entrepreneuriat subi et des revers de la « liberté d’être sa propre boss »…
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18 avril 2021 – temps de lecture : 8 minutes
L’entrepreneuriat au féminin, c’est la vie ! (Vraiment ?)
par Fiona Schmidt, pour la suivre sur Instagram c’est ici.
A en croire les Willy Woncka de la start-up nation, la création d’entreprise serait un Eldorado universellement empouvoirant pour les femmes, qui résoudrait tous les problèmes de discriminations sur le marché de l’emploi. Quel que soit son secteur d’activité, pour avoir la carrière que l’on veut, il suffirait donc de devenir indépendante. D’ailleurs, selon l’étude « Femmes et business en Europe » co-réalisée en 2019 par la Caisse d’Epargne et le Crédoc, la création d’entreprise correspondrait à un choix de carrière réfléchi pour 8 Françaises sur 10, tandis qu’en Italie, près de 4 indépendantes sur 10 le
sont par défaut. Alors : liberté, égalité, surtout pas salariée ?
Surprise ! (non…), la réalité de l’entrepreneuriat féminin dans l’Hexagone est nettement plus nuancée. D’abord, si la proportion d’entrepreneuriat subi tend effectivement à baisser avec le niveau de développement du pays, les inégalités de genre restent significatives. D’après le rapport 2018 du Global Entrepreneurship Monitor (GEM), la part des femmes qui deviennent entrepreneuses « par
nécessité » s’élève à 23,9% en France, contre 9,7% aux Pays-Bas, mais elle demeure aussi plus élevée que celle des hommes dans le même cas, qui sont 21,1% en France, et 8,6% aux Pays-Bas. Par ailleurs, près de 7 femmes sur 10 déclarent que la création de leur entreprise vise à assurer leur propre emploi, contre un peu plus d’1 homme sur 2, alors que les créatrices d’entreprises sont significativement plus diplômées : 68% d’entre elles détiennent un diplôme de l’enseignement supérieur, contre 53% de leurs homologues masculins. Enfin, si les motivations des femmes ne sont
globalement pas différentes de celles des hommes, puisque d’après l’indice entrepreneurial 2018 de BPI France, les unes comme les autres souhaitent être leur propre patron.ne et réaliser un rêve, des traits distinctifs sont néanmoins perceptibles – et significatifs. Les entrepreneuses sont plus attentives à l’articulation entre vie professionnelle et vie privée, et doivent plus souvent que les hommes créer leur propre emploi, faute de pouvoir s’insérer sur le marché du travail : selon une enquête de l’ACPE, 32% des créatrices d’entreprises étaient demandeuses d’emploi et 14% d’entre elles étaient sans activité professionnelle avant la création de leur entreprise… contre 7% des hommes.
Ces données coïncident avec les observations d’Insaff El Hassini, avocate de formation, juriste financière et fondatrice de Lean In France : « Pour qu’une femme soit employable en France, il faut qu’elle entre dans une case. Elle doit être ‘suffisamment’ jeune, ‘suffisamment’ diplômée, ‘suffisamment’ qualifiée et compétente, et ne pas être trop exigeante en terme de valorisation professionnelle et salariale. Si elle ne remplit pas ce bingo de l’employée modèle, elle est marginalisée sur le marché du travail, et se
trouve souvent contrainte de devenir sa propre employeuse, qu’elle ait des velléités d’entreprendre ou pas. » L’entrepreneuriat subi concerne ainsi des profils radicalement opposés : des femmes très qualifiées, ou au contraire, pas du tout. Dans le cadre des formations qu’elle dispense via son initiative @majustevaleur, Insaff El Hassini rencontre régulièrement « des femmes de 50 ans et plus, surqualifiées, qui se trouvent parfois placardisées au sein de leur entreprise et ne parviennent pas à trouver du travail ailleurs car elles demandent un salaire à la hauteur de leurs compétences et subissent le jeunisme qui affecte également les hommes, mais dans une moindre mesure, et plus tard. Les femmes qui évoluent dans des secteurs traditionnellement masculin, comme la finance, le
numérique ou la tech – les secteurs les plus porteurs et les plus rémunérateurs – sont elles aussi parfois contraintes de créer leur propre entreprise pour contourner le plafond de verre, et éviter de subir les comportements machistes et sexistes de leurs collègues qui se gargarisent pourtant d’être tournés vers l’avenir… » A ce sujet, soulignons que seules 5,8% des start-ups françaises créées depuis 2008 l’ont été par une ou plusieurs femme(s), qu’une start-up créée par une femme lève en moyenne deux fois moins de fonds qu’une start-up créée par un homme, et que ces chiffres stagnent depuis dix ans…
Mais Insaff El Hassini observe aussi que l’entrepreneuriat est souvent le seul levier d’insertion professionnel en cas de reprise d’emploi après une période d’inactivité prolongée qui fait suite à un congé parental, par exemple, ou lorsque les intéressées ne sont pas qualifiées et/ou maîtrisent mal le français. « Discriminées en fonction de leur genre, mais aussi de leur milieu social et/ou de leur origine ethnique, ces femmes sont surreprésentées dans des secteurs comme l’aide aux enfants et personnes âgées et les tâches d’entretien. Elles sont d’autant plus vulnérables qu’il n’existe pas de syndicat faisant valoir leurs
droits, et que le fait qu’un secteur soit stéréotypé comme ‘féminin’ contribue à le dévaloriser, socialement et économiquement.»
Si ces femmes qui subissent l’entrepreneuriat ne sont évidemment pas égales en terme de réseaux, de conditions d’accès aux structures et aux aides à la création d’entreprise et de rémunération, elles ont toutefois plusieurs points communs. Prendre un congé maternité est particulièrement complexe, quel que soit leur domaine d’activité, surtout lorsqu’elles travaillent seules, ce qui est le cas de la plupart des entrepreneuses par nécessité. Et c’est d’autant plus délicat
qu’elles gagnent en moyenne deux tiers de ce que gagnent les hommes indépendants, tout en travaillant généralement beaucoup plus que les salarié.e.s – 43,9 heures par semaine, contre 39,3 heures pour les salariées -, sans que la part de leurs tâches domestiques et parentales ne soit réduite pour autant… sauf à avoir les moyens financiers de les déléguer à quelqu’un d’autre – généralement une femme, souvent racisée, et systématiquement précaire. Elles font également face à un sentiment de culpabilité dont les ramifications sont aussi profondes que multiples, selon Insaff El Hassini :
« A la culpabilité liée à l’arbitrage entre leurs rôles d’entrepreneuse et de mère s’ajoute un double sentiment d’échec : celui de ne pas trouver un emploi ‘classique’, et celui de ne pas réussir à développer son entreprise, et/ou à s’épanouir dans un domaine présenté comme épanouissant. Mais d’abord, l’entrepreneuriat n’est pas épanouissant pour tout le monde, et surtout, il n’est pas inné, il s’apprend, or à cause des biais de genre et de leur parcours scolaire puis professionnel, les femmes sont moins sensibilisées et moins formées que les hommes à la création d’entreprise. En fait, le plafond de verre ne disparaît pas avec l’entrepreneuriat, bien au contraire : il se renforce
! »
Les freins que rencontrent la plupart des entrepreneuses, et particulièrement celles qui subissent leur situation tiennent d’après l’experte aux facteurs suivants : l’orientation scolaire et sectorielle, les rapports genrés à l’argent et à la prise de risque, et à l’articulation des temps de vie. Pour y remédier, « il est nécessaire et urgent de former les étudiantes à l’entrepreneuriat, et à la négociation de leur rémunération, qu’elles choisissent le secteur public, privé, ou l’entrepreneuriat, explique Insaff El Hassini. La plupart des entrepreneuses basent leur politique tarifaire sur leur confiance en elles plutôt
que sur leur niveau de compétence – et celles qui demandent à être rémunérées à leur juste valeur se heurtent bien souvent à des stéréotypes sexistes stigmatisant les femmes qui ’s’intéressent à l’argent’. Au sein des entreprises, les managers et les DRH doivent être sensibilisé.e.s aux biais de genre en matière de salaire, pour dénormaliser enfin la sous-rémunération du travail féminin. » Les initiatives des pouvoirs publics, trop souvent sous-traitées au milieu associatif dont les moyens financiers sont limités et le travail bénévole doivent elles aussi être
renforcées, et ne plus se limiter à des actions de communication en direction des femmes, qui contribuent à les positionner comme principales actrices de leur destin mais aussi, du même coup, en premières responsables des écarts de réussite que l’on constate. Il faut également que les décideur.ses politiques s’assurent que les politiques familiales, sociales et fiscales ne soient plus discriminantes, en renforçant l’accès aux aides sociales pour les entrepreneuses, en alignant le congé maternité – et paternité et accueil de l’enfant ! – sur celui des employées, et en allongeant ce dernier tout en le rendant obligatoire. C’est donc une action de fond sur tout l’écosystème entrepreneurial, en faveur de l’égalité sur plusieurs fronts qui paraît
aujourd’hui indispensable.
Rendez-vous – Le prochain Club des Glorieuses aura lieu le jeudi 22 avril 2021 de 18h30 à 19h30. Il s’agira d’une conférence en ligne avec Lucile Peytavin, historienne, spécialiste du travail des femmes dans l’artisanat et le commerce. Le Coût de la virilité (éditions Anne Carrière) est son premier essai. Pour vous inscrire, rdv ici.
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UN MESSAGE DE NOTRE PARTENAIRE
Depuis plus de 100 ans, L’Oréal est dédié aux métiers de la beauté. Avec un portefeuille international de 36 marques, le groupe a réalisé un chiffre d’affaires de 29,9 milliards d’euros en 2019 et compte 88 000 collaborateurs dans le monde.
L’Oréal est de longue date un leader de l’égalité
professionnelle. En 2019, les femmes représentaient 70 % de l’effectif total, 53 % des membres du conseil d’administration, 30 % des membres du comité exécutif, et 54 % des postes stratégiques.
En 2019, L’Oréal était classé dans le “TOP 5 mondial” d’Equileap, première base de données à établir un classement de 3 500 entreprises cotées. Le groupe figure parmi les entreprises du Bloomberg Gender-Equality Index 2020, indice qui valorise les entreprises très engagées en faveur de l’égalité professionnelle.
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